
Il y a près de 2000 recrutements d’enseignants chercheurs chaque année. C’est une organisation lourde qui est mise en place pour faire ces recrutements et qui fait suite à des processus encore plus lourds en amont pour la définition des postes (multiples réunions, conflits à gérer, définition des profils, …). Le recrutement n’est pas pris à la légère à l’Université et tout est surveillé de très près. Sur ces 2000 recrutements, la très grande majorité se déroulent de façon très correcte. Hélas certains connaissent des aléas de divers natures et quelques-uns se terminent en scandales. Ces derniers font la une des médias et on ne retiendra que ceux-là …
Aujourd’hui je vais vous raconter le scénario d’un recrutement datant de quelques années, dans mon environnement proche. J’étais dans le comité de sélection. Ce recrutement n’est pas à ranger dans la catégorie des scandales, loin de là, mais il illustre certaines difficultés qui peuvent intervenir au cours du processus. On tentera alors d’en tirer quelques enseignements.
Voici donc l’histoire :
Avant même la publication du profil du poste de maître de conférences, le chef d’équipe de recherche avait déjà prospecté à la recherche de bons candidats. Il voulait consolider son équipe par l’intégration d’une compétence absente dans le labo. Trois très bons candidats sont identifiés, possédant tous un solide dossier recherche. Les trois viennent visiter le labo (séminaire, discussions, …). On s’attend alors à un concours de haut niveau.
Le jour de la première session du comité de sélection (CoS), qui correspond au tri des dossiers et au choix des candidats qui seront auditionnés, sans surprise les trois très bons candidats sont retenus. On retient aussi trois autres « seconds couteaux ». Précisons ici qu’il n’y avait pas de candidats locaux. Il est décidé que l’audition se fasse sur une journée. Il est donné 45 minutes à chaque candidat, incluant les questions.
Deux jours avant la journée d’audition, l’un des trois bons candidats se désiste. Il vient d’apprendre qu’il a été retenu sur le concours CNRS.
La veille au soir de la journée d’audition, on apprend qu’un second bon candidat a été classé 1er sur un autre poste MCF. Il annonce en fin de soirée qu’il prend ce poste et donc il annule son audition.
Le matin du concours, on apprend qu’un « second couteau » renonce également, pour une raison inconnue. Il reste donc trois personnes à concourir. Le comité de sélection étant réuni, on discute un peu pour voir si on peut adapter le concours à la situation mais ce n’est pas possible à cause des heures de convocation, des temps qu’on a accordé aux candidats et bon ce n’est pas possible de modifier une procédure qu’on a affiché (peur des recours …).
Les deux « seconds couteaux » passent en premier et font une performance moyenne, en phase avec leur dossier moyen lui aussi. Le dernier « bon candidat » passe en dernier et il fait une prestation lamentable. Il ne fait aucun effort de pédagogie pour expliquer sa recherche de sorte que plus de la moitié des membres du CoS ne comprend rien. Il n’a manifesté aucun intérêt pour l’enseignement et il est resté quasi sans réponse aux questions à ce sujet. Le chef d’équipe est livide et on comprend tous qu’on a un sérieux problème.
La discussion finale a été longue et très tendue. Le chef d’équipe a défendu malgré tout son dernier « bon candidat », arguant que c’était un bon chercheur en dépit de sa présentation pédagogiquement très mauvaise. Mais d’autres membres du comité ont défendu l’idée qu’on recrutait aussi un enseignant … après une longue bataille le chef d’équipe a fini par capituler, comprenant qu’il était mis en minorité. Une question a alors été posée : et si on déclarait le concours infructueux ? Là il y a eu deux arguments qui ont été mis en avant pour écarter cette idée (1) on ne sait pas si on pourra garder le support de poste pour l’année prochaine. Si on ne le pourvoie pas, il y a un risque qu’il soit redéployé ailleurs l’année suivante, donc perdu pour le labo (2) on n’a pas d’arguments pour dire que la présentation des deux « second couteaux » était mauvaise au point de les écarter, on avait bien retenu leurs dossiers … et qu’allons-nous écrire sur le PV du concours ? à tous les coups on va se prendre un recours ! On a fini par classer les deux « second couteaux » mais pas le troisième « bon candidat ».
Quelques années après la prise de fonction de la personne retenue, le bilan est mitigé. Ce n’est pas catastrophique mais c’est loin du bon recrutement avait été envisagé initialement pour apporter une plus-value à l’équipe de recherche. Coté enseignement, le bilan est lui aussi assez moyen.
Conclusion
Avec cet exemple, qui n’est certainement pas unique, on peut tirer quelques enseignements et proposer quelques recommandations :
- Quand une Université s’engage pour un recrutement, elle devrait le faire dans la durée et demander aux équipes (pédagogique et de recherche) de prendre leur temps. L’affichage du poste devrait être garanti pour une durée de 3 ans. Ainsi, on n’hésiterait pas à déclarer un concours infructueux.
- On a ici un exemple d’un inconvénient de la campagne synchronisée, durant laquelle la grande majorité des concours se déroulent en même temps et se chevauchent par ailleurs avec ceux du CNRS. Cela augmente fortement la probabilité d’aléas.
- Pour la session finale (audition), il ne faut pas multiplier le nombre de candidats et il faut éviter ceux qu’on convoque pour faire de la figuration. Il est préférable d’avoir peu de candidats en lice (après le tri des dossiers) et passer plus de temps avec eux dans cette phase finale. Les 45 minutes d’audition ne sont pas suffisantes. Le format doit être refondu complétement.
13 commentaires
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11 décembre 2020 à 13:53
Albert Deboivin
@Rachel, est-ce que le système de tenure track pourrait aider à minimiser les conséquences néfastes des recrutements ratés?
Dans mon labo, il y avait un recrutement d’un PR complètement raté. Là, cette erreur a coûté très cher à mon laboratoire…
11 décembre 2020 à 14:16
Gueux
@Rachel: Que d’évidences ! Bien sûr que l’université doit s’engager à reconduire automatiquement les postes non pourvus faute de candidat satisfaisant. Et bien sûr aussi qu’il ne faut pas auditionner des gens juste pour faire de la figuration (les déplacements des candidats devraient être payés par l’université et le labo d’accueils, ce qui limiterait ce genre de comportement).
Mais même sans cela, recruter à tout pris quelqu’un qui ne fait pas l’affaire de peur de perdre un poste, c’est tout simplement hallucinant. Dans le labo dont vous parlez, les gens préfèrent travailler avec un bras cassé à productivité négative plutôt qu’avec personne ? (Si oui, ça en dit long sur le niveau du labo.) Et en tant que contribuables, ils sont contents que leur argent serve à payer des fonctionnaires recrutés avec ce genre de critères ?
Et quelle peur de recours ? Où est il écrit qu’un auditionné devait être forcément classé ?
Pour info, j’ai participé à des comités de sélection où personne n’a été classé et même, une fois, aucun auditionné.
11 décembre 2020 à 14:24
Dan- visseur non statutaire
le drame, c’est qu’une fois recruté, si c’est une erreur, il n’y a pas de marche arrière, sauf la promotion du « mauvais » dans une autre entité. Cela pose la question d’un statut hyper-protecteur. Quelle que soit la procédure de recrutement, il n’y a jamais de « garantie » – donc il faut, au moins, une période d’essai (six mois en général) et ce n’est pas toujours suffisant : certains arrivent à faire illusion pendant six mois. C’est la vraie vie.
11 décembre 2020 à 14:29
Gueux
@Dan: Pour les MCF, il y a une période d’essais d’un an. Mais pour ne pas être titularisé à la fin, il faut y aller sévère.
11 décembre 2020 à 14:32
Albert Deboivin
Et au niveau PR c’est la titularisation de suite. Donc, même pas de stage (ou de la période d’essais en termes de Gueux)…
11 décembre 2020 à 14:41
Rachel
@Albert, je ne sais pas, je ne suis pas fan des tenure tracks. C’est aussi assez éloigné culturellement de nos pratiques et de notre obsession du concours à la française.
Je pense plutôt qu’il faut rénover nos concours et prendre le temps de mieux connaitre les candidats. Il y a trop de choses qu’on ne connait pas avec le concours tel que nous le pratiquons aujourd’hui. Par exemple, j’aurais pu raconter aussi l’histoire du MCF qui a un bon dossier mais après quelques années de prise de fonction, on s’est aperçu qu’il était incapable d’écrire la moindre publication. Ses publications avaient été écrites par son directeur de thèse puis par des membres de l’équipe dans laquelle il avait fait son post-doc. Dans un environnement qui est fortement un travail collaboratif, comment on fait pour y voir clair dans la valeur des personnes qui sont membres du collectif ? C’est peut-être plus un problème pour les « sciences dures » ?
Outre rénover le mode de recrutement, une autre chose qui serait possible, c’est d’allonger la période de stage à 2 ans et mettre à ce niveau une vraie évaluation de l’intégration. Ce qui se fait aujourd’hui est trop léger. Mais là encore, ça rajouterait de l’évaluation, du temps d’incertitude quoique l’EC qui fait correctement son boulot n’aurait rien à craindre.
@Gueux, apparemment, ce qui est une évidence chez vous ne l’est pas chez moi … comme je le dis dans le billet, ce que je raconte ne doit pas être considéré comme quelque chose de commun. La situation de crise soudaine a pris tout le monde de court. S’il y avait eu quelques jours entre l’annonce des défections et le jour de l’audition, peut-être que ça se serait passé différemment.
11 décembre 2020 à 15:12
Albert Deboivin
@Rachel, votre histoire d’un autre MCF ne m’étonne guère. Dans le livre « Feynman’s rainbow » par L. Mlodinow on peut trouver une description rapide d’un jeune collègue trop vite recruté à CalTech après une brillante thèse en physique théorique. Le problème c’est qu’après son recrutement, il n’a jamais plus rien produit dans la science…
D’ailleurs, ce genre de personnages ne pose pas de soucis particuliers dans le système américain car ils se retrouvent graduellement sur les postes des enseignants (on appellerait ça la modulation des services en France).
11 décembre 2020 à 15:47
Lorne
Dans certaines universités étrangères, aux procédures de recrutement légèrement plus sophistiquées que les nôtres (tant dans la forme que sur le calendrier), un ou une représentant-e des étudiants participe à l’ensemble des discussions. On m’a dit en particulier qu’il ou elle prenait contact avec son homologue de l’université où exerçait actuellement le candidat (quand c’était le cas) pour avoir des infos. Et le ou la représentant-e des étudiants pouvait mettre à veto au classement premier d’un candidat
11 décembre 2020 à 16:13
Rachel
@Albert, la modulation des services est un sujet qui fâche en France. Pourtant, je connais des EC qui seraient, à mon sens, mieux à l’aise avec une casquette « enseignant du supérieur », avec un lien fort avec le labo mais sans pour autant qu’ils aient le déshonneur d’être de piètres publiants. J’en connais qui s’investissent fortement dans l’encadrement de stagiaires et c’est très profitable pour le labo. Encore faudrait-il qu’il y ait des voies de valorisation d’un investissement dans l’enseignement, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.
@Lorne, je ne connaissais pas cette pratique d’impliquer un étudiant. Pour avoir des infos sur le passé d’un candidat dans d’autres environnements, on peut passer un coup de fil mais on a des réponses qui peuvent être très biaisées. A quoi pourrait ressembler un recrutement plus sophistiqué ? La préparation d’un cours qui serait dispensé devant des étudiants ? Une petite période de quelques jours d’immersion dans le labo avec séminaires ?
J’ai lu récemment que certaines préconisaient un retour à des modalités nationales de concours à partir d’épreuves suivies d’affectation dans les universités. https://theconversation.com/debat-les-pratiques-de-recrutement-des-enseignants-chercheurs-sont-elles-equitables-149562
11 décembre 2020 à 16:15
Gueux
@Lorne: Et dans certaines universités étrangères, il est demandé de faire un cours devant de vrais étudiants, à qui on demande leur avis, et cela compte. (Ces étudiants n’y vont d’ailleurs pas de main morte sur la critique.)
11 décembre 2020 à 18:24
Albert Deboivin
@Rachel, je suis d’accord avec vous: tout investissement (dans l’enseignement ou dans la recherche) devrait être encouragé et recompensé … dans le meilleur des mondes.
12 décembre 2020 à 12:12
Cédric
Oui, il faut refonder nos concours. 45 min d’audition pour une personne que nous prenons à vie est hallucinant. Il n’est pas rare dans le privé qu’il y ait au moins trois entretiens de 1h30 au moins pour recruter quelqu’un. Sommes-nous des bons décideurs et jugements de personne? Je ne le pense pas tout le temps. Donc oui, une journée d’immersion dans un labo et dans une classe: faire un cours; discuter avec les collègues pour l’insertion. Cela devrait être la règle. Oui, cela alourdira la procédure mais au moins, nous pourrions espérer moins de mauvaises surprises.
Après, je ne connais pas les réglements mais pourquoi ne pratiquons-nous pas ce mode d’audition?
Quant à ne pas prendre de candidats et le risque de perdre le poste, cela nous ramène à la lourdeur et l’incapacité de notre système à évoluer et se mouvoir. Cela montre aussi le manque de prospective du labo et de l’université
12 décembre 2020 à 14:28
Lorne
Oui, globalement les procédures « plus sophistiquées » s’adossent en particulier à des épreuves dans la durée: depuis le cours devant un amphi d’étudiants, qui effectivement donnent leur avis, un cours plus spécialisé, un séminaire, une rencontre informelle avec tous les collègues, avec les délégués étudiants, des moments de convivialité partagé, mais aussi dans le même temps le recours à des experts très extérieurs pour un avis sur le dossier scientifique; et effectivement la possibilité de ne pas pourvoir le poste à la première campagne
toute une partie pourrait être mise en oeuvre en France, dès lors que l’on s’assure que la procédure est EXACTEMENT (à la minute près) la même pour tous les candidats. C’est peut être là le hic, la suspicion systématique qu’une telle procédure permettrait du favoritisme