Il y a quelques jours, j’ai vu passer une série de messages sur CuiCui d’un MCF qui pestait car il n’avait pas eu sa PR-qualification du CNU. La raison semble être qu’il n’a pas assez de publications. Il s’agit d’une personne qui est impliquée dans beaucoup d’actions de médiation scientifique. Pour manifester son mécontentement, il interpelle la ministre et son président d’université pour dire, en substance, qu’il abandonne toute action de médiation scientifique pour se focaliser sur sa production de publications : « J’arrête le superflu : la vulgarisation et les services à la collectivité. Bye bye la fête de la sciences, les journées portes ouvertes, le salon de l’étudiant, le pint of science, l’accueil de stagiaires, ... »
Je peux comprendre la déception de ce MCF. Toutefois, je pense qu’il se trompe de cible. La ministre et son président d’université n’y sont pour rien. C’est le CNU qui lui a refusé sa qualification.
Ce blog a déjà consacré plusieurs billets sur le thème de la qualification du CNU (lire « supprimer la qualification du CNU ? », par exemple). On se souviendra avec nostalgie de la mini-crise de 2013 où les écolos avait tenté de faire passer un amendement en douce au sénat lors de l’écriture de la loi Fioraso (billets « la qualification sur la sellette du sénat », « enfumage à tous les étages » !. Sur cette tentative avortée des écolos, j’ai tout résumé dans un billet « qui c’est les plus fort évidemment c’est les verts ! ». Un autre résumé au vitriol : l’assujettissement universitaire. La sphère universitaire pavlovienne et conservatrice était en panique, on avait bien rigolé !
Qu’est-ce que la qualification du CNU ? sur le site du ministère on peut lire que « La qualification est une étape nécessaire pour être éligible à une candidature aux corps de professeurs des universités et de maîtres de conférences ». C’est une spécificité française, sans équivalent à l’étranger.
A quoi sert la qualification du CNU ? D’après certaines personnes, la qualification du CNU garantit une homogénéité à l’échelle nationale, protège du localisme ou du copinage, garantit la qualité des thèses. Pour d’autres personnes, elle ne sert à rien.
Localisme et copinage : je n’arrive pas à comprendre comment la qualification permet de lutter contre ces problèmes. Ce n’est pas le CNU qui recrute, mais les comités de sélection. C’est à ce niveau qu’il faut agir. Lire la proposition « réformer les comités de sélection ».
Garant de la qualité de la thèse : Cela laisse entendre qu’il y a un problème de qualité des thèses en France. Si ce problème est réel, il faudrait mieux le traiter en amont plutôt que par une commission ultérieure à laquelle le candidat n’est même pas auditionné pour défendre son cas. Voir mon billet « réformer les jurys de thèse ».
Quid de l’enseignement ? Le CNU évalue l’aptitude d’une personne pour être EC. Je ne sais pas trop comment l’enseignement est évalué. J’imagine que les candidats font un listing de leurs expériences d’enseignement. Mais comment les membres du CNU font pour savoir si cet enseignement est bien fait ou non ? C’est un mystère …
La qualification est chronophage : en 2019, le CNU examiné 15 800 dossiers (source ici). Combien de temps faut-il pour lire un dossier et se faire un avis ? Ça doit bien entendu dépendre des évaluateurs, mais j’estime qu’au grand minimum il faut une heure de travail par dossier. Cela représente 2×15 800 = 31 600 heures de travail (deux rapporteurs par dossier), soit environ 20 équivalents temps pleins. Si les évaluateurs du CNU font réellement le travail d’évaluation avec lecture des travaux, il faut au grand minimum 8h/dossier. Il faut en effet lire les thèses des postulants MCF et se faire un avis (car le CNU se porte garant de la qualité de la thèse) et lire les publications des postulants PR. Dans ce cas, chaque évaluateur du CNU passe environ 30 jours à lire les dossiers, en ne faisant que ça 8h par jour. Dans ce cas, ça porte le volume à environ 120 équivalents temps plein. Ensuite il faut ajouter les 3-5 jours des travaux du comité en séance plénière des sections, avec 1740 membres titulaires au total, soit environ 7 000 jours d’EC occupés, donc 35 ETP. Et enfin, n’oublions pas les 15 800 candidats qui ont planché environ 3 jours à peaufiner leur dossier (environ 240 ETP !).
La qualification du CNU est onéreuse : En prenant l’hypothèse réaliste que les évaluateurs du CNU ne lisent pas les travaux, on arrive sur total ETP de 55 (20 + 35). Prenons un salaire net moyen de 2500 €/mois, soit 4300 en salaire chargé, cela donne au total 2,8 M€. Il y a les séances plénières pour lesquelles il faut se déplacer (frais de bouche, de transport et d’hébergement). Je compte une moyenne de 500 €/personne = 500 x 1740 = environ 0,9 M€. Ce chiffre ne comprend pas les frais inhérents à la bureaucratise occasionnée, qui consomme du temps de secrétariat et de gestion (ordre de mission, réservation, remboursements, …). Il faut aussi préciser que les membres du CNU sont indemnisés (1000 €/an). La qualification représentant à la louche 50 % de l’activité du CNU, on peut donc déduire que ça coute 1,7 M€ environ. Enfin, il y a une indemnité pour chaque dossier traité de 27 €. Comme il y a 15 800 x 2 dossiers, cela fait 0,86 M€. On arrive au total un chiffre qui est de l’ordre de 6 à 7 M€.
Mais revenons au plus important, c’est-à-dire à notre MCF qui s’est fait refuser sa qualification. Il est manifeste qu’il en a pris un gros coup sur le moral. Le CNU est directement responsable de la démotivation d’un certain nombre de collègues. Ça s’ajoute à ceux qui auront eu des mauvaises notes pour dossier de demande de promotion ou de prime … (car le CNU est une agence de notation).
En résumé, la qualification du CNU est chronophage, onéreuse et ne permet pas de donner la moindre solution aux problèmes auxquels elle est censée résoudre. Elle ne sert qu’à servir l’obsession de l’évaluation et le délire bureaucratique des universitaires. C’est donc une tartufferie et il faut militer sans relâche pour la supprimer.
107 commentaires
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7 mars 2020 à 12:09
Lecointe
Bonjour
Oui il faut supprimer la qualification car c’est une procédure typiquement française qui ne s’applique QUE pour l’enseignement supérieur !
Quand on veut vanter la qualité de nos chercheurs vers d’autres employeurs ( public ou privé) c’est un peu difficile et la remarque ironique est :
On les prendrait et vous vous êtes obligés de les qualifier !
Par contre il faut valider les ED et les thèses qui y sont soutenues de façon globale.
Vaste chantier
7 mars 2020 à 15:13
Jé
Bonjour Gaïa !
il est peut être facile de condamner l’ensemble d’un système, ici le CNU et la qualification, sur la base de dérives de quelques sections. Ne devrions nous pas, collectivement, essayer de déterminer des bonnes pratiques pour éviter des comportements contre-productifs de nos sections CNU ?
Je vois personnellement le CNU comme un garde fou, une instance ou des pairs, élu.e.s comme nommé.e.s, permettent de limiter d’autres dérives possibles : celles des comités de sélections et des établissements (dans le cas des qualifications). En fait, c’est pour moi un jeu de contre-pouvoirs entre les pairs du CNU et ceux des établissements qui finalement assure une certaine qualité pour les recrutements. J’ai connu des collègues qui, bien placé politiquement dans l’établissement, auraient réussi à faire recruter leur étudiant (leur âme damnée qui faisait “leur” recherche) alors que leurs publications communes étaient toutes dans des revues payantes de qualité nulle… J’ai aussi connu des sections CNU qui mettaient un avis global C à des dossiers PEDR avec 4 A… Finalement, comme nous ne sommes pas raisonnables, cette assemblage d’instance permet d’avoir un équilibre qui me semble être inaccessible sans cela.
Sur le coût engendré par la qualification au CNU… il ne faut pas oublier que tous les dossiers qui sont écartés car non qualifiés (encore faut il que cela soit pour des vraies et bonnes raisons, on sera d’accord là dessus je pense) sont autant de dossiers x le nombre de postes/section qui n’auront pas à être évalués en local. Le gain “financier” de la suppression de la qualification ne me paraît donc pas si évident. Notons aussi, que la qualification ne vise pas à rejouer le rôle d’un comité de thèse ou d’une revue d’article, mais finalement à labelliser l’ensemble du dossier. Donc non, on ne relis pas la thèse comme lorsqu’on doit rapporter dessus pour une qualification … sauf, si on en a envie :) .. (ha merde…oui, j’ai fait parti du CNU… :D).
Bref, essayons peut être de devenir collectivement meilleurs et de nous impliquer davantage dans les instances quand elles ne nous conviennent pas.
Au plaisir d’échanger,
7 mars 2020 à 15:25
Kiligolo
La qualification est chronophage… et inutile, puisque refait de toutes façons par 1) les comités de sélection 2) les collègues du laboratoire qui accueillent le postulant.
7 mars 2020 à 16:01
Rachel
@Jé, ne me faite pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne me base pas du tout sur des dérives de sections. Mon argumentaire est global.
Je comprends bien l’argument de garde-fou, mais dans ce cas ça laisse entendre qu’on ne se fait pas confiance entre collègues. Alors en quoi on ferait plus confiance au CNU ? Pourquoi les membres du CNU seraient plus intègres ? Comme vous le laissez entendre à juste raison,dans tout système, quel que soit la configuration, il y a des gens malhonnêtes, il y a des recrutements scandaleux (que le CNU ne peut pas parer) tout comme il y a des décisions scandaleuses du CNU, qui n’est pas exempt de polémiques troubles (que je n’ai pas citées).
Pour les affaires de coût, oui bien entendu, celui qui n’aura pas sa qualification ne pourra pas candidater. Mais celui qui l’aura eu fera sa candidature et donc ça fait doublon et c’est de l’argent gaspillé.
OK, vous ne relisez pas les thèses. Pourtant c’est souvent l’argument qui est utilisé (garant de la qualité de la thèse). Les membres du CNU disent toujours qu’ils font de l’évaluation qualitative, qu’il faut lire les travaux mais au final ils s’en tiennent à compter le nombre d’articles, de conf invitées etc. Souvent les membres du CNU s’insurgent des notations, mais en sections on passe son temps à mettre des notes (A, B, C). Est-ce que le membre du CNU pense un peu à l’impact que ça peut avoir sur un collègue ?
7 mars 2020 à 16:32
O.
Les recrutements locaux sont une pratique malheureusement courante. Sans la qualification, qui exclut un nombre important de dossiers, il est probable que certains départements procéderaient à des endo-recrutements de faible qualité scientifique. Autrement dit, la qualification ne permet pas d’empêcher le localisme et les camaraderies, mais elle limite les promotions douteuses et la multiplication de promesses mandarinales au sein d’une unité.
Il semble quasi-impossible d’empêcher les endo-recrutements, à défaut de les interdire ce qui ne semble pas être à l’ordre du jour. Au moins peut-on essayer de les limiter, la qualification en est un outil.
7 mars 2020 à 19:31
MCF19
De façon assez significative, les commentaires, favorables ou non au CNU, portent plutôt sur la question de la qualité scientifique des recrutements et de la façon dont le CNU permet ou non de s’en assurer. De fait cela reste malgré tout le critère principal de recrutement (j’ai pu l’observer dans les comités de sélection auxquels j’ai participé). Or le billet posait aussi la question de l’évaluation de l’enseignement. Entre les deux, c’est le grand écart. On recrute et qualifie sur des critères d’excellence scientifique des gens qui devront au final passer la moitié de leur temps à enseigner à un public, en L1 et même au-delà, qui pour, une grande part, est à des années-lumières de toutes ces préoccupations scientifiques. En fait il y a deux métiers largement dissociés, enseignant et chercheur. Nous sommes censés être des couteaux-suisses autrement dit. Enfin, quand nous arrivons à tenir les deux et ne perdons pas une ou deux lames plus le tire-bouchon à l’usage. Un peu comme si l’armée… euh, non, je n’ai rien dit: elle aussi forme des combattants pour se balader dans les gares à faire du Vigipirate. Bref, il y a comme un problème de GRH, qui nous renvoie au précédent billet.
7 mars 2020 à 19:35
Tata FUBAR
La qualification fait revenir l’être aimé, guérit toutes les maladies à distance, répare votre ordinateur et vous donne les chiffres gagnants de l’Euro-million.
Personnellement je suis bouche bée devant les arguments en défense. Le CNU pourrait avoir d’autres fonctions, mais celle-là est un archaïsme maintenu contre vents et marées par un milieu universitaire atrocement conservateur, et par des syndicats qui ne défendent plus rien et y voient l’occasion de montrer qu’ils existent.
Il fut un temps où j’étais pour la suppression pure et simple du CNU. j’ai ensuite mis un peu d’eau dans mon vin en me disant qu’on pouvait lui confier les primes, CRCT et avancements (et retirer ce qui a été donné aux universités), mais comme dans certaines sections il ne s’agit plus que de distribuer 9 semestres par ans (dans la mienne, la 11) voire moins: maintenir l’armée mexicaine me paraît risible.
Quant à la « garantie d’un niveau égal sur tout le territoire », c’est tellement pourri comme argument (pourtant souvent entendu) que je me tiens les côtes de douleur tellement je ris.
7 mars 2020 à 19:49
Jé
@Rachel
Je suis désolé, je parle de mon expérience comme d’une généralité. C’est un tort. Effectivement, il y a des variations de fonctionnement entre chaque discipline.
Pour compléter et répondre, je ne disais pas qu’on ne lit par les thèses, je dis juste qu’on n’a pas à la lire comme un rapporteur.
Je ne dis surtout pas que les membres du CNU sont plus intègres que les collègues qui n’en font pas partie. Cependant, ils ne le sont d’ailleurs pas moins. Je pense juste que la dualité entre des instances locales (pour les recrutements, les promotions, les primes, etc) et le CNU représente pour moi un bon compromis pour se prémunir de certaines dérives.
Pour les notations, j’ai pas l’impression que les membres du CNU puissent faire autrement vis-à-vis des injonctions « administratives » quand il faut « classer » des dossiers. Ce que je sais pour l’avoir vécu et pour avoir vu les collègues autour de moi, c’est que les session PEDR et promotions sont démoralisantes. Sincèrement. L’impuissance que l’on ressent à ne pas pouvoir récompenser les collègues qui sont derrières ces dossiers ne laisse, réellement, pas indemne. Je ne crois vraiment pas que les collègues membres du CNU puissent être indifférents à l’impact que ces notations ont. La plupart ont souvent d’ailleurs vécu la situation des deux côtés.
J’entends vos arguments, mais pour moi, ils conduiraient plutôt à réfléchir à une amélioration de toutes ces instances et non pas à les supprimer, en particulier le CNU.
7 mars 2020 à 21:01
Rachel
@Tata Fubar, ça me fait plaisir de vous revoir. Savez-vous que vous êtes une star ici ? quand vous me boudez, les gens m’écrivent pour me demander « ben elle est où tata Fubar ? ». Il suffit que vous postiez un commentaire pour que l’audience s’emballe, au point que je soupçonne que mes abonnés le sont en fait à vos commentaires … oui encore une fois vous avez raison, le CNU c’est notre fierté nationale, notre repli identitaire et communautaire, un îlot aux vertus bienfaisantes (que vous avez tellement bien résumé), bref un bastion à défendre contre tous ces politiques qui veulent détruire notre service public.
@MCF19, le 19 c’est pour votre section CNU ? juste une petite question, qui s’adresse aussi aux autres lecteurs EC : en terme d’identité, êtes-vous plus attachés à votre section CNU ou à votre université ? Oui la question de l’enseignement est vraiment centrale et de toute évidence défaillante te quand on parle recrutement des EC. Je pensais avoir fait un billet là-dessus, pour raconter mon expérience de comités de sélection, mais je ne le retrouve pas. Sur ce sujet, les comités de sélection ne font guère mieux que le CNU. En ce qui concerne l’enseignement en L1, je me demande si on ne devrait pas y mettre des enseignants à plein temps ?
7 mars 2020 à 21:18
Gueux
@Rachel : Vous pouvez mettre qui vous voulez pour enseigner en L1 (de l’instituteur débutant au PREX en passant par l’éduc-spé et la nounou), rien ne changera tant qu’on laissera passer des cancres au prétexte que les taux d’échecs ne peuvent pas être trop élevés.
7 mars 2020 à 21:59
Rachel
@Jé, je pense que les évaluateurs du CNU font de leur mieux, mais pour ces discours qui disent qu’ils lisent les travaux, j’ai du mal à y croire. Pourtant, ils se disent garants de la qualité de la thèse, donc ça devrait vouloir dire qu’ils lisent les thèses. Combien de temps il faut pour lire une thèse et se faire un avis sur sa qualité ? Une demi-journée ? Une journée ? bien entendu il ne s’agit pas d’être rapporteur de la thèse, mais il faut quand même faire un rapport d’évaluation de qualif, non ? Par ailleurs, les membres du CNU sont souvent à la pointe des combats contre l’HCERES et partisans d’une évaluation qualitative, mais au CNU ils se livrent à une évaluation quantitative sans se poser de questions. J’avoue ne pas comprendre.
J’ai déjà proposé dans les deux billets cités (recrutement des EC et jurys de thèse) un rôle que pourrait avoir le CNU (tout le reste à jeter à la poubelle, à mon sens), je crois qu’il faut redéfinir tout ça, ça devient trop désuet et inadapté.
Notez que dans mon billet, je milite pour la suppression de la qualification, je n’ai pas mentionné la suppression du CNU (ça sera pour un prochain billet, peut-être, si personne n’arrive à me convaincre ici que le CNU sert à quelque chose …).
@Gueux, alors j’étends à toute la licence !
7 mars 2020 à 22:07
Gueux
@Rachel : Ben oui, et au Master et au Doctorat aussi. Si on « interdisait » pas de facto l’échec à la thèse, il n’y aurait pas besoin de qualif et donc du taff en moins pour le CNU ;-)
8 mars 2020 à 11:24
Lorne
J’ai toujours été fascinée par le fait que les mêmes EC seraient davantage vertueux au CNU que dans les recrutements. En bref, on a toute sa tête à Paris et on fait n’importe quoi en province (argument vieux comme le monde dans la justification de la création du CNU). Et parce qu’évidemment, les facs parisiennes sont plus rarement suspectées de localisme, leurs candidats étant par nature tellement supérieur aux provinciaux…
Mais surtout, la question de l’endorecrutement dérape systématiquement sur un jugement extrêmement dépréciatif. Or, on peut aussi se poser la question de l’ajustement du recrutement aux besoins locaux. N’est-il pas plus pertinent de recruter quelqu’un qui s’investira sur place, car il y est déjà (hello les turbos), et ne rechignera pas (car ses ambitions de recherche ne seront pas internationales) à prendre en charge largement du L. Après tout, n’a-t-on pas besoin de beaucoup d’enseignement pour les années de L? Ah, non, j’oubliais: il y faut surtout des chercheurs. Mais c’est marrant, on y trouve en fait surtout des précaires…
Il y a des choses que je ne comprends pas
8 mars 2020 à 12:14
Tata FUBAR
@Rachel, quelle flatteuse vous faites! Il suffit de prononcer deux acronymes, CNU et HDR, pour me voir rappliquer telle les deux chiens d’Higgins dans Magnum. Hélas, le manque de temps m’impose la rareté (car je dois faire mon HDR si je veux avoir un jour une chance de muter, comme le corona-virus.
8 mars 2020 à 12:22
MCF19
@ Rachel. Oui 19, c’est pour ma section CNU, sociologie. Ce que je dis dans le commentaire ci-dessus, je l’ai d’ailleurs développé en 2018, dans une perspective plus sociologique, au sujet de Parcoursup et des fameux prérequis. Je me permets d’y renvoyer http://www.anthropiques.org/?p=1667
8 mars 2020 à 13:40
Rachel
@Lorne, il y a un autre point intéressant, que j’ai oublié de dire dans mon billet : la procédure de qualification se fait AVANT la publication des postes ouverts au concours. On juge donc d’une adéquation sans même savoir avec quoi ça pourrait être adapté. On marche vraiment sur la tête. Sur twitter, j’ai fait un appel pour des défenseurs de cette qualification, j’espère qu’ils vont venir.
@Fubar, encore en train d’écrire cette HDR ? Mais ça fait au moins 10 ans que vous nous promettez de la passer dans l’année … vous vous moquez de nous, n’est-ce pas ? Chez nous (les durs) on n’en fait pas tout un plat, on a trouvé une solution pragmatique pour passer cette étape. Vous manquez d’imagination chez les mous ?
@MCF19, les sociologues ne fréquentent pas trop mon blog, d’ordinaire. Je me demande si vous ne seriez pas le premier ? Merci beaucoup pour le lien, c’est un long texte mais en picorant quelques paragraphes, il m’est venu de nouvelles idées de billets ! Promis je prendrai le temps de faire une lecture attentive. (Rq: les prérequis, c’est ce qu’on discute dans le billet précédent).
8 mars 2020 à 15:24
Jé
@Rachel « la procédure de qualification se fait AVANT la publication des postes ouverts au concours. On juge donc d’une adéquation sans même savoir avec quoi ça pourrait être adapté. » -> il me semble que cela n’a jamais été le but de la qualification, non ?
8 mars 2020 à 15:25
Jé
En tous cas, le CNU a au moins l’avantage d’animer nos soirées… :D
8 mars 2020 à 16:12
Rachel
@Jé, oui ! et dire que je disais que la qualif ne servait à rien, quelle mauvaise langue je suis ! Le CNU et sa qualif, ça fait réagir beaucoup plus que tout le reste. La LPPR, la réussite en licence des étudiants, l’ANR … tout ça on s’en fout, mais la qualif, c’est un peu notre talisman à nous. Si on l’enlève, ça va vraiment nous désorienter !
8 mars 2020 à 21:56
Gueux
@Lorne : Moi non plus il y a des choses que je ne comprends pas. Trouveriez vous normal de payer un pilote de ligne pour servir des cafés dans l’avion ? Que ce pilote réclame la reconnaissance de son boulot de serveur ? Je suppose que non. Alors pourquoi trouvez vous pertinent de recruter un EC pour faire de l’administration de licences ? De reconnaitre ces corvées, qu’il/elle n’aurait jamais dû accepter, pour le/la promouvoir ?
8 mars 2020 à 22:07
Gueux
@Lorne : Le CNU n’est pas plus vertueux que les comités locaux ; on y retrouve souvent les mêmes apparatchiks. L’avantage d’avoir le CNU est l’espoir que ce dernier ne déconne pas en phase avec son université. Ainsi on a une chance au grattage et une chance au tirage. C’est mieux, non ?
9 mars 2020 à 00:43
Martin Andler
Merci Rachel pour avoir mis les pieds dans le plat, avec d’excellents arguments. Il semble que la suppression de la qualif ne soit pas à l’odj, alors qu’elle devrait l’être. Ce qui est frappant, c’est que ceux qui sont le plus opposés à la suppression de la qualif sont souvent dans des disciplines dans lesquelles les points de vue sont tellement divergents, parfois pour des raisons politiques, que les génies pour les uns sont les gros nuls pour l’école adverse ; donc où le risque d’une décision injuste sont les plus forts. Comme au CNU il y a des membres nommés, il peut y avoir des nominations très politiques. Sans qualification, on autorise bien mieux les universités à faire des choix différents de points de vue.
9 mars 2020 à 16:14
François Vatin
Personnellement, je n’ai jamais compris l’opposition de principe à la qualification nationale, qui me paraît, dans son principe, organiser un jeu sain entre une instance nationale et une instance locale. L’instance nationale reconnaît une compétence sur des bases très large, l’instance locale choisit en fonction de besoins spécifiques.
La suppression de la qualification induirait plusieurs problèmes.
– D’abord, ce dispositif protège l’instance locale sur la légitimité de principe de son choix : tous les candidats sont jugés légitimes pour occuper un poste de maitre de conférences ou de professeur; il ne s’agit pas de déterminer le « meilleur » dans je ne sais quel absolu, mais celui dont on a besoin dans un contexte déterminé.
– Ensuite, l’argument relatif au doctorat me semble doublement dangereux. D’une part, tous ceux qui en ont eu l’expérience, au temps où les jurys de doctorat délivraient encore des mentions, savent la grande difficulté à laquelle se heurtent les jurys de doctorat : chacun de ses membres ne participent qu’à un nombre très réduit de soutenance dans l’année et ne peut donc avoir une vue « panoramique » de la discipline; c’est pourquoi il était absurde de nous demander de ne délivrer que 10 % de « Félicitations »; sur quelle base pouvions-nous baser pour ce faire ? Il est donc normal que le niveau des doctorats soit hétérogène. Je dirais même plus, c’est nécessaire alors que l’on cherche à faire valoir le doctorat en dehors de l’espace académique. Qu’il y ait des docteurs destinés à l’enseignement supérieur (docteurs qualifiés) et d’autres qui ne le sont pas (docteurs non-qualifiés) ne me choque donc pas.
Pour moi, les réformes à faire sont ailleurs.
1. Changement de la composition des sections CNU pour lesquelles je préconise le tirage au sort, Nous ne disposons plus d’organisations-relais représentatives. Aussi, ces élections sont devenues sans objet. J’ai pu noter que le désir de candidater était souvent proportionnel aux avatars de la carrière. Par ce mécanisme d’auto-déclaration, les sections de CNU ne sélectionnent pas les « meilleurs », mais, statistiquement, les plus ambitieux, les plus politiques, les plus frustrés, ceux aussi qui ne font pas passer leur travail de recherche avant les positions de représentation. Tout maître de conférences, tout professeur, sont habilités à faire entrer de nouveaux collègues dans le corps. Je ne vois donc pas ce qui empêcherait le tirage au sort (ce qui supprimerait la nécessité de compléter la commission par des membres nommés), sachant que pendant le temps où l’on siège, on se verrait priver de la possibilité d’obtenir une promotion. Pour que cela ne soit pas trop dissuasif, on pourrait accélérer la rotation (tous les deux ans par exemple). La participation au CNU deviendrait alors un moment incontournable et récurrent de la vie professionnelle des enseignants-chercheurs, cassant l’effet de caste que l’on connaît aujourd’hui.
2. Retour à une organisation plus proche des anciennes commissions de spécialistes. Les comités de recrutement, censés moraliser les élections d’enseignants-chercheurs ont eu l’effet exactement inverse. Les commissions de spécialistes avaient une existence pérenne. Leurs membres apprenaient à se connaître, ils avaient une expérience commune qui limitaient certaines manipulations. Les comités de recrutement ont été pensés selon le modèle des écoles où le chef d’établissement se mobiliserait pour chaque recrutement. Comment a-t-on pu imaginer que cela pouvait être le cas dans les universités ? La loi Pécresse a été écrite par des personnes qui ignoraient tout de l’université. On a ainsi renforcé des petits pouvoirs locaux disciplinaires, car tout se joue au moment de la composition du comité. Que penser, par exemple (je l’ai vu), de comités où tout le jury d’HDR d’un candidat est présent ? Que penser (je l’ai vu aussi) de personnes participant comme maîtres de conférence à un comité alors qu’elles candidatent la même année comme professeur dans le même établissement. Nous avons affaire à un luxe de précautions procédurales (quorum d’extérieurs, mixité de genre, déclarations de conflits d’intérêt, …) qui entravent le fonctionnement des comités et laissent passer le plus grave.
3. Suppression définitive de l’agrégation du supérieur pour assurer l’homogénéité des modalités de recrutement dans toutes les disciplines, car il serait bien étrange de maintenir un tel concours national dans quelques disciplines – bien plus coûteux au prorata de recrutements – et de supprimer la qualification par le CNU pour toutes les autres.
François Vatin
9 mars 2020 à 16:40
Jé
J’apprécie vos arguments et vos propositions François, très intéressant ! Merci ;)
9 mars 2020 à 16:44
Cédric
Etant membre nommé d’une section CNU, je confirme que la qualification est chronophage et coûteuse. Cependant, ce n’est pas des raisons suffisantes pour la faire disparaître. Autant je pense qu’il est possible de discuter de la suppression de la qualif MCF, autant je pense qu’il faut garder la qualif PR (et je suis MCF). Le CNU donne un avis objectif (autant que possible) sur un dossier avec des critères propres à la section (critères qui sont publiques). Je reste convaincu que cela empêche un tant soit peu le localisme, dans ces temps de pénurie de postes. La qualification ne remplace pas un COS qui regardera l’adéquation du candidat à un profil, qui pourra apprécier la prestation orale du candidat. Mais la qualification donne une sorte de certificat disant que le candidat remplit des critères objectifs pour être MCF ou PR.
De mon côté, faire le rapport de qualification MCF me prend 30 minutes environ. Nous ne lisons pas les thèses dans ma section (elles ne sont pas demandées) mais je regarde les publications.
Pour la qualif PR, l’ensemble des activités d’un enseignant-chercheur est regardé. Je ne connais pas le CV du collègue mentionné mais d’après ce qui est écrit, je suis à moitié étonné qu’il n’ait pas eu sa qualif. Je ne pense pas qu’il l’aurait eu dans ma section. Mais s’il est impliqué dans la médiation scientifique (en dehors de la fête de la science), il passera facilement MCF HC exceptionnelle.
Après, c’est souvent ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une section CNU qui en parlent le mieux !!! Ceci dit, il doit sûrement y avoir des différences de pratiques entre les sciences « exactes » et « inexactes ».
Et non, Rachel, le CNU n’est pas une agence de notation (sauf pour la PEDR). Il n’y a pas de notes pour les promotions. Vous êtes dans une école d’ingénieurs donc pas de qualification pour vous, pas de PEDR et pas de CNU. Est-ce le cas? Si oui, vous parlez donc du CNU sans le connaître
9 mars 2020 à 21:09
Rachel
@François Vatin : je ne comprends pas en quoi l’instance locale serait moins apte à se positionner sur la légitimité des candidats. Le parcours d’une candidature se fait en deux étapes : un examen de dossier (comme le fait le CNU) et enfin une audition pour la « short list ». Le candidat « illégitime » pourra être bloqué à la première étape. En quoi est-ce utile de faire un contrôle supplémentaire (pourquoi est-on obsédé par le contrôle des jeunes diplômés/collègues ?) et pourquoi sommes-nous les seuls à le faire au monde ?
Je suis d’accord que la suppression de la qualification n’est qu’une petite pierre à l’édifice d’une réforme du recrutement des EC. Comme vous je pense qu’il faut profondément remettre à plat les comités de sélection actuels, qui ne sont vraiment pas satisfaisants. C’était le sens d’un billet écrit déjà il a fort longtemps mais dont les grandes lignes restent encore valables, même si je ferais bien quelques petits ajustements. Peut-être pour un billet prochain ? Je crois que ça rejoint assez votre point de vue, et en plus je donnais un rôle à des représentants du CNU.
https://rachelgliese.wordpress.com/2013/11/01/reformer-le-recrutement-des-enseignants-chercheurs/
Je trouve votre idée du tirage au sort très intéressante. Mais pour que j’y adhère vraiment, il faudrait me convaincre d’abord que le CNU sert à quelque chose. Mais si c’est le cas, oui je suis à fond derrière votre proposition du mode de constitution du CNU.
9 mars 2020 à 21:15
Rachel
@Cédric, peut-être qu’en insistant un peu vous pourrez me faire hésiter pour la qualification PR … je crois que c’est utile de faire la différence entre ces deux situations (MCF vs PR), merci pour cette remarque.
Pour votre remarque finale: je travaille en France, je paye mes impôts et je me sens parfaitement légitime de donner mon avis sur la façon dont est dépensé l’argent dans un service public de l’Etat : mon point de vue est que cet argent serait bien mieux utilisé ailleurs (dans la recherche, ou améliorer les conditions de formation), et idem pour le temps passé. Par ailleurs, je suis aussi EC, j’ai les mêmes statuts que vous et une section CNU (dont je ne comprends pas en quoi elle m’est utile).
10 mars 2020 à 13:59
Cédric
@Rachel: le CNU ne sert pas qu’à la qualification. Il sert d’abord aux promotions nationales. Il y en a fort peu, c’est certain mais c’est le but du CNU. Nous ne sommes pas « payés » pour faire ce travail. Il y a aussi le travail sur les CRCT dont la portion est congrue, je vous l’accorde. Pour la PEDR, je préfère que cela soit une instance nationale plutôt que locale qui décide. Quant au suivi de carrière, nous ne donnons pas de notes mais un avis sur la carrière des collègues. Donc la seule notation que nous donnons, c’est pour la PEDR et elle est relative aux dossiers reçus et non pas absolue. En effet, un collège peut avoir 4A et finir avec une note finale C. Cela veut qu’il fait plus que mieux son travail mais qu’il y avait des dossiers mieux (et certaines universités regardent les notes intermédiaires). Mais là, je dévie du sujet initial.
Vous avez tout à fait le droit de donner votre avis. Mais votre vision de la qualification et du CNU me semble un peu biaisée. Il suffit de regarder les taux de qualification qui sont loin d’être de 100%, notamment dans les sciences « inexactes ». Donc oui, je pense qu’il y a un intérêt à garder la qualification pour qu’au moins, tous les candidats partent sur un pied d’égalité. Je vous conseille de regarder les documents fournis par la CP-CNU pour voir le travail du CNU.
Je pense que vous faîtes trop confiance au localisme, même si les comités de sélection sont aujourd’hui paritaires entre extérieurs et locaux. C’est une très bonne chose mais cela n’empêche pas d’inviter ses potes dans le comité.
10 mars 2020 à 16:01
François Vatin
Précision factuelle : en ce qui concerne les PEDR, le CNU ne décide pas. La décision émane de l’établissement. Il a simplement été demandé que les établissements fassent faire une évaluation par un organe externe. Celui-ci n’est pas nécessairement le CNU, même si, par facilité, c’est la solution qu’ont adoptée la quasi-totalité des établissements. Ceux-ci reçoivent donc une note (A,B,C) dont ils font l’usage qui leur semble bon, en fonction des contraintes locales (nombre de primes à distribuer), mais aussi éventuellement de procédures de comparaisons entre les évaluations des différentes sections afin d’éviter certaines distorsions. Un « A » ne garantit donc pas l’obtention d’une prime, de même qu’un « C » ne l’interdit pas, même si bien sûr il y a globalement une corrélation entre le classement du CNU et la distribution des primes.
10 mars 2020 à 18:34
Gueux
@François : Vous avez raison, le CNU ne donne qu’un avis sur les PEDR. Mais chez moi par exemple, l’université ne considère pas les C, ils sont donc rejetés automatiquement. Ce n’est bien sûr pas la faute du CNU si ça déconne en local.
En revanche, le CNU déconne aussi pas mal, en particulier on peut se demander comment il distribue les notes. Dans ma section, la note sur la recherche est basée sur le nombre de publis, quelque soit le grade de l’EC (MCF débutant ou PREX2), sans regarder le nombre d’auteurs, l’ordre des auteurs, le contenu des articles, la revue, etc. Ainsi, 70% des demandeurs de PEDR ont A en recherche, c’est à dire que ces 70% font parties des 20% les meilleurs ! Le critère déterminant est en fait le nombre de kilo-euros rapportés. Cela a l’avantage d’être une quantité mesurable, mais on peut se demander si c’est bien la plus pertinente pour évaluer de la recherche. Dans le genre métrique, on pourrait aussi diviser le nombre de publis par les k-euros rapportés, ce qui serait une « mesure » d’efficacité scientifique pas plus débile que ce qui se pratique déjà.
Je trouve votre proposition 1 (tirage au sort des membres du CNU) excellente. Elle devrait d’ailleurs être généralisée à tous les conseils, locaux et nationaux. Il me semble que l’académie des sciences avait fait une proposition en ce sens il y a quelques années : membres nommés pour trois ans et assemblées renouvelables par tiers. Cela permet d’assurer la continuité, tout le monde doit s’y coller à un moment, personne ne peut s’incruster et les stratégies d’apparatchik n’ont plus lieu d’être.
10 mars 2020 à 20:11
François Vatin
Oui, bien sûr, il y a des faiblesses partout : dans le fonctionnement des sections du CNU (je vous parlerai pas de la mienne) comme dans celui des conseils locaux. Mais c’est bien pourquoi, dans son principe encore une fois, l’organisation en deux étages me paraît saine. Ces deux étages sont aussi la combinaison de deux ordres de valeur, l’un et l’autre légitime : une Iogique strictement disciplinaire d’un côté, une logique d’établissement de l’autre.
Reste à améliorer, autant que faire se peut, les modalités de fonctionnement de ces deux instances, sachant qu’il restera toujours des particularités propres à chaque discipline et à chaque établissement. Chercher l’homogénéité totale est un leurre dangereux. Mais, justement, cette organisation permet à une instance de se préoccuper de l’équité au sein d’une discipline, quel que soit l’établissement et à une autre de se préoccuper de l’équité au sein de l’établissement, quelle que soit la discipline. La société est ainsi toujours le produit de cotes mal taillées, de bricolages, de compromis et donc d’incohérences. Méfions-nous de ceux qui nous promettent un système enfin simple, transparent et homogène …
L’Académie des sciences avait effectivement promu le tirage au sort. On peut discuter de la généralisation de ce dispositif à tous les conseils. Je n’y ai pas réfléchi, mais pourquoi pas. Mais, en tous cas, s’il y a un espace où il devrait s’imposer absolument, c’est le CNU : 3 ans renouvelables par tiers, ce qui assurerait une bonne inertie du groupe, ou, si l’on ne veut pas bloquer trop longtemps les carrières, 2 ans renouvelables par moitié.
10 mars 2020 à 20:14
Rachel
@Cédric, imaginons que l’on supprime la qualification. En quoi cela viendrait à remettre en danger le pied d’égalité des candidats ?
Le recrutement est fait dans un établissement qui se voit confier la gestion des carrières. Ça me parait plus logique que ce soit l’établissement qui recrute. A mon sens, la qualification vient mettre juste une étape en plus, chronophage et onéreuse. Si le CNU doit intervenir, il serait mieux qu’il le fasse lors du recrutement.
@Gueux, un C qui vient demander une prime PEDR à l’université ? vous blaguez, n’est-ce pas ?
10 mars 2020 à 20:37
Gueux
@Rachel: ??? On ne demande pas la PEDR après notation par le CNU, mais avant. Un EC demande une PEDR, puis le CNU lui attribue une lettre et, à la redescente, l’université ne regarde pas le dossier si la note est C.
10 mars 2020 à 20:56
Rachel
@Gueux, mes 6 heures d’enseignement d’aujourd’hui peuvent avoir embrouillé mon esprit : je ne comprends pas pourquoi l’université traiterait un dossier PEDR de chercheur. C’est plutôt à l’organisme de recherche de le faire il me semble.
@François, @Gueux : bon d’accord, on propose un tirage au sort, ça a du sens. Mais ne faudrait-il pas conserver un ou deux élus ou nommés par section et qui assureraient la présidence de la section concernée, bref quelqu’un qui soit motivé pour donner les consignes des travaux, faire les synthèses, communiquer avec l’étage supérieur ? Et puis, je crois qu’il faudrait en profiter pour réduire le nombre de sections car la science d’aujourd’hui est largement transverse. Enfin, peut-être aussi il faudrait redéfinir les missions du CNU ?
10 mars 2020 à 21:10
Gueux
@Rachel: « C » c’est la note, pas un raccourcit pour « Chercheur ». Je parle bien d’enseignant-chercheur. 6h de cours ça attaque le cerveau, attention ;-)
10 mars 2020 à 21:13
Gueux
@Rachel : « C » c’est la note, « chercheur » !
10 mars 2020 à 21:14
François Vatin
Je reprends le principe des notes :
A signifie : « on recommande à l’université de donner la PEDR »
B signifie : « on considère que l’université pourrait donner la PEDR’
C signifie : « On recommande à l’université de ne pas donner la PEDR ».
Mais, je le répète, les établissements restent libres de l’interprétation qu’ils donnent aux notes. On comprend que dans une logique d’économie du choix, on renonce le plus souvent à évaluer les dossiers classés C. Mais j’ai vu passer un dossier classé C bénéficiaire de la PEDR (dans des conditions assez cocasses, qu’il serait hors-sujet ici d’évoquer).
Si les établissements n’usent pas du pouvoir qui est entre leurs mains, ce n’est pas à cause des institutions, mais de la faiblesse de ses membres. On préfère se fier mécaniquement à une évaluation externe pour se « laver les mains », comme un certain Pilate (c’est recommandé aujourd’hui). De façon générale, beaucoup de choses reprochées à nos institutions ne sont que le produit de nos propres faiblesses.
Cela nous ramène à la question du recrutement. C’est bien l’établissement qui recrute et non le CNU. Il le fait parmi des personnes « qualifiées », c’est à dire reconnues aptes à l’emploi. La question n’est pas de savoir s’il faut ou non une procédure de qualification, mais quelles sont les modalités de cette procédure. Sinon, pourquoi un jury de thèse ? On pourrait aussi bien considérer que la commission d’établissement pourrait juger de la valeur scientifique des candidats toute seule (on a d’ailleurs connu dans des établissements éminents des recrutements de personnes sans thèse). Dire que l’on ne recrute que des titulaires d’une thèse, c’est déjà limiter la liberté de choix de l’établissement. Bref, dans un état de droit, toute liberté est encadrée. La question est alors de savoir si la décision du jury de thèse est suffisante pour qualifier à l’emploi de maître de conférences ou s’il est sain qu’il y ait un tri national. Je ne vais pas reprendre mes arguments en faveur de la seconde solution.
Le seul argument contraire est le coût de cette procédure. Il s’agit donc de faire un bilan coût/avantages. Mais à mon sens, le coût, en l’occurrence, compte-tenu de l’importance de la décision est bien peu de chose par rapport à celui de l’ensemble des dispositifs d’évaluation internes et externes qui se sont développées tous azimuts dans notre métier. Car chacun cherche, partout, à « ouvrir le parapluie » pour ne pas porter la responsabilité du choix. On ne jure que par la décision collégiale qui garantirait contre le « mandarinat » et l’excès de pouvoir. Ce jeu de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » a fini par mobiliser une fraction considérable du temps de travail des collègues.
Donc oui, je suis pour que l’on rompe avec cette tendance, ce qui suppose que l’on retrouve un peu le sens du pouvoir personnel, celui qui fait de celui qui prend la décision, son responsable visible, à l’inverse de celui qui manipule une commission. Mais il est des moments décisifs où la délibération collective s’impose et c’est le cas notamment des recrutements. La qualification, un dispositif chronophage et coûteux, sans doute. Mais il y a tellement d’autres dispositifs, moins utiles, qui mériteraient pareille critique ! Pourquoi haro sur ce baudet ? A dire vrai, je n’ai jamais compris, alors même que je relève d’une discipline ou le fonctionnement du CNU a défrayé la chronique.
10 mars 2020 à 21:14
Gueux
@Rachel: J’ai un pb d’ordi qui bégaie. Désolé pour le postage multiple et incomplet.
10 mars 2020 à 21:25
François Vatin
Je reprends le principe des notes :
A signifie : « on recommande à l’université de donner la PEDR »
B signifie : « on considère que l’université pourrait donner la PEDR’
C signifie : « On recommande à l’université de ne pas donner la PEDR ».
Mais, je le répète, les établissements restent libres de l’interprétation qu’ils donnent aux notes. On comprend que dans une logique d’économie du choix, on renonce le plus souvent à évaluer les dossiers classés C. Mais j’ai vu passer un dossier classé C bénéficiaire de la PEDR (dans des conditions assez cocasses, qu’il serait hors-sujet ici d’évoquer).
Si les établissements n’usent pas du pouvoir qui est entre leurs mains, ce n’est pas à cause des institutions, mais de la faiblesse de ses membres. On préfère se fier mécaniquement à une évaluation externe pour se « laver les mains », comme un certain Pilate (c’est recommandé aujourd’hui). De façon générale, beaucoup de choses reprochées à nos institutions ne sont que le produit de nos propres faiblesses.
Cela nous ramène à la question du recrutement pour répondre à Rachel. C’est bien l’établissement qui recrute et non le CNU. Il le fait parmi des personnes « qualifiées », c’est à dire reconnues aptes à l’emploi. La question n’est pas de savoir s’il faut ou non une procédure de qualification, mais quelles sont les modalités de cette procédure. Sinon, pourquoi un jury de thèse ? On pourrait aussi bien considérer que la commission d’établissement pourrait juger de la valeur scientifique des candidats toute seule (on a d’ailleurs connu dans des établissements éminents des recrutements de personnes sans thèse). Dire que l’on ne recrute que des titulaires d’une thèse, c’est déjà limiter la liberté de choix de l’établissement. Bref, dans un état de droit, toute liberté est encadrée. La question est alors de savoir si la décision du jury de thèse est suffisante pour qualifier à l’emploi de maître de conférences ou s’il est sain qu’il y ait un tri national.
Je ne vais pas reprendre mes arguments en faveur de la seconde solution. Les jurys locaux sont par définition locaux et il est bon qu’ils jugent selon des critères locaux. Un recrutement n’est pas un concours de beauté; il ne s’agit pas de prendre le meilleur, mais celui dont on a besoin. Aussi, n’est-il pas inutile qu’il y ait des garde-fou émanant d’une instance qui aura pu examiner systématiquement tous les dossiers. Vos arguments, Rachel, seraient recevables si on pouvait prouver les sections de CNU auraient éliminés de façon systématique des candidats de valeur. Je n’ai jamais vu de polémique de ce type.
Une autre disposition, à laquelle je suis très attaché, est qu’une qualification par une section du CNU donne droit à se présenter sur n’importe quel poste. Ceci permet de compenser localement des jugements disciplinaires trop étroits en faveur de dossiers qui sont à la frange de plusieurs disciplines. Cela me conduit à un autre voeu pour une réforme des comités de recrutement : en réduire l’homogénéité disciplinaire (un quota obligé hors-discipline). On retrouverait ici le principe énoncé pour la PEDR : une logique disciplinaire au niveau national, une logique d’établissement au niveau local.
Le seul argument contraire est le coût de cette procédure. Il s’agit donc de faire un bilan coût/avantages. Mais à mon sens, le coût, en l’occurrence, compte-tenu de l’importance de la décision est bien peu de chose par rapport à celui de l’ensemble des dispositifs d’évaluation internes et externes qui se sont développées tous azimuts dans notre métier. Car chacun cherche, partout, à « ouvrir le parapluie » pour ne pas porter la responsabilité du choix. On ne jure que par la décision collégiale qui garantirait contre le « mandarinat » et l’excès de pouvoir. Ce jeu de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » a fini par mobiliser une fraction considérable du temps de travail des collègues.
Donc oui, je suis pour que l’on rompe avec cette tendance, ce qui suppose que l’on retrouve un peu le sens du pouvoir personnel, celui qui fait de celui qui prend la décision, son responsable visible, à l’inverse de celui qui manipule une commission. Mais il est des moments décisifs où la délibération collective s’impose et c’est le cas notamment des recrutements. La qualification, un dispositif chronophage et coûteux, sans doute. Mais il y a tellement d’autres dispositifs, moins utiles, qui mériteraient pareille critique ! Pourquoi haro sur ce baudet ? A dire vrai, je n’ai jamais compris, alors même que je relève d’une discipline ou le fonctionnement du CNU a défrayé la chronique.
10 mars 2020 à 21:30
François Vatin
Je reçois les choses dans le désordre. Oui, il faut un bureau. On pourrait imaginer qu’il soit constitué à parité par des membres élus par l’assemblée et par des membres nommés parmi l’assemblée. Cela ne nécessite pas une nomination en sus. Pour le président, je pense qu’il devrait être élu, car si il y a divorce entre l’assemblée et le président, cela sera dysfonctionnel.
10 mars 2020 à 23:33
Rachel
@Gueux, d’accord, je me disais bien que peut-être mon cerveau n’était plus opérationnel.
@François, oui j’ai reçu plusieurs messages de mon établissement pour dire qu’il faut bien se laver les mains, apparemment, ils savent de quoi ils parlent.
@François, mais pourquoi dire « La question n’est pas de savoir s’il faut ou non une procédure de qualification, mais quelles sont les modalités de cette procédure» ? Dans beaucoup d’autres pays elle n’existe pas, ce qui montre bien qu’elle n’est en rien une obligation ou d’une importance capitale.
« Haro sur ce baudet », car cela met une étape en plus (temps, argent) et ça laisse penser que le comité local ne saura pas faire le travail ou qu’on se méfie de lui. On vit dans un monde où tout le monde surveille tout le monde, on passe son temps à évaluer ses collègues et à exprimer de la défiance. Rappelons qu’une procédure de recrutement se fait en deux étapes et on a donc une chance de se rattraper si on a fait une bêtise à la première. Par ailleurs, je milite aussi pour une réforme des comités de sélection afin d’éviter que celui-ci soit complètement verrouillé ou manipulé par une personne locale, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui.
Enfin bon, recruter un EC c’est vraiment important, je comprends. Dans ce cas on pourrait certainement mettre en place une qualification en deux étapes (match aller, matche retour), avec 4 évaluateurs au total. Cela permettrait de vérifier que le premier groupe à bien travaillé, on n’est jamais trop prudent … (j’en arrive à une caricature, pardon, mes 6 heures de cours d’aujourd’hui m’auront laminé le cerveau …)
A ce stade de discussion, je maintiens la suppression de la qualification , mais je mets aussi à la poubelle les comités de sélection. Je remplace le tout par un « comité de recrutement ». La composition de ce comité est la suivante (sur une base de 16 personnes, avec parité H/F, MCF/PR):
– 4 membres (élus ou nommés, à discuter) EC de l’établissement, qui auraient un mandat pluriannuel (4 ans ?) et qui seraient missionnés pour assister à plusieurs comité chaque année et habitués à travailler ensemble
– 4 membres de la faculté/département d’enseignement, là où le futur EC fera son enseignement
– 4 membres du laboratoire où le futur EC fera sa recherche, dont le chef d’équipe de recherche
– 4 membres extérieurs, tirés au sort dans une base de donnée de la section CNU du candidat (donc ici un équivalent d’une représentation du CNU dans le comité de recrutement). Ces 4 membres seraient membres actifs du recrutement, comme les autres, et seraient aussi les « gendarmes », c’est-à-dire qu’il auraient la possibilité d’alerter si il pouvait y avoir une suspicion de disfonctionnement.
Ainsi l’établissement garde la main, mais sous surveillance nationale.
11 mars 2020 à 00:37
François Vatin
Chère Rachel,
Vous ne m’avez pas compris. Quand je dis : « la question n’est pas de savoir s’il faut ou pas une qualification », je veux simplement dire que ce que vous proposez est que le jury de thèse donne la qualification (ie le droit de se présenter aux concours). J’ai expliqué pourquoi cela n’était pas souhaitable : il est bon de pouvoir attribuer des thèses non-dignes de l’accès à un poste dans le supérieur. J’ai expliqué aussi l’intérêt de disposer d’une instance qui a une vue panoramique sur la discipline. Vous n’avez répondu à aucune de ces deux objections.
Quant à l’argument : « mais il y a des pays où cela n’existe pas », il est de ceux qu’il faut proscrire absolument. Il y a aussi des pays où il n’y a pas de sécurité sociale, des pays où l’on n’a pas aboli la peine de mort … Il faut réfléchir aux qualités et aux faiblesses de nos institutions sans penser qu’elles seraient forcément pires (ou meilleures) que celles des autres pays.
En ce qui concerne votre proposition sur la composition des comités de recrutement, elle est trop fermée. La configuration peut varier d’une discipline à l’autre, d’une université à l’autre. Par exemple la notion de laboratoire n’a pas le même sens dans les sciences exactes et dans les sciences sociales. De fait, dans les premières, ce sont les laboratoires qui recrutent, dans les secondes, ce sont les équipes pédagogiques; un recrutement n’implique pas ipso-facto un rattachement à un laboratoire, qui sont le plus souvent des coquilles vides.
Toute institution à ces effets pervers, car tout cadre autorise des débordements. Il ne faut pas penser que l’on règlera les problèmes par des institutions parfaites. On n’a trop réfléchi en ce sens depuis trente ans, ce qui a abouti à de permanents changements des règles, les nouvelles se révélant souvent pire que les anciennes. C’est un esprit général de l’institution qu’il faudrait reconstituer.
Si nous allons à rebours de ce que nous pourrions espérer en la matière, c’est parce que l’université est foncièrement malade pour de toutes autres raisons que les modalités de recrutement. Ces raisons, je les ai développées depuis dix ans dans des articles de fond comme dans mes interventions dans la presse. Nos jeunes collègues sont perdus. Ils ne croient plus à la valeur du métier. Comment le pourraient-ils quand on les met face à un public qui, non seulement n’a pas la capacité de suivre des études supérieures, mais, bien souvent, n’en a pas même le désir ? On est donc dans un sauve-qui-peut, une concurrence généralisée, une course-poursuite pour échapper au sort standard. La moralisation de la vie universitaire nécessiterait d’abord une revalorisation du métier. Ce n’est pas qu’une question de feuille de paye (même si ce n’est pas négligeable), c’est d’abord une question de professionnalité.
11 mars 2020 à 16:28
Lorne
Cher @François Vatin,
vous écrivez:
« Quant à l’argument : « mais il y a des pays où cela n’existe pas », il est de ceux qu’il faut proscrire absolument. Il y a aussi des pays où il n’y a pas de sécurité sociale, des pays où l’on n’a pas aboli la peine de mort … Il faut réfléchir aux qualités et aux faiblesses de nos institutions sans penser qu’elles seraient forcément pires (ou meilleures) que celles des autres pays ».
certes… mais il n’y a qu’en France qu’existe la procédure de qualification. C’est donc une exception, que le monde nous envie, je n’en doute pas
11 mars 2020 à 20:03
Rachel
@François, les « non-dignes de l’accès à un poste dans le supérieur » peuvent être « bloqués » à la première étape d’un comité de sélection (examen des dossiers). Supprimer la qualification ne veut pas dire ici supprimer tout garde-fou. Les comités de sélection sont composés d’EC de la discipline et dans ce sens ils sont aussi des représentants de leur discipline.
Un autre point que j’ai oublié d’aborder, c’est la candidature multi section de candidats pour multiplier leurs chances de qualification. Ça représente 25 % des candidatures, et ça génère bien entendu un surcroit de travail dans les sections. Et puis, il y a aussi un grand nombre de qualifiés qui ne candidatent jamais (ils ont fait le dossier « au cas où ») et donc c’est du travail pour rien.
En regardant un bilan de la campagne de qualification, on se rend compte que le taux de qualification est très variable selon les groupes de sections. Il est en moyenne de 18 % en droit/science politique (le plus faible) et 80 % en science dure (physique, chimie, science de la terre, méca, informatique, maths), selon les chiffres de 2018. On voit donc que la qualification n’a pas le même impact selon les disciplines. Il est clair que l’utilité est assez limitée en « science dures ». Et je ne comprends pas un chiffre aussi bas pour le groupe droit/science politique : que cela veut-il dire ? Que 82 % des thèses ne sont pas compatibles avec une carrière d’EC ?
Cliquer pour accéder à Bilan_provisoire_de_la_campagne_de_qualification_2018_1015845.pdf
Pour la composition du « comité de recrutement », je comprends votre réserve. Là encore, il s’agit d’une différence de pratique/environnement selon les disciplines. Chez moi, en « sciences dures », la notion de laboratoire et d’équipe est importante car la recherche se fait rarement seul. On partage les machines, les méthodes, l’écriture des publications, … (sans vouloir dire ici que c’est un monde idéal d’entente cordiale, bien évidemment). Voici donc une version révisée, plus simple :
– 4 à 6 membres (élus ou nommés, à discuter) EC de l’établissement, qui auraient un mandat pluriannuel (4 ans ?) et qui seraient missionnés pour assister à plusieurs comités chaque année et habitués à travailler ensemble,
– 6 à 8 membres de la faculté/département d’enseignement, là où le futur EC fera son enseignement et du laboratoire où le futur EC fera sa recherche,
– 4 membres extérieurs, tirés au sort dans une base de donnée de la section CNU du candidat (donc ici un équivalent d’une représentation du CNU dans le comité de recrutement). Ces 4 membres seraient membres actifs du recrutement, comme les autres, et seraient aussi les « gendarmes », c’est-à-dire qu’ils auraient la possibilité d’alerter s’il pouvait y avoir une suspicion de disfonctionnement.
Sur le sujet plus général du cadrage, il est évident que l’imagination est sans bornes pour les contourner. Donc les débordements sont inévitables, aujourd’hui très largement relayés par les réseaux sociaux : le réflexe est alors de légiférer, c’est-à-dire de mettre un cadre encore plus précis, ou de nouvelles règles et donc de l’administration/évaluation/surveillance encore plus complexes et prégnants. On a aussi une ambiguïté au travers laquelle il faut se glisser, qui est celle de l’établissement (local) et du cadrage national. Par exemple, sur le sujet du recrutement, l’EC qui est recruté est un fonctionnaire d’Etat, qui doit donc être recruté selon des règles très précises fixées par l’Etat. L’établissement recrute en fait par délégation mais doit le faire dans le cadre de la loi, qui est unique quelles que soient les disciplines.
J’avais suivi à l’époque les tribunes des « refondateurs », j’ai même lu le bouquin. Mais depuis quelques années j’ai perdu le fil de tout ça, je tente depuis janvier de remonter la pente. J’ai souvenir d’une vision assez sombre de l’université, de la même couleur que la jaquette du bouquin ou de votre dernier paragraphe. Je ne sais pas si ces refondateurs sont encore actifs et si c’est le cas, ils ne sont pas très audibles si on les compare aux collectifs nonistes.
@Lorne, on pourrait tenter de l’exporter et se faire de l’argent ?
11 mars 2020 à 20:13
François Vatin
Pour être sincère, je n’en sais rien. Mais il me semble un peu présomptueux d’affirmer que dans aucun pays au monde n’existerait pareille institution. Mais surtout, l’ensemble des dispositifs font système. L’erreur consiste souvent à introduire tel ou tel dispositif parce qu’il se serait révélé vertueux ici ou là, le reste restant inchangé. On se rend compte souvent alors qu’il se combine mal avec tel ou tel autre dispositif inchangé auquel on tient.
Chaque pays a son histoire universitaire. Oui, la France est marquée, dans ce domaine comme dans d’autres par un centralisme que l’on ne trouve pas ailleurs. Est-il forcément par nature toxique ? En tous cas, tout ce que l’on a fait jusqu’à présent pour aller contre s’est avéré contre-productif. Il en est ainsi de l’autonomie financière des universités. C’est bien gentil d’espérer remplacer partiellement le financement étatique par un financement privé via des fondations. Encore faut-il que ce financement existe. En France, le principal mécène est l’Etat. Est-ce en soi un mal ? L’appel aux fondations ne peut que renforcer les inégalités entre les établissements qui en ont les capacités et les autres. En clair, c’est bon pour Dauphine, comme c’est bon pour Sciences-Po.
J’en reviens à la question de fond. Pourquoi vouloir absolument supprimer le CNU alors qu’il y a tellement de réformes qui s’imposeraient plus clairement. Ceux qui portent cette idée depuis vingt ans sont précisément (et j’ai des amis parmi eux) ceux qui ont fait miroiter les joies de l’autonomie universitaire pensée sur le modèle américain. Mais, si tant est que le modèle américain soit enviable, ce dont je ne suis pas convaincu (les Français ne pensent bien sûr qu’à Harvard et Princeton, pas aux colleges de base), il constitue un système qui ne peut pas être transposé « par appartement ». In fine, en France, ce mimétisme institutionnel a conduit à détériorer des choses qui fonctionnaient sans rien apporter de nouveau bien convaincant.
11 mars 2020 à 20:51
Rachel
@François, le débat proposé par le billet est celui d’une suppression de la qualification, pas celle de la suppression du CNU (même si, pour ma part, je pense qu’on peut aussi la poser).
En ce qui concerne d’éventuelles réformes, je n’ai pas l’impression que les universitaires soient très enclins à cela, ils me paraissent assez conservateurs dans l’ensemble. Si on a aujourd’hui tant de problèmes, c’est quand même parce qu’on a été incapable de faire ces réformes quand on en avait besoin. Les mouvements universitaires ont souvent été anti-réformes plutôt que pro-actifs réformistes (au minimum depuis 35 ans).
11 mars 2020 à 21:25
Lorne
@François, Si, si, sauf preuve du contraire, le CNU est bien une exception française qui s’explique en effet par l’histoire de la profession. Mais on peut s’interroger sur la permanence de l’institution dans un monde (académique) qui s’est beaucoup transformé
@Rachel, on peut essayer de le breveter (un peu d’argent frais pour la recherche et avec de la chance un peu récurent) mais il va falloir faire preuve de pédagogie. Les collègues étrangers à qui j’ai expliqué le principe m’ont en général parus très sceptiques (pour rester polis)
11 mars 2020 à 22:32
Rachel
@Lorne, c’est sûr qu’il faudra masquer un peu le fait que c’est onéreux et chronophage, mais je verrai bien un slogan de type « for a better recruitment, try french qualification ! » ou « with a french touch, let’s make recruitement better ! »
12 mars 2020 à 13:03
François Vatin
@Lorne Est-ce que, partout au monde, tout titulaire d’un doctorat peut se présenter sur n’importe quel poste ouvert dans une université sans existence d’un autre filtre ? Il faudrait sérieusement mener l’enquête avant de dire qu’un tel filtre n’existe qu’en France.
@Rachel L’argument économique ne tient pas. Avec un examen central, un tel filtre est réalisé une seule fois. Si on transfère cette fonction aux comités locaux, cette fonction de filtre sera démultipliée par le nombre de postes à pourvoir, mais aussi par le nombre d’années de candidature, puisque la qualification est donnée pour 5 ans. Le CNU est économique selon un principe fondamental de gestion industrielle énoncée par l’ingénieur Emile Belot en 1918 : il faut éliminer les déchets le plus en amont possible d’une chaine !
Le seul argument recevable contre le CNU serait que ce tri élimine de bons dossiers, bref que l’on ne sache pas trier le bon grain de l’ivraie. C’est une question à regarder section par section. Ce n’est pas mon expérience globale, qui tendrait à dire, pour ce qui concerne ma section, que le tri a plutôt été trop faible. Ce tri lâche peut d’ailleurs se justifier. Il vaut mieux laisser passer un « mauvais » qu’éliminer un « bon ».
J’illustre par mon expérience. J’ai connu le temps où, en dépit de l’existence du CNU, tout poste ouvert de « maitre de conférences » suscitait 200 candidatures. En fait, cela nourrissait l’arbitraire et la manipulation. Le travail de tri ne pouvait pas être fait dans de bonnes conditions et in fine un curieux lapin blanc que tout le monde attendait était sorti du chapeau après un simulacre d’évaluation. J’ai réussi à moraliser la chose en imposant que chaque poste soit clairement profilé et que les personnes hors-profil soient évincées après un examen sommaire, que les dossiers soient par ailleurs bons ou mauvais. On pouvait in fine discuter vraiment sur un petit nombre de dossiers.
Par ailleurs, cette abondance apparente de candidature nourrissait l’argument du mauvais sort fait aux jeunes chercheurs. En fait, il n’y avait pas 200 candidats pour un poste, mais 200 candidats pour 20 ou 30 postes, puisqu’ils se présentaient tous partout. Ici aussi, si on parle d’économie, voit-on tout le travail, y compris matériel, que cela représentait, pour les candidats, les administrations universitaires et les universitaires eux-mêmes (je me souviens de salles d’audition où s’entassaient les cartons de travaux !). En fait, sur ces 200 candidats, il y en avait peut-être un tiers de réellement valides, disons 80. In fine, il y avait donc réellement en moyenne 3 ou 4 candidats valides par poste et non 200 pour 1 comme on se complaisait à le dire !
Ces 200 candidats étaient le produit de la règle qui rend la qualification valide pendant cinq ans. Il y avait donc un effet de « file d’attente ». Ce dont je peux témoigner personnellement, c’est que j’ai fait soutenir une vingtaine de doctorants, dont une douzaine me semblaient mériter un poste dans l’enseignement supérieur et la recherche (j’ai fait soutenir aussi des étrangers, pour lesquels l’enjeu n’était pas là). Je n’ai connu qu’un cas d’une personne qui n’a pas eu de poste après plusieurs années de candidature, et en dépit de ce qu’elle a été auditionnée et bien classée de nombreuses fois.
Encore une fois, les universités françaises souffrent de nombreux maux. La qualification par le CNU ne me paraît pas de ceux-là, ce dispositif serait-il une exception française ! Et si, pour une fois, nous faisions mieux que les autres ? Allons savoir ? Le pire n’est pas toujours sûr.
12 mars 2020 à 13:32
François Vatin
Je réponds à part sur les « refondateurs », mouvement éphémère que personne n’a cherché à instituer, ni à pérenniser, né de la crise de 2009 contre le projet Pécresse. Il y a eu un débat stratégique sur lequel j’ai été mis en minorité. J’aurais souhaité que nous constituions une structure permanente, non pas d’action, mais de réflexion en parvenant à drainer quelques moyens pour approfondir les diagnostics. Une espèce de « Think Tank » spécialisée sur la question de l’enseignement supérieur. Je pensais qu’il fallait organiser une « guerre de position », de longue durée, indépendamment des questions d’alternance politique. Mais les collègues étaient alors centrés sur l’échéance électorale de 2012; ils pensaient donc « guerre de mouvement ». Nous avons donc fait les tribunes, sollicités par les uns et les autres (les verts, les socialistes de tous bords …).
Je n’y croyais pas, car je savais le problème plus profond, et la suite m’a donné raison. A l’automne 2010, j’ai été reçu, à sa demande, par François Hollande, juste avant qu’il ne soit le candidat officiel du PS. C’était à l’initiative d’un de ses jeunes conseillers, alors que Hollande voulait orienter sa campagne sur le thème de la jeunesse. Hollande m’a reçu par ces mots : « Alors, cette affaire d’autonomie, pourquoi cette agitation, c’est une bonne chose, non ? ». Je lui ai répondu que j’allais lui parler de toute autre chose. Je lui ai développé mon analyse : le cercle vicieux qui entrainait l’université française à sa perte. Il m’a écouté, m’a sûrement compris, ne m’a rien dit. J’ai bien suivi sa campagne et ne me souviens pas qu’il ait une seule fois évoqué l’université. Tel fut mon grand rôle politique. Il a ensuite nommé au ministère de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso avec pour seule mission d’éviter les désordres. Elle a, de ce point de vue, bien rempli sa mission. Ce furent cinq nouvelles années de perdues pour l’université qui ne l’intéressait guère. J’ai pu m’en rendre compte directement, ayant débattu avec elle, alors qu’elle n’était plus ministre, sur une chaine de télévision, puis en privé à la suite de l’émission.
J’ai donc continué seul ou en collaboration avec Olivier Beaud ce travail de diagnostic et d’information du public. Vous trouverez mes articles de fond dans les revues Commentaire, Le Débat, Cité (un nouvel article paraît dans le prochain numéro). Je suis intervenu quand on m’a sollicité dans les journaux, les radios, les chaines de télévision. Voir notamment ma longue interview sur Médiapart. J’ai aussi suscité des travaux d’étudiants sur ce sujet. J’ai de même accepté de participer au comité de suivi de la loi ORE qui n’a à mon sens pas été d’une grande utilité.
Je suis un chercheur, pas un politique, même si je ne refuse pas d’assumer la parole publique. J’aurais fait ce que je pouvais pour élaborer un diagnostic aussi fin que possible sans grands moyens et alerter les pouvoirs publics, comme les collègues et l’opinion publique. Mais je n’ai pas consacré ma vie à cette affaire. J’ai d’autres intérêts et je ne cherche pas à vider la mer à la petite cuiller.
12 mars 2020 à 20:04
Rachel
@François, au sujet de l’argument budgétaire, je crois qu’il faut être plus nuancé. Il est clair qu’il ne tient pas pour certaines disciplines (celles qui ont des taux de qualification bas) mais il est défendable si le taux de qualification est élevé, ce qui est le cas de beaucoup de sections de sciences dures. Au minimum, on pourrait supprimer la qualification pour les sciences dures. Peut-être qu’il faudrait mettre plus de souplesse selon les disciplines sur ces questions de recrutement ?
Oui je suis d’accord que l’université souffre de nombreux maux bien plus importants, mais convenez aussi que la réformer parait assez compliqué. Une approche de type « amélioration incrémentale » n’est pas à négliger non plus, à défaut de réformes ambitieuses. Rassurez-vous, on discute ici aussi de nombreux autres sujets et on fait bien d’autres propositions (voir billet précédent). Mais discuter de la qualification a souvent plus de succès que de discuter du problème de l’échec des étudiants en L1 (je parle là de l’audience du blog). Mon record d’audience c’était à l’époque de la mini crise de juin 2013 provoquée par les écolos. Un billet sur la qualification, ça marche à tous les coups !
Sur le sujet des refondateurs et période suivante, merci beaucoup pour vos explications. Depuis environ 2016 j’ai relâché beaucoup mon attention sur l’évolution de l’ESR et j’ai donc loupé tous vos récents textes (et un peu oublié les plus anciens que j’ai pu lire). Je vais tenter de me rattraper !
12 mars 2020 à 20:12
Lorne
@François: c’est bien une exception française, la « french touch » de Rachel. Et oui, ailleurs, on peut se présenter avec seulement un doctorat. Mais devrais-je ajouter, ailleurs, on ne recrute pas les gens après 20 mn d’entretien et une lecture du dossier…
12 mars 2020 à 20:37
François Vatin
Nous sommes d’accord. La configuration varie suivant les disciplines et aussi les établissements. Les collègues sont trop prompts à affirmer radicalement des positions tranchées à partir d’expériences singulières. Il faut donc introduire de la souplesse dans des dispositifs aujourd’hui trop verrouillés. En même temps, il faut un cadre commun dans un esprit républicain. C’est pourquoi, au terme de ce débat, je reste convaincu qu’il faut maintenir la qualification. En revanche, les procédures internes pourraient varier selon les sections du CNU, entre les disciplines pour lesquelles c’est une pure formalité et celles pour lesquelles un tri préalable est nécessaire (et économique).
Qu’un tel sujet favorise l’audience du blog en dit long sur le nombrilisme universitaire. Malheureusement, les pouvoirs publics ont été dans ce sens en cherchant sans cesse à réformer l’université par des changements de ses règles de gouvernance (les conseils) ou des conditions de recrutement de ses membres, alors que la question essentielle est celle de la mission des établissements.
Au point où j’en suis de ma réflexion, la conclusion est sévère : puisque l’on n’a pas réussi, ni même cherché, à faire revenir vers l’université le public qui l’a quittée (et ceci parce que personne n’était prêt, ni les pouvoirs publics, ni les universitaires au train de mesures nécessaires à cette fin, c’est à dire donner les mêmes droits aux universités qu’aux formations concurrentes pour choisir leur public à l’entrée, i. e. la fameuse « sélection »), il va falloir accepter tôt ou tard d’adapter les universités au public qui les fréquente. Or celui n’attend pas de formation « universitaire » (au sens que nous continuons à donner à ce terme). Il faut des personnes pour assurer de la remédiation scolaire, un accompagnement social personnalisé, gérer des stages … Il faudra pour cela recruter sur de toutes autres bases qu’aujourd’hui, pour disposer d’un personnel compétent pour assurer ces tâches et désireux de les assurer. Cela nécessitera des réformes autrement radicales que de savoir si on fait ou non un tri préalable par un CNU !
La tension que nous connaissons aujourd’hui vient de ce que tout le monde le sent confusément, même si ce n’est affiché nulle part. Ce qui terrorise les collègues, ce n’est pas tel ou tel article potentiel d’un projet de loi que personne n’a eu en main. C’est la conscience que les choses ne peuvent aller que dans ce sens, non en raison d’un machiavélisme gouvernemental, mais parce qu’il n’y a plus guère d’autres voies.
Là aussi, bien sûr, la configuration est variable selon les disciplines et les établissements; inutile de dire, par exemple, que cela ne vaut pas pour le secteur « santé ». Certains s’en sortiront. C’est d’ailleurs bien là l’objectif : faire émerger dans la douleur quelques « universités de recherche ». La réforme, dans ce pays, est toujours hypocrite. Personne n’est prêt à sortir du jeu de dupes afin de tenter de limiter un peu les dégâts, tant pour la justice que pour l’utilité publique.
12 mars 2020 à 20:46
François Vatin
Votre réponse est contradictoire. Si on veut que les commissions locales fassent bien leur travail, il ne faut pas qu’elles soient submergés de candidatures. Ce que je raconte dans mon précédent message (les 200 dossiers qui s’empilent) est du vécu. Or, c’était en dépit d’un taux de qualification qui, à mon souvenir, était d’environ 50 %. Avec l’instauration d’un profilage, on a réduit le nombre de candidatures par deux, mais cela fait encore 100, dont beaucoup hors-profil qu’il faut traiter en masse. Oui, à l’université, on fait du recrutement de masse et c’est lamentable. Mais cela plaide pour une réduction du nombre de candidats et donc un tri préalable plus sévère. Cela plaide aussi pour des comités d’audition plus restreints à l’inverse ce que proposait Rachel. Il n’y a pas de solutions simples.
12 mars 2020 à 21:25
Gueux
@Lorne : » ailleurs, on ne recrute pas les gens après 20 mn d’entretien et une lecture du dossier… »
Tout à fait. De même, ailleurs on n’exige pas d’avoir 23/24 ans pour obtenir une bourse de thèse, ni d’en avoir 26/27 pour être un docteur « raisonnable ». Être le/la protégé(e) d’un mandarin au bras long n’y est pas non plus une condition sine qua non pour obtenir un poste, un financement, etc.
12 mars 2020 à 22:32
Rachel
@François, il n’y a pas de solutions simples si on ne veut pas différencier les disciplines. Si on le fait, on peut trouver des solutions plus adaptées (sans prétendre atteindre le nirvana, bien entendu).
@François, donner plus de souplesses et donner plus d’autonomie aux établissements, c’est quand même ce qui est fortement combattu par nombre d’universitaires qui veulent un cadrage national et un pouvoir le plus faible possible des établissements. On peut certainement critiquer l’inaction des gouvernements mais il faut aussi convenir qu’à chaque fois qu’ils ont tenté quelque chose, les universitaires s’y sont opposé. De leur côté, à part quelques très rares exceptions (dont certainement vous), on n’a pas entendu grand-chose pour juguler le terrible constat que vous décrivez. Pourtant la grande massification, elle date de 35 ans : la communauté universitaire n’est pas très réactive, je trouve (sauf pour combattre les réformes et pour que rien ne bouge à l’université). Je ne partage pas trop votre conclusion sur « ce qui terrorise les collègues » : ce qui ressort le plus c’est la défense des statuts, la place du pouvoir (central ou local) et l’égalité de traitement. Je ne les entends pas du tout proposer une quelconque voie constructive. Tout le monde ressent le malaise, trop peu agissent en acteurs libres et responsables.
@Gueux, vouloir améliorer en prenant exemple sur certaines pratiques à l’étranger ne veut pas dire qu’on va aussi prendre le pire.
13 mars 2020 à 00:31
François Vatin
@Rachel Nous sommes entièrement d’accord quant à l’attitude des collègues et à la difficulté des pouvoirs publics à agir dans ce contexte. Quand j’évoque la réaction des collègues, je ne parle pas de ce qu’ils disent (il y a longtemps que j’ai renoncé à en écouter la plupart), mais de ce qu’ils ressentent de façon plus ou moins inconsciente et qui les amènent à s’opposer d’emblée radicalement (et de façon assez unanime apparemment) à un texte qu’ils ne connaissent pas et pour cause.
Cela étant, je ne pense pas que l’autonomie proclamée soit forcément la solution. Les règles préalables peuvent offrir une liberté et une souplesse que n’offre pas la contractualisation. Prenons la diplomation. Dans l’ancien régime, il y avait un cadre qui s’imposait pour les diplômes de premier et de second cycle. Ce cadre était lâche et facile à respecter. En son sein, nous étions libres et nous faisions évoluer notre maquette d’une année sur l’autre sans avoir rien à demander à personne. Avec le LMD, on nous a vendu la liberté. Ce fut une horreur, car on a mis le pouvoir entre les mains de petits chefs, « marginaux-séquents » comme on dit en sociologie des organisations, qui ont expliqué au ministère ce que voulait l’établissement et à l’établissement ce que voulait le ministère. Les équipes ont totalement perdu l’autonomie réelle qu’elles avaient auparavant. Et, puis, je vous rappelle qu’à ce moment là, ce cadre ne s’appliquait pas au 3ème cycle. L’effet le plus manifeste de la réforme LMD a été de tuer les DESS, qui étaient les seuls diplômes universitaires à-même de concurrencer les cursus des écoles. C’est alors que Mme Fioraso est venue. On a supprimé le niveau « spécialité », puis on a imposé ce fameux cadrage national des diplômes, qui est une coquille vide puisque personne ne contrôle la cohérence des intitulés. Alors que les universités étaient, sur le papier, plus autonomes que jamais, on leur a totalement coupé les ailes en matière d’innovation pédagogique; alors que l’on ne jure que par la professionnalisation des diplômes, on a totalement verouillé les masters professionnels, offerts en pâture aux disciplines « cadrées ».
Je suis entré dans le corps universitaire en 1982. Au cours de ces presque quarante ans, je n’ai cessé de voir ma liberté professionnelle se restreindre alors que les universités n’ont cessé d’être censément plus autonomes. Cela nous ramène au statut de l’Etat en France. Il est faux de penser qu’il constitue forcément un corset autoritaire. Il est souvent le garant des libertés, ce qui correspond à sa fonction de mécène, qui s’est longtemps exercée dans l’université. Regardons le théâtre public, regardons la radio publique … On y est souvent plus libre que dans leurs homologues privés. C’est au nom de l’autonomie, via la politique de contractualisation, que l’Etat s’est mis à corseter. En 2009, les présidents d’université sont tous tombés dans le piège des « compétences élargies ». Savez-vous quel est le seul établissement à les avoir refusées : Sciences-Po ! Cherchez l’erreur.
Autre chose.
J’ai montré que la crise (ouverte) de l’université datait, paradoxalement, du milieu des années 1990, quand, précisément, la croissance exponentielle des effectifs s’est arrêtée. Jusque-là, l’université (hors IUT ou écoles d’ingénieurs universitaires) arrivait à rester en équilibre dynamique, comme quand on pédale sur un vélo. La croissance, trop faible, du nombre de places dans les formations non-universitaires laissait un peu d’oxygène (de public de qualité convenable) aux universités. Quand la croissance s’est interrompue, le public universitaire a été totalement écrêté par le haut. A partir du début des années 2000, le nombre de places dans le système sélectif public (prépa et IUT) a cessé de croitre (il serait intéressant de voir ce qui a justifié cette politique). Dès lors, l’enseignement universitaire privé s’est mis à croître de façon exponentielle. A la fin des années 2000, les effectifs universitaires ont recommencé à croître du fait de la crise de 2008 (j’ai montré que l’évolution de ces effectifs était corrélée à celle du taux de chômage, à la différence de celle des effectifs du privé). Mais l’offre privée a cru plus vite et l’écrêtage par le haut du public étudiant s’est poursuivi.
15 mars 2020 à 18:21
Rachel
@François, vous pointez beaucoup du doigt les réformes qu’on nous a imposé et la perte de liberté. Mais est-ce vraiment à cause des gouvernements/ministère ? par exemple : ce cadrage national, n’a-t-il pas été réclamé par les universitaires (et des étudiants !) qui étaient terrorisés à l’idée d’une différenciation des établissements ? Autre exemple : on n’a pas changé les règles à l’entré de l’université malgré des réformes importantes du secondaire. Les universitaires ont préféré fermer les yeux sur les problèmes relatifs à la massification, principalement parce qu’ils y voyaient une grosse opportunité d’ouverture de postes. Autre exemple : beaucoup de dispositifs de la LRU n’ont pas été mis en application dans les établissements : libres et responsables, on choisit clairement de ne pas l’être, y compris la liberté pédagogique.
15 mars 2020 à 18:43
Gueux
@Rachel : « …qui étaient terrorisés à l’idée d’une différenciation des établissements ? »
Etaient ils terrorisés de cela ou par le niveau de grenouillage local qui les poussaient à réclamer un arbitre pour en limiter l’ampleur ?
15 mars 2020 à 20:30
François Vatin
Chère Rachel,
Vous cherchez à me mettre dans une position qui n’est pas la mienne. J’ai suffisamment insisté sur la responsabilité du milieu dans ces blocages pour qu’il soit utile de me le signifier. Sachez qu’à la place que j’occupe, cela m’a coûté très cher, car je n’ai jamais caché mon identité, comme ici encore.
Cela étant, je pense que vous sous-estimez de votre côté la responsabilité des pouvoirs publics.
Pour le cadrage national des diplômes, je n’ai malheureusement pas les sources permettant de savoir ce qui a pesé dans ce sens. Le problème était lié, aussi, à la suppression dans le référentiel du niveau « spécialité », d’abord en licence, puis en master. Je ne me souviens pas que le corps universitaire ait penché dans ce sens, mais il a laissé faire sans comprendre (j’avais essayé d’alerter alors, mais l’indifférence était générale). Je pense en revanche que cette mesure était conforme à l’idéologie naïve de l’Unef : « valeur nationale des diplômes », comme si la valeur se décretait. Mais je pense que pour les pouvoirs publics, l’objectif de la « rationalisation » de l’offre de formation avait aussi un objectif budgétaire. Ils ont donc sûrement eu le soutien de la CPU.
En ce qui concerne les règles d’entrée à l’université, c’est une longue histoire, celle de l’incapacité à modifier le statut du baccalauréat, premier grade universitaire. Ce ne sont pas les universitaires qui ont demandé la création des bacs techniques, puis professionnels. On a naïvement pensé alors que jamais ces bacheliers n’iraient vers l’université, que c’était donc sans effet pour l’université. On a simplement voulu, pour des raisons symboliques, offrir à tous le même statut. Il n’y avait pas de malveillance vis-à-vis de l’université, mais c’était irréfléchi et les universitaires n’ont pas alerté alors. Ensuite, c’était trop tard.
A la fin des années 1980, après l’échec de Devaquet, on est à mon sens entré dans une autre séquence. Les pouvoirs publics se sont servis de l’Unef, c’est-à-dire de la crainte d’un mouvement étudiant, pour leurs propres fins politiques : endiguer (statistiquement) le chômage. Avant d’entrer à l’université en 1982, j’ai travaillé pour le ministère de la Jeunesse et des Sports au moment de la mise en place du plan « action-Jeunes ». L’objectif était alors : « plus un jeune sortant de l’école aux niveaux VI et Vbis » (c’est à dire avant le CAP). Les « missions locales » ont été créées pour ce public « déscolarisé ». On considérait qu’avec un CAP, il n’y avait plus de problème … Ne parlons pas d’un bac. Il y avait une voie claire (pour les bacheliers généraux) : l’université …
Cette politique a été nourrie par une seconde erreur persistante. Le mode de gestion pédagogique de l’université a conduit à ce que l’on considère que le « coût marginal » d’un étudiant supplémentaire était nul : il suffit de l’asseoir sur les marches de l’amphi. Pour lutter contre cette logique et sélectionner à loisir, Dauphine a purement et simplement supprimé ces amphis ! Mais, comme l’a montré Marcel Boiteux pour l’électricité dans les années 1950, un coût marginal apparemment nul à court terme (quand on branche une ampoule de plus), ne l’est pas à long terme (quand il faut construire une nouvelle centrale nucléaire). Ce fut pareil pour l’université. Les pouvoirs publics ont donc dû mobiliser au cours des années des moyens importants en postes et en bâtiments (avec le soutien sur ce point des collectivités locales), sans jamais parvenir à un résultat satisfaisant. Dans une fuite en avant, l’université a coûté de plus en plus cher pour être de moins en moins productive. Je suis sûr qu’aujourd’hui, compte-tenu du taux d’échec, la production d’un diplômé de master par un cursus totalement universitaire coûte plus cher que par la filière, mieux dotée, prépa-école. Sans compter le développement de l’enseignement supérieur privé, qui conduit les familles à payer deux fois les études supérieures, par leurs impôts et par des frais de scolarité. Cette mauvaise gestion coûte in fine très cher à la nation. Nous nous trouvons dans une configuration qui évoque le système américain pour la santé : nous payons de plus en plus cher pour un service moyen de plus en plus médiocre.
Bien sûr, une bonne part du corps universitaire s’est fait prendre à cette politique. Vous avez tout à fait raison de dire que nos collègues y ont gagné des postes qui leur ont permis de placer leurs poulains. J’ai suivi tout cela. C’était couvert idéologiquement par une mauvaise conscience politique. Quand je défendais le principe de sélection à l’entrée à l’université, on me disait : « mais que va-t-on faire pour ce public [celui qui n’y aura pas sa place] ? Ma réponse : « mais qu’en faisons-nous en ce moment ? » Car les collègues hostiles à la sélection ne sont pas prêts pour autant à s’occuper d’un public inapte aux études universitaires.
Il y a donc eu une curieuse collusion entre les gouvernements, les universitaires et, non les étudiants (qui votent avec leurs pieds en plébiscitant les filières sélectives), mais leurs représentants autorisés, qui ne représentent en fait pas grand chose. Je pense que sous le quinquennat Hollande, la politique publique est devenue carrément cynique. J’en veux pour preuve l’incroyable mesure de Fioraso transformant le premier niveau de bourse, qui se limitait à la gratuité des droits d’inscription, en une prime de 1000-1200 euros annuelles. N’est-il pas évident que cette mesure a été négociée avec Bercy, qui a dû évaluer à ce montant le coût d’un jeune à Pôle-Emploi (en continuant à penser, d’ailleurs, qu’il ne coûtait rien à l’université) ? On a acheté des jeunes gens pour qu’ils aillent s’inscrire à l’université plutôt qu’à Pôle-Emploi, sans se soucier de savoir si l’université leur fournissait des prestations conformes à leurs besoins et à leurs aspirations.
C’est pourquoi j’avais proposé la suppression des bourses universitaires au profit d’un dispositif plus général : « allocation de jeune en formation » (AJEF), distribuée sur la même base en termes de critères sociaux, mais dont la contrepartie d’activité pouvait être variable, le suivi d’études universitaires n’étant qu’une modalité. Il s’agissait de faire en sorte que plus un jeune ne s’inscrive à l’université pour la Bourse. Vous pourrez retrouver cette proposition sur internet sur le site des « convivialistes » créé par Alain Caillé, mais il faut aller regarder « en cache » car le site a été modifié. Je vais demander à Alain Caillé de faire en sorte que cela puisse apparaître de nouveau en clair.
J’essaye de considérer tout cela en analyste, qui essaye de comprendre comment on peut prendre de mauvaises décisions collectives, sans chercher à dénoncer telle ou telle partie. C’est le jeu combiné qu’il faut regarder. C’est à partir de là qu’il faut voir ce qui peut être dénoué. Faire porter le chapeau aux uns ou aux autres ne fera pas avancer la question. Cela ne nous empêche pas de pouvoir être exaspérés par l’attitude ou la décision de tel ou tel.
Bien à vous
15 mars 2020 à 23:37
Rachel
@François, mon point de départ c’était la LRU. J’ai eu la maladresse d’aller tenter de l’expliquer en AG que j’y étais favorable (j’étais une vraie cruche à l’époque et je le suis certainement toujours). J’ai vraiment pris une grande claque et j’ai été stupéfaite par la violence des collègues (insultes, harcèlement jusque dans ma boite mail). Je n’ai pas su réagir et donc j’ai fermé ma gueule. J’ai ouvert ce blog pour pouvoir dire ce que je ne parvenais pas à dire dans mon université. Je l’ai fait anonymement pour me protéger et c’est clairement une forme de manque de courage. Le nonisme universitaire a été ma cible principale puis ensuite j’ai fait des billets sur un peu tout. J’ai assez vite compris que les lecteurs ne venaient pas pour lire ma daube mais pour suivre les discussions qui se développaient. Pour une raison incompréhensible, j’ai eu beaucoup de commentateurs passionnants et de discussions enfiévrées qui me paraissaient d’un niveau bien supérieur aux autres forums de discussion. Et par bonheur ça continue, malgré un arrêt prolongé ces derniers temps.
Il est tout à fait possible que je ne comprenne pas bien les équilibres des forces. Ce qui m’a toujours étonné c’est qu’il me semble que les réformes arrivent d’en haut sans que ce soit alimenté par des propositions de fonds qui viennent du bas (car des problèmes il y en a). Je ne sens pas qu’il n’y ait de courants réformistes et on préfère les attitudes de victimisation ou anti-réformes à chaque loi ou réforme. A mon sens ce sont les universitaires qui devraient être les moteurs du devenir des universités. Je ne comprends pas pourquoi il n’y pas de mouvements réformateurs à l’université. Ou s’il y en a, pourquoi est-il inaudible ?
J’avais une autre question (j’en profite), qui est relative à une phrase de la constitution : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Je comprends bien que l’université n’est pas tout l’enseignement supérieur, mais comment votre positionnement s’articule avec cette phrase ?
16 mars 2020 à 08:29
jako
@Rachel : les réformes sont acceptées d’autant plus facilement qu’elles résultent de véritables concertations et qu’elles visent à améliorer le fonctionnement de l’existant. Or vous trouvez qu’en France les réformes sont menées dans cet esprit ? Laissons de côté la « mastérisation », déjà évoquée. Le cas du nouveau bac est révélateur : avez-vous eu l’occasion d’en parler avec des collègues du lycée ? Improvisation totale, désorganisation généralisée, etc. Même les profs supposés mettre en oeuvre la réforme n’étaient au courant de rien. Même l’inspection générale de l’EN a dézingué la réforme du lycée pour la désorganisation qu’elle a instaurée :
« Au-delà de l’aspect logistique de l’organisation des E3C, l’inspection générale relève un problème de fond : les épreuves de contrôle continu instituent « une confusion entre la logique de la certification (baccalauréat) et la logique de la formation (notes balises), qui devrait être au cœur de la réforme : le poids effectif ou présumé des E3C déséquilibre l’ensemble, au détriment de la formation ».
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/28/l-inspection-generale-met-une-mauvaise-note-au-bac-blanquer_6031159_3224.html
Vous avez bien lu : « au détriment de la formation ». Allez vous demander ensuite par quel miracle vous vous retrouvez en L1 avec des étudiants complètement largués… Si vous êtes en école d’ingé et si vous n’enseignez pas en L1, il doit être difficile d’imaginer ce que peuvent être les conséquences de ce genre de réforme sur la situation des étudiants qui arrivent à l’université.
Vous écrivez que « les réformes arrivent d’en haut sans que ce soit alimenté par des propositions de fonds qui viennent du bas ». Parce que vous avez l’impression qu’elles sont prises en compte les propositions / préoccupations / critiques qui viennent d’en-bas ? Parlez-en avec les collègues contraints de mettre en place en catastrophe les E3C. Surtout parlez-en avec les élèves qui en ce moment essuient les plâtres de cette soi-disant réforme ; puisque vous parlez de victimisation, ces élèves se seraient bien passé d’en être les cobayes…
A lire également le témoignage de cette directrice d’école dont le suicide avait il y a quelques mois choqué toute la France et pour lequel la responsabilité de l’administration a clairement été engagée. Elle aussi, dans la lettre qu’elle avait laissée, évoquait les « réformes », le double bind permanent, l’empilement de tâches et de missions, etc…
P.S. Sans doute est-ce lié à l’expérience personnelle dont vous faisiez état plus haut, mais vous avez l’air beaucoup plus indulgente avec les politiques qu’avec vos collègues. Comme si par nature les politiques n’étaient guidés que par le bien de l’humanité et qu’a contrario vos collègues n’étaient animés que par une sorte d’instinct de destruction. Sans aucun doute y a-t-il à l’Université des barons guidés par rien d’autre que leur soif de pouvoir et de gloire personnelle ; sans doute ces mêmes barons ont-il usé de toute leur capacité de nuisance pour asseoir leur baronnie. Mais franchement, dans leur très grande majorité, on a quand même l’impression que les gens qui ont les mains dans le cambouis au quotidien cherchent à faire leur boulot tant bien que mal, contre vents et marrées et avec des capitaines qui passent leur temps à donner des ordres et des contre-ordres. Ce qui, pour aller de l’avant, est quand même compliqué….
16 mars 2020 à 09:17
Rachel
@Jako, je l’ai dit souvent ici, je trouve que les universités ont un soft power qui me parait trop faible. Les syndicats, qui sont officiellement les interlocuteurs, n’ont que très peu de poids car le taux de syndicalisation est très faible. Les collectifs universitaires sont presque tous nonistes et ne sont pas dans une démarche constructive ou réformatrice. Bien entendu tous les politiques ne sont pas forcements guidés par le bien de l’humanité, mais je me méfie comme la peste du « tous pourris » car pour moi ce n’est rien d’autre que du populisme de bas étage.
16 mars 2020 à 09:37
Gueux
@Rachel : Les politiques ne sont pas forcements « tous pourris », certes. Il y a quand même quelques faits observables qui posent question. Par exemple, cet automne nous avons dû voter pour les élections du CNU. Ne connaissant aucun candidat(e) dans ma section, je suis allé voir leur CV. Une corrélation forte est apparue : plus le CV était léger, plus la position était haute en position éligible. Ce doit être cela la poussée d’Archimède bureaucratique. Je vous laisse vérifier pour votre section. Le problème est qu’en local, au moins chez moi, c’est pire. Donc, si on veut que les gens adhèrent/participent aux réformes, il faudrait commencer par mettre fin à ce principe de Dilbert généralisé et mettre fin à l’apparatchisme. La proposition de François de procéder à des tirages au sort me semble être un début incontournable.
16 mars 2020 à 14:00
François Vatin
Chère Rachel,
Je comprends très bien votre histoire, à certains égards parallèle à la mienne.
Je n’étais pas favorable à la LRU, parce que la seule autonomie proposée (budgétaire) était un piège dans lequel la CPU est tombée. La vraie autonomie académique, c’est celle des « libertés universitaires ». Elle peut s’exercer dans le régime de la fonction publique. L’autonomie qui nous est proposée diminue les libertés académiques sous la pression de chefaillons, car la démocratie universitaire (l’élection des présidents et tutti quanti) est un leurre et que ces chefaillons sont totalement soumis aux autorités étatiques quand ils ne « roulent » pas simplement pour eux. J’ai déjà parlé de leur position de « marginaux-sécant », qui les autorisent à dire au ministère ce que voudrait l’université et aux universitaires ce que voudrait le ministère. Une autre réforme d’urgence à faire serait d’imposer aux présidents de redevenir des professeurs ordinaires dès la fin de leur mandat, qu’ils consacrent aujourd’hui pour une large part à chercher leur point de chute. Une statistique sur le devenir des présidents d’université serait édifiante.
Je n’étais pas favorable non plus à la LRU, parce que, négociée avec l’Unef, elle faisait une fois de plus l’impasse sur la seule vraie question : celle de l’attractivité de l’université. L’affaire du master a été un comble. Sous la pression de l’Unef, Mme Pécresse n’a pas eu le courage d’introduire la sélection à l’entrée en master. Il a fallu l’action des tribunaux pour que cette incohérence constitutive du LMD soit enfin levée. C’est donc dans ce contexte que j’ai très largement été à l’origine du mouvement des « refondateurs » qui s’est initialement structuré autour des « onze propositions de réforme de l’université » que j’avais cosigné avec Alain Caillé.
Si je me suis lancé dans cette action, c’est que je ne voyais plus comment travailler à la base, dans mon contexte professionnel, ce qui est mon attitude spontanée. Il me semblait que je serais plus utile en portant la question au niveau politique. L’affaire des refondateurs a été de réunir autour d’une même table sur des propositions concrètes (l’article-pétition du Monde que j’ai rédigé à partir des 11 proposition) des collègues favorables ou opposés à la LRU, mais qui voyaient bien que les question majeures étaient ailleurs. C’est ce que j’ai aussi expliqué à Hollande à l’automne 2010. Je pense que l’avenir nous a donné raison et que quelques évolutions, que nous avons en partie inspirées, ont été dans le bon sens : la sélection à l’entrée en master, Parcoursup qui est incontestablement un progrès par rapport à APB … Mais la configuration est globalement trop gangrenée pour que l’université puisse remonter la pente.
Vous m’interrogez sur cette formule : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». C’est une question compliquée qui engage la discussion sur l' »égalité des chances » et la « méritocratie ». Je crois que c’est en effet ce qui bloque idéologiquement la réflexion sur ces sujets. Vous voudrez bien m’excuser, en ces temps de confinement, de prendre le temps d’une « leçon de sociologie » un peu longue à ce propos.
Notons d’abord que l' »égal accès » ne signifie pas l’accès pour tous. Cela veut dire qu’il n’y a pas de conditions préalables autres que le mérite. Il faut comprendre que ce n’est pas évident en toute généralité. Sous l’ancien régime, l’accès à l’école royale du génie (qui a inspiré Polytechnique) était réservé, en principe, aux titulaires de titre de noblesse. En 1804 (si mes souvenirs sont bons), Napoléon a exigé la détention du baccalauréat pour la présentation aux épreuves d’entrée à Polytechnique, règle qui n’existait pas auparavant. Il s’agissait de s’assurer que ne rentreraient que des élèves issus de « bons milieux », qui avaient fait leurs humanités, ce qui n’était pas forcément le cas au cours de la première décennie de cette école. La « sélection de classe » était un objectif explicitement visé.
L’égalité des chances procède du nouveau régime idéologique issu de la Révolution, que l’anthropologue Louis Dumont a caractérisé par l’expression « homo aequalis » par opposition à l' »homo hierarchicus », celui des sociétés de castes indiennes dont il était spécialiste, encore à l’oeuvre dans la « société d’ordre » de l’ancien régime. C’est le premier article des droits de l’homme et du citoyen : « tous les hommes naissent libres et égaux … » que tout le monde connait.
Depuis le XIXe siècle, de nombreux auteurs ont insisté sur les limites de cette égalité libérale, qui n’est que formelle et pas réelle. Il n’y a plus de castes, ni d’ordres, mais des classes qui déterminent des chances sociales différentiées. Cette réalité statistique a maintes fois été documentée. Elle est au coeur de la sociologie de Bourdieu qui a largement dominé le débat scolaire en France. L’erreur de Bourdieu est toutefois d’en avoir déduit une critique de l’école comme « appareil de reproduction », en cherchant à montrer tous les dispositifs insidieux par lesquels l’école favoriserait les enfants des classes supérieures.
La question n’est pas de savoir si ces mécanismes sont à l’oeuvre ou pas (ils le sont souvent sûrement). Elle est que cette démarche a conduit à penser que l’on pouvait réformer l’école en éradiquant ces distorsions et que serait alors assurée « l’égalité des chances ». C’est se leurrer totalement sur le rapport de l’école à la société. Et, sur ce point, la controverse qui a eu lieu entre Pierre Bourdieu et un autre sociologue taxé de droitisme : Raymond Boudon est instructive.
Boudon a en effet montré deux choses : D’une part que Bourdieu ne s’intéressait qu’à la moyenne (la reproduction) et pas aux marges (les enfants qui ont un parcours contraire à leur prédestination sociale); or, ces marges sont suffisamment importantes pour que, sur plusieurs générations, la mobilité sociale soit effective. On voit bien ici la différence entre les « classes » : produit de la position que l’on arrive à occuper dans la société, et les « castes » auxquelles on est assigné. Mais le second élément de la démonstration de Boudon est plus important pour notre discussion. Il a montré en effet que l’on n’avait pas besoin de l’hypothèse lourde de Bourdieu sur le rôle de l’école comme appareil de reproduction pour montrer que celle-ci s’opérait (en moyenne). Il suffit d’admettre que chacun cherche à faire réussir ses enfants, mais que chacun ne dispose pas des mêmes moyens, économiques, sociaux, culturels pour ce faire. Que chacun définit aussi la « réussite » en fonction de sa propre position : ce n’est pas la même chose d’obtenir le baccalauréat quand vous êtes le premier de votre filiation à l’obtenir, ou quand on en est titulaire dans la famille depuis trois générations. On modèrera donc ses ambitions scolaires dans le premier cas, on se livrera à ce que l’on appelle de l' »acharnement scolaire » dans le second.
Autrement dit, l’égalité « réelle » (et non plus formelle) des chances est une fiction. Cela ne saurait être, dans l’absolu, un objectif politique raisonnable à se fixer, puisqu’il faudrait pour y parvenir enlever les enfants à leurs parents dès le berceau. Personne ne pourra interdire aux gens de chercher à faire réussir leurs enfants. Et les professeurs qui aiment tenir le discours de l’égalité des chances et qui parfois ont mis du Bourdieu en pratique de façon douteuse (en indexant les notes selon la profession des parents pour compenser les mécanismes de reproduction) sont les premiers à agir dans ce sens pour leurs propres enfants comme toutes les enquêtes le montrent.
Le paradoxe est, je pense, que la recherche à tous prix de l’égalité réelle des chances a souvent produit le résultat inverse de l’effet désiré. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’université. Autrefois, une fraction plus faible des enfants des classes populaires entraient à l’université, mais, une fois entrés, ceux-ci étaient pris dans la « grande lessiveuse sociale ». L’accès massif à l’université d’un public qui n’avait pas le niveau requis a conduit les familles qui le pouvaient à contourner l’université. Comme les places dans l’enseignement sélectif public étaient contingentées, cela a conduit au développement de l’enseignement supérieur privé et donc à une « sélection par l’argent » qui n’existait pas dans l’enseignement supérieur.
Un autre phénomène social majeur me semble ne pas avoir été pris en considération dans les débats. Jusqu’à une date récente, la « reproduction sociale » ne se réalisait pas seulement par l’école. Une bonne partie de la bourgeoisie se reproduisait par la propriété. Connaissez-vous l’adage des notaires : « pourquoi faire des études quand on peut en acheter une ? ». Paradoxalement, cette configuration offrait une capacité de promotion sociale par l’école. Au XIXe siècle, on distinguait la bourgeoisie « censitaire » (celle qui payait le « cens », définie par la fortune) et la bourgeoisie « capacitaire », celle, sans fortune, mais détentrice de titres scolaires. L’aplatissement de la hiérarchie des fortunes, la forte réduction des effectifs d' »indépendants » avec la généralisation du salariat, l' »euthanasie » des rentiers selon la formule de Keynes, bref la démocratisation de notre société que nous avons connue depuis un siècle a eu de ce point de vue un effet de revers considérable : la bourgeoisie a massivement investi l’école ! Pour obtenir une place convenable dans la société, il ne suffit plus d’être bien né, il faut avoir sacrifié avec succès aux exigences scolaires. On comprend alors l’effet des mécanismes évoqués plus haut : la nécessité absolue de faire « réussir » ses enfants.
La méritocratie comme idéal d’égalité sociale atteint ici ses limites. Les dispositifs mis en place pour assurer l’égalité, dont le modèle emblématique est le « concours républicain » deviennent des instruments redoutables favorisant l’endogamie sociale. On ne le comprend pas, car, autrefois, quand de larges fractions de la bourgeoisie n’avaient pas besoin d’investir l’école, ces concours permettaient au contraire la promotion sociale. L’exemple le plus typique est l’Ecole normale supérieure, qui accueillait encore jusqu’aux années 1960 nombre d’enfants d’instituteurs …
J’en reviens pour finir à l’idée de « l’accueil de tous ». De tous sans doute, mais de tous ceux qui le veulent, car l’enseignement, en France, reste libre sous le contrôle de l’Etat. Rien n’est pire à cet égard qu’un système public qui pousse les populations fortunées à se détourner de lui et devient un refuge pour les pauvres. L’hôpital public, à l’honneur aujourd’hui, n’est public que parce qu’il accueille riches et pauvres indirectement. Si le service se dégrade et que les riches « font sécession » pour fonder leur propre système de santé, l’hôpital public va se dégrader. C’est ce qui se passe aujourd’hui pour l’université.
On fait aujourd’hui une grave erreur sur le principe de solidarité, qui n’est plus pensé qu’entre riches et pauvres. Notre système de protection sociale républicain a été pensé sur d’autres bases aussi : solidarité entre jeunes et vieux, malades et bien-portants, entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Restreindre la solidarité au seul axe riches-pauvres, c’est déliter la société. Paradoxalement, il faut aussi savoir « donner aux riches ». Voir le débat sur les allocations familiales, où l’on a considérer comme un scandale que des riches puissent en bénéficier : mais un « riche » avec des enfants a, toutes choses égales par ailleurs, des frais que n’a pas un riche sans enfants. Si on va de ce train, il faudra aussi considérer qu’il ne faut plus rembourser les soins de santé aux riches, parce qu’ils peuvent « se les payer ».
Un point de l’histoire de l’enseignement en France est très instructif à ce propos. On dit que les lois Ferry auraient créé l’école « publique, laïque, gratuite et obligatoire ». Elle n’a jamais été obligatoire; ce qui existe, c’est « l’obligation d’enseignement » faite aux parents. L’Etat met l’école au service de ceux-ci pour ce faire, s’ils le souhaitent. Mais l’origine de l’école publique est bien plus ancienne. Elle date de la Révolution qui a : d’une part exigé l’installation d’une école dans chaque commune si elle n’existait pas déjà (écoles tenues par l’église); – d’autre part, l’obligation d’accueil gratuite dans toutes les écoles des indigents. Mais la règle générale était que les familles payaient les maîtres, y compris dans les écoles « communales ». Je vous passe l’évolution progressive au cours du XIXe de la rémunération des maîtres. Ce qui est fondamentalement nouveau avec les lois Ferry, c’est, d’une part, que toutes les communes devront offrir ce service (mettre à disposition une école publique, même si une école privée existe) et, d’autre part que ce service sera dorénavant gratuit pour tous. Autrement dit, la démocratie a ici progressé avec la gratuité pour les riches, pas pour les pauvres, pour lesquels elle était garantie (en théorie) auparavant, ce qui se traduisait souvent par leur discrimination par les maîtres.
Vous voudrez bien m’excuser pour ce long développement qui vise à sortir d’une interprétation simpliste et dangereuse de la formule que vous citez. Le maximalisme en cette matière comme en bien d’autres aboutit au résultat exactement inverse de celui que l’on souhaiterait. Il faut admettre qu’une totalité égalité (réelle) des chances est impossible, que ce n’est pas là un objectif qu’il faille se fixer pragmatiquement pour pouvoir travailler plus finement sur le système scolaire, le rendre plus juste et favoriser la mobilité sociale. Pour la question qui nous préoccupe ici, je crois avoir clairement montré que le refus de la sélection à l’entrée à l’université, souvent justifiée (à tort) par ce principe a induit, non une réduction mais une aggravation des inégalités scolaires.
16 mars 2020 à 15:29
Gueux
@François : merci pour ce mini-cours de sociologie. Votre dernière phrase me pose question. Je ne crois que ce soit le refus de la sélection à l’entrée qui soit le problème, mais le refus d’un taux d’échec trop élevé. Je ne dis par qu’il faille imposer un taux de réussite a priori, mais qu’il faut se fixer des objectifs à atteindre, et s’y tenir. Si pour réussir il faut sauter deux mètres, et bien deux mètres c’est 200 cm, pas 20 cm comme on le fait aujourd’hui pour éviter le massacre. Tant mieux s’il y a 90% de réussite et tant pis s’il n’y en a que 10%.
16 mars 2020 à 16:11
François Vatin
Cher Monsieur,
Je pense que vous vous trompez. Sur deux points : D’une part, nos collègues hostiles à la sélection à l’entrée à l’université, n’hésitent pas pour autant à sélectionner dans le cours du cursus, sans se préoccuper de ce que deviennent les personnes. Mais, pourtant, le niveau du public universitaire se dégrade gravement.
En fait, l’université n’a cessé de réduire ses exigences, précisément pour la raison que vous dites. Il est très difficile de faire échouer une trop grande proportion du public. A cette interrogation morale est venue s’ajouter des considérations moins nobles : remplir à tous prix des filières qui se vident. Or ne pas chercher à maintenir le niveau est à terme suicidaire. Car, ce qu’il faut comprendre est que ce n’est pas le niveau général des bacheliers qui diminue, mais bien le niveau de ceux qui s’inscrivent à l’université. Deux données : 1. Vous savez que le bac S (jusqu’à la récente réforme) représentait 50 % du baccalauréat général; c’est devenu le baccalauréat de référence. Or, 80 % des bacheliers S échappent à l’université, hors cursus Santé ! 2. Quel que soit le baccalauréat, y compris le baccalauréat professionnel, on s’inscrit d’autant plus à l’université que l’on a eu le baccalauréat difficilement.
Résultat : j’ai eu en master des étudiants incapables de rédiger une page en français. Mais, ailleurs, il y a d’excellents étudiants. J’ai eu récemment l’occasion de faire une conférence au campus du Havre de Sciences-Po. Il n’y a là que des étudiants de niveau licence (« bachelor », puisqu’on ne délivrent plus dans cette école de titres publics). Ils sont venus entre 12 et 13 heures, pendant leur pause-déjeuner. Deux d’entre-eux avaient préparé la séance de façon excellente : ils avaient dû pour cela lire un gros livre. Les autres ont également posé des questions pertinentes. J’ai félicité la directrice des études qui assistait à la séance, en lui disant à quel point cela me faisait plaisir de retrouver des étudiants, car je n’en avais plus. Réponse : « comment cela, mais où sont-ils ? – Chez vous ! » D’où croient-ils que proviennent leurs étudiants, probablement au moins dix fois plus nombreux qu’il y a vingt ans, si ce n’est des universités dont ils se sont détournés !
Donc, accepter de baisser le niveau, c’est accepter d’abaisser encore la valeur des titres universitaires. Aujourd’hui, on assiste à une hiérarchisation verticale des cursus, entre établissements (d’où la belle blague du référentiel national des diplômes !) Faire ses études à l’université, c’est avoir d’emblée un titre dégradé. Accepter de baisser le niveau, c’est entretenir cette logique en transformant une image en une réalité, qui va renforcer l’image (ce qu’on appelle une « prophétie créatrice » : le mécanisme des crises boursières). C’est finalement aller vers le modèle de « l’université des pauvres » que je dénonce, car les pauvres en sont les premières victimes. Les étudiants de qualité de milieu défavorisé se font escroquer, puisqu’ils se retrouvent d’emblée sur une voie dévalorisée. La démagogie universitaire ne sert pas les classes populaires, au contraire.
Mais je suis d’accord qu’il est peut-être trop tard pour raisonner ainsi. Il faudra alors accepter deux choses :
-1. Ce que l’on appelle encore des universités n’en sont plus guère et il faut les transformer pour les adapter à leur public; leur mission devient en gros de produire des BTS en cinq ans. Pour opérer cette mutation, il faut recruter de tous autres personnels qu’aujourd’hui, car il est absurde, anti-économique et inefficace de recruter des enseignants-chercheurs pour faire de la remédiation scolaire, de l’accompagnement social, du suivi professionnel.
2. La « vraie » université est à construire ailleurs. On en voit les linéaments en élaboration avec les « grandes écoles » ou des regroupements comme PSL. Il faudra s’habituer à ce que cette nouvelle université soit socialement très sélective, car de plus en plus souvent payante, même quand elle bénéficie de fonds publics.
C’est contre ce grand gâchis que je me bats depuis dix ans. Mais l’expérience prouve que c’est très difficile à faire comprendre.
16 mars 2020 à 16:31
jako
Prenons un exemple précis : l’objectif de 50% d’une génération diplômée de l’enseignement supérieur. Quelle est l’origine de cet « objectif » ? Les « universitaires », trop contents de maintenir leurs formations et de demander des postes pour répondre à ces objectifs ? Ou le pouvoir politique ?
« En France, dans son intervention du 16 décembre 2004, François Fillon, alors ministre de l’Éducation nationale, présentait au Conseil supérieur de l’éducation sa première version du projet de loi d’orientation sur l’avenir de l’école. Dans son introduction, François Fillon déclinait les trois objectifs fondamentaux qui présidaient cette loi d’orientation. Le premier objectif, était de « garantir que 100 % des élèves aient acquis un diplôme ou une qualification reconnue au terme de leur formation scolaire ». Le deuxième était d’assurer que « 80 % d’une classe d’âge accède à un niveau baccalauréat». Enfin, le troisième objectif, considéré alors comme prioritaire, était de « conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur». Ces objectifs ont été repris dans les annexes lors du vote de la loi en avril 2005. De plus, l’objectif 50 % figure comme un des objectifs fixés au programme concernant l’enseignement supérieur dans la loi de finances pour 2006 (présentation par objectif conforme à la LOLF) »
https://www.vie-publique.fr/rapport/28896-objectif-50-dune-generation-diplomee-de-lenseignement-superieur
A partir de là, et si on couple ces objectifs à un système d’allocation des moyens fondé sur la performance (elle-même indexée, entre autres, sur les taux de réussite), n’aboutit-on pas aux effets pervers que chacun peut constater en termes de niveau des étudiants, en termes de dévalorisation des diplômes, etc. ?
16 mars 2020 à 18:28
François Vatin
En soi, les formules du type « 80 % au bac », « 50 % à la licence » sont des slogans qui s’inscrivent dans l’esprit d’une augmentation séculaire du niveau général de formation. Ainsi considérées, elles ne sont pas problématiques en soi. Le problème, c’est qu’elles sont vendues au public dans un régime de confusion entre la logique individuelle et la logique collective. Depuis 40 ans, on pousse les jeunes gens à « réussir à l’école », à « élever leur niveau de diplôme » en leur faisant valoir la corrélation positive entre niveau de diplôme et salaire, négative entre niveau de diplôme et taux de chômage. Mais ce qui est vrai pour un individu « toutes choses égales par ailleurs » ne l’est plus pour une collectivité. Si on imagine que l' »élite » est composée des 20 % les mieux classés scolairement, ce seront (grossièrement) les bacheliers dans une classe d’âge où il représente 20 %, les licenciés dans une classe d’âge où il représentent 20 %, etc. De faire passer le pourcentage de bacheliers de 20 à 40 % n’augmentera pas la taille de l' »élite ».
La question est en général d’autant plus mal traitée que l’on présente les corrélations avec le niveau de diplôme sans indexer les individus par leur génération. On mélange ainsi des configurations disparates en ajoutant des bacheliers de 1970 (20 % d’une classe d’âge) et des bacheliers de 2010 (75 % d’une classe d’âge).
On ne peut sortir de cette contradiction qu’en se libérant de la conception relative de la valeur du diplôme (valeur que les économiques disent « extrinsèque » :espérance d’un rang social, d’un salaire, etc.) pour rappeler sa valeur absolue, « intrinsèque ». Au début du XXe siècle, savoir lire et écrire vous « distinguait » dans la société. Ce sont aujourd’hui des compétences communes, exigées de tous. Pour autant, cela reste des valeurs en soi, qui permettent bien des choses dans la vie … Il en est ainsi de tous les biens culturels.
16 mars 2020 à 22:54
jako
Mais ne s’agit-il que de slogan ? Quand des inspecteurs exercent pression et chantage sur les correcteurs du bac pour relever les moyennes, on n’est plus dans le slogan : on est dans une stratégie dont les conséquences s’observent concrètement dans nos amphis
16 mars 2020 à 23:20
François Vatin
Bien sûr. Un slogan bien conçu est un guide pour l’action. Je ne doute pas de l’effectivité de cette politique. Et je vous suis sur le risque « à la soviétique » de chercher à modeler le réel sur l’objectif. Cela tient du plan quinquennal !
Ce que je veux dire est que le problème n’est pas en soi l’élévation du niveau général de formation de la population. Car il faut se méfier aussi du discours de ceux qui depuis le XIXe siècle dénoncent les « demi-savants », qui deviennent des agitateurs, et considèrent qu’il vaut mieux laisser le peuple dans l’inculture.
Le problème n’est pas en soi qu’il y est plus de bacheliers, de licenciés … Il est:
1. qu’on confonde la fin (plus et mieux formé) et l’indicateur (le taux de diplômés); ce que vous dénoncez à juste titre;
2. qu’on est vendu cette politique sans expliquer au gens que l’élévation du taux de diplômés provoquent nécessairement la dévalorisation (relative) du diplôme, mais pas forcément sa dévalorisation absolue (la connaissance certifiée) si on n’a pris garde à ne pas tomber dans le premier panneau.
17 mars 2020 à 09:12
Rachel
@François, ne vous excusez pas de la longueur de vos commentaires, c’est passionnant. Toutefois mon comité de lecture, qui examine de chaque commentaire avant validation, sue à grosse gouttes et menace à présent d’exercer son droit de retrait !
Dans votre commentaire d’hier (14:00), le thème de la gouvernance est très présent et en toile de fond celui de la méfiance qu’on peut avoir envers des « chefaillons » de tous poils. On a discuté de ça ici à de multiples reprises et bien entendu sans jamais avoir de consensus sur cette question. Il semble que pour nombre de personnes, plus le pouvoir est loin, plus on se sent libre. Il est vrai que si les « chefaillons » ne sont que des relais locaux du pouvoir étatique, je peux comprendre que ça rend les choses plus pesantes. Ça revient à dire que l’autonomie (ici un pouvoir illusoire redonné aux universités) est une servitude ?
Je n’ai pas de problème majeur à un modèle à la soviétique. Mais dans ce cas, c’est assez clair qu’on ne peut pas lutter contre les problèmes qui rongent l’université. Et on n’y est pas parvenu.
Il y a finalement une sorte de conflit entre les mots « libertés » et « responsabilités ». Tout comme il y a un conflit au sein même du thème des libertés universitaires entre la liberté individuelle et celle de la collectivité d’une structure (de type département ou Université, bref locale). Moi j’ai comme l’impression que la responsabilité c’est difficile à assumer et que les universitaires la fuient. C’est peut-être là tout le problème de la LRU, c’est d’avoir proposer un modèle trop ambitieux ?
J’avais fait une série de billets sur le thème des libertés universitaires, très largement inspirés par des textes qu’avait écrit Olivier Beaud à l’époque. Séquence auto-promotion:
Libertés universitaires : en quoi consiste cette liberté ?
Libertés universitaires : Le rôle des syndicats
Libertés universitaires : Refaire de l’université un objet politique
Libertés universitaires : L’article L952-2 du code de l’éducation
Libertés universitaires : Clôturer le monde universitaire
Libertés universitaires : Le rôle du CNRS
Libertés universitaires : L’autonomie des universités
Libertés universitaires : Enseigner ce que l’on veut
Libertés universitaires : Sélectionner ses étudiants
Libertés universitaires : Autonomie financière
Libertés universitaires : L’autonomie est une servitude
Je n’ai pas encore pris le temps de bien lire vos textes récents, mais j’ai l’impression qu’ils sont très fortement focalisés sur l’enseignement et peu sur la recherche. Chez nous, en « sciences dures », il y a deux thèmes centraux qui comptent beaucoup : celui des grandes écoles et des IUT qui ont asséché à l’extrême le réservoir de bons étudiants et celui des organismes de recherche qui ont un rôle important de pilotage de la recherche. Par ailleurs, toujours en « sciences dures », l’organisation pratique en laboratoires et en équipes fait que des chefaillons, on en a depuis longtemps. Bien entendu vous trouverez plein de collègues qui s’en plaignent mais on a quand même réussi à faire vivre une forme de collectivité, et pas toujours pour le pire. Tous ces chefaillons ne sont pas des arrivistes qui ne pensent qu’au pouvoir et à leur promotion, j’en connais un paquet qui œuvre pour la collectivité avec empathie. C’est pourquoi je n’aime pas ces discours du « tous pourris » (ici je précise que ce n’est pas vous qui tenez ces discours).
Je reviens sur la phrase de la constitution « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Si je la comprends bien, ça veut dire que toute personne qui veut s’inscrire dans l’enseignement supérieur peut le faire de droit : l’Etat a une obligation de lui fournir cela gratuitement. C’était surement facile à faire en 1946 avec environ 5% de bachelier mais plus compliqué à gérer aujourd’hui avec 75 % de bachelier. On peut se demander si vraiment cet article de la constitution est raisonnable aujourd’hui. C’est à l’université qu’on donne la mission d’accueillir des hordes d’illettrés sans lui donner vraiment de moyens, et je suis bien d’accord avec vous que les EC ne sont pas bien adaptés pour faire de la remédiation scolaire. C’est quand même un peu curieux qu’on ne puisse pas recruter des enseignants statutaire (à supposé que c’est à l’université de s’occuper des néo-bacheliers les plus faibles, là on peut aussi se poser la question).
17 mars 2020 à 11:55
Gueux
@François : En sciences dures, nos collègues hostiles à la sélection à l’entrée à l’université, ne sélectionnent pas non plus au cours du cursus, tout simplement parce qu’il n’y a pas assez d’étudiants.
Je suis bien d’accord avec vos points 1 et 2 (post du 16 mars 2020 à 16:11), cela à déjà été abordé sur ce blog il y a plusieurs années. Pour arrêter la tromperie sur la marchandise, il faudrait renommer les universités.
17 mars 2020 à 12:16
François Vatin
@Gueux. Merci pour votre réaction. Un de mes gros problèmes est en effet mon manque d’informations fines sur la situation des « sciences dures. J’ai pu analyser les statistiques et montrer l’inanité de la thèse de la « désaffection des vocations scientifiques ». Celle-ci a été produite seulement parce que certains de vos collègues ont étudié l’évolution des effectifs dans ce secteur sans regarder l’ensemble. Les courbes des « sciences dures » et des « sciences humaines et sociales » sont exactement parallèles, à la hausse, comme à la baisse. C’est un problème des études généralistes à l’université. Au succès des écoles d’ingénieur pour les uns, correspond le succès des écoles de gestion pour les autres.
Cette analyse myope est malheureusement assez symptomatique de notre milieu. Quand j’ai fondé le mouvement éphémère des Refondateurs, j’ai dû insister auprès des collègues pour que les sciences dures soient représentées. Spontanément, les collègues pensaient que leurs problèmes n’étaient pas partagés. J’avais fort heureusement quelques amis qui m’ont confirmé que les situations étaient souvent très similaires et nous avons pu mobiliser avec succès dans cette cause y compris quelques grands noms.
Ce fut un des rares moments de réflexion vraiment pan-disciplinaire (voilà un mot qu’il faudrait inventer en ces temps de pandémie). Depuis, les contacts se sont estompés. Je n’ai pas la connaissance intime de ce qui se passe dans les départements de sciences exactes. Votre témoignage est donc très précieux.
17 mars 2020 à 13:55
François Vatin
@Rachel. J’encombre votre réseau, mais vous me poussez à poursuivre, en profitant de ma faiblesse de confiné ! Et en conséquence, je fais d’horribles fautes d’orthographe qui me désolent ! Deux verbes « être » pour des verbes « avoir ». Votre comité de validation ne pourrait-il s’occuper de la correction orthographique ?
Je pars de votre dernière remarque. La configuration que vous décrivez n’a pas pour origine le principe général que vous rappelez, mais le statut du baccalauréat. Il n’y a aucun droit à l’entrée sans condition à l’université. Il y a un droit qui s’applique à tous les bacheliers, parce que le baccalauréat est un titre universitaire ! C’est cet héritage du XIXe siècle dont nous n’avons pas su nous débarrasser à temps. Et, pour le coup, les responsables en sont bien les pouvoirs publics et pas les universitaires. (Je vous rappelle d’ailleurs qu’en vertu de règles dont je ne connais pas l’origine et dont je ne sais si elles sont bien légales, l’automaticité ne s’applique qu’aux bacheliers de l’année, les seuls à qui on garantisse une place à l’université.)
Cette configuration a d’ailleurs provoqué des retournements incongrus de situation, car, beaucoup des formations sélectives actuelles (des écoles de gestion, d’art, du secteur sanitaire et social, …), non-universitaires, n’exigeaient pas le baccalauréat ! Elles autorisaient l’entrée sur des critères propres pour des bacheliers et pour d’autres publics. Publiques comme privées, elles peuvent en conséquence aujourd’hui librement sélectionner … des bacheliers, puisqu’il n’y a plus guère d’autres publics sur le marché éducatif. En conséquence, d’ailleurs, s’est développé pour y accéder un secteur de « prépa » privées qui fait que l’on rentre dans ces formations qui n’exigent pas le baccalauréat au bout de plusieurs années d’études supérieures ! Cette configuration a largement contribué au développement de l’enseignement supérieur privé, comme elle avait conduit dans les années 1980 à l’engorgement des DEUGs par une population qui visait l’entrée dans ces écoles.
Je reviens maintenant sur la gouvernance. Vous voyez que je ne suis pas dans le discours des « tous pourris ». Je m’interroge sur nos institutions. Je ne suis pas rousseauiste et ne pense pas que les hommes seraient vertueux par nature. Je souhaite donc la mis en place d’institutions qui poussent à la vertu. Je ne pense pas que ce soit le cas des institutions universitaires actuelles.
Elles ont été constituées dans l’esprit de 1968 sur des bases politiques contre la tradition du mandarinat. J’entends politique en deux sens : les procédures, notamment la place laissée au principe électif; et l’esprit politique de ce temps qui permettait de constitue des majorités sur la base d’appartenance partisanes, via notamment les syndicats. Ce régime a été appliqué à tout ce qui est appelé la « communauté universitaire » : enseignants-chercheurs de tous grades, personnels non-enseignants, étudiants. