
A quoi sert l’Université ? On s’est souvent posé la question ici mais on est resté sans réponse pour l’instant. Si on s’en tient à l’enseignement supérieur, certains pensent que l’Université sert à former les étudiants afin qu’ils puissent s’insérer dans la vie professionnelle. Citons par exemple une phrase du récent discours du président E. Macron : « les universités ne devront plus seulement garantir l’accueil des étudiants dans une formation, mais garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi » (lire ici). D’autres disent que l’Université n’a jamais eu pour vocation de professionnaliser. Qui peut mieux définir le rôle de la formation à l’Université qu’un doyen d’une faculté ? Laissons-lui la parole :
« Centrons nos propos sur ce qu’est une université. Cette entité […] est en réalité une institution extrêmement complexe et vivante ; il s’agit d’un monde dont l’activité, à savoir la connaissance, n’a d’autre fin qu’elle-même. Et la finalité de ce monde conduit les étudiants qui viennent s’y délecter à une vie intellectuelle contemplative ». Pierre-Louis Boyer, doyen de la faculté de Faculté de droit, Sciences économiques & de gestion, Le Mans Université, dans une tribune publiée le 28 janvier 2022 dans Marianne, lire ici.
A vrai dire, je trouve ces quelques phrases lumineuses. Lors de mon dernier cours, un étudiant situé près d’une fenêtre ne paraissait pas très attentif et beaucoup plus intéressé par les nuages qui passaient dans le ciel. Mais en fait, grâce à moi il avait peut-être tout simplement atteint le firmament d’une vie intellectuelle contemplative ?
10 commentaires
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30 janvier 2022 à 15:08
Dan-visseur nuageux
La contemplation des nuages a un coût, si ce n’est un prix : » Le budget 2022 du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation s’élève à 24,6 Md€ : c’est le 4e budget de l’État. »
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
Amen…mais pourquoi se préoccuper du reste, de la redistribution, des fameuses « inégalités « , mantra de la pensée contemporaine (cf. Tocqueville)…
Rêver est le summum de l’activité sociale la plus égalitaire – et nul n’est besoin de comprendre ou de réfléchir pour contempler
bacheliers, venez vous inscrire à la contemplation intellectuelle, prélude à la méditation de pleine conscience
30 janvier 2022 à 15:28
Marcel P
L’Université est condamnée à jouer un rôle de garderie tant qu’elle n’établira pas de concours d’entrée.
Ce n’est pas possible d’accueillir les étudiants dans de bonnes conditions lorsqu’on accepte en leur sein tout ceux qui ont été refusés pour des filières courtes professionnalisantes.
Finalement, les Universités en France accueillent les étudiants comme la France accueille les migrants. La générosité de l’accueil se paye et, très vite, elle signifie un accueil très très médiocre, y compris pour ceux qui étaient réellement en capacité d’y réussir.
30 janvier 2022 à 16:36
Rachel
@Dan, c’est la période des JPO (journée portes ouvertes), et curieusement l’élévation intellectuelle contemplative ne semble pas être la priorité des étudiants. Les questions sont plutôt : qu’est-ce que vous faites ? Comment c’est organisé ? est-ce qu’il y a des stages ? est-ce qu’il y a des relations avec les entreprises ? Dans quels secteurs d’activité vont les diplômés ? mais il est vrai que j’enseigne dans une école d’ingénieurs, et j’imagine que les candidats à une vie contemplative vont ailleurs …
@Marcel, mais ce concours dont vous parlez, il existe ! c’est le bac ! il est considéré comme le premier grade universitaire, et d’ailleurs le jury du bac est présidé par un universitaire qui se porte garant du niveau du candidat.
30 janvier 2022 à 18:23
Fubar
Le bac n’est pas un concours, chère Rachel. C’est un examen. Cela dit je n’ai jamais compris pourquoi on ne pouvait pas à la fois produire de la connaissance pour la connaissance et permettre aux étudiants d’apprendre suffisamment de choses pour pouvoir ensuite mener une vie professionnelle satisfaisante (mais des collègues m’ont dit que je n’avais RIEN compris). Je suis assez d’accord avec Marcel P., accueillir tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas été pris ailleurs (mais dans la limite des places disponibles, même si cette limite est régulièrement, par la grâce du rectorat, distendue comme l’élastique d’une vieille culotte), sans pouvoir vraiment contribuer à leur réussite et alors même qu’ils rêveraient d’être ailleurs, c’est épuisant et frustrant pour tout le monde et ça n’a pas grand sens. Mais ça ne changera jamais puisque quand on a le choix on va en prépa.
30 janvier 2022 à 18:53
Rachel
@Fubar, d’accord ce n’est pas un concours, c’est un examen et un diplôme. Mais c’est aussi le premier grade universitaire (ce que je trouve un peu incompréhensible). C’est un argument qui est souvent utilisé pour justifier les portes grandes ouvertes aux formations dans les universités sans sélection (le bac servant à cette sélection). C’est une pratique qui date d’avant la grande massification et que les universitaires n’ont jamais remis en question. Ensuite qu’ils ne viennent pas se plaindre du niveau des étudiants … ! et dans ce contexte, il est assez logique que les meilleurs étudiants cherchent à fuir l’Université. On a ce qu’on mérite.
30 janvier 2022 à 23:13
Victor
@Rachel : un grand nombre d’universitaires s’opposent à la non-sélection à l’entrée à l’université (en témoignent les efforts mis en place pour développer des double-licences , filières prépa-concours,… qui permettent de sélectionner les étudiants et de proposer un volume horaire d’enseignement un peu moins indécent). Ils n’en reste pas moins qu’ils sont fonctionnaires, et qu’ils ont comme devoir d’appliquer les lois votées par la communauté nationale. Leur seul droit est celui de signaler à environ 50% des étudiants qu’ils sont loin d’avoir atteint le niveau attendu en fin de L1.
Ils ont tout a fait raison de se plaindre du niveau de leurs étudiants: c’est un immense gâchis de temps et de ressources pour tout le monde.
Les français ont décidé que les universités pouvaient uniquement dire « oui » ou « oui si » aux bacheliers.* C’est à eux qu’il faut adresser vos reproches !
* NB: Pour être précis, elles peuvent aussi dire non lorsqu’il n’y a plus aucune chaise disponible… mais elles reçoivent alors une lettre du recteur leur rappelant leurs obligations légales, et les invitant à mettre en place des TD de 18 à 20h en semaine et prévoir des TP/TD les samedis matins. Il faut bien occuper tous ces bacheliers :)
30 janvier 2022 à 23:34
Rachel
@Victor, oui la situation est trouble mais je n’ai jamais vu un mouvement solide d’universitaires réclamer la sélection, donc ce n’est pas évident qu’ils soient un grand nombre à la souhaiter. Cela conduit à faire des parcours complexes pour contourner le problème et ce n’est pas très lisible et complexe à organiser. Ou tout simplement considérer que la L1 est l’année de la sélection (car il faut donner une chance à chacun).
Oui on est obligé d’appliquer les lois ou les injonctions du recteur qui ne sait pas où placer certains étudiants dont personne ne veut. Mais les lois ne sont pas gravées dans le marbre et ça peut évoluer (chaque gouvernement fait sa réforme ESR avec une nouvelle loi). On a quand même des choses figées dans la glu, comme l’exemple du bac comme premier grade universitaire ou un jury présidé par un universitaire : tout ça date d’avant la grande massification (seuls les très anciens se souviennent de l’époque d’avant …).
Oui les capacités d’accueil peuvent être un critère, mais celui qu’on oublie un peu ce sont les capacités d’accueil en termes de moyens humains. Après on est obligés de développer des postes précaires ou autres vacations et heures complémentaires, ce n’est pas non plus satisfaisant. Du point de vue du recteur, je peux comprendre, c’est pas cher les vacations … et si les universitaires disent non, que pourra faire le recteur ? On n’utilise pas assez ce moyen de pression, je trouve. Pas étonnant qu’on ne nous donne pas de postes de titulaires étant donné qu’on est capable de faire tourner avec des vacataires …
31 janvier 2022 à 12:29
FBLR
@Rachel
« Du point de vue du recteur, je peux comprendre, c’est pas cher les vacations … et si les universitaires disent non, que pourra faire le recteur ? »
Il pourra demander à fermer des formations niveau M2 où il y a peu d’étudiants…
31 janvier 2022 à 14:07
Rachel
@FBLR, il a surement le pouvoir de le demander, mais dans ce cas il prend des risques car il sait très bien combien les universités sont attachées à leurs masters. Cela voudrait dire fermer des masters pour redéployer du potentiel humain vers de la L1 afin d’accueillir des étudiants médiocres que personne ne veut ailleurs (et beaucoup viendront par défaut et la quasi-totalité va échouer). Franchement, je ne vois pas bien le gain de l’opération. Doit-on obéissance absolue au recteur ou bien peut-on envisager une prise de position collective des universitaires qui dirait « nous ne voulons plus que les universités servent de variable d’ajustement et pour des solutions qui sont le plus souvent très inadaptées aux profils des néo-bacheliers concernés » (peut-être c’est naïf de dire ça ?).
1 février 2022 à 01:47
FBLR
@Rachel
Le problème est moins une question d’obéissance absolue que de financement…
En outre, beaucoup utilisent les personnes qui arrivent en L1 pour négocier des postes dans un jeu très dangereux.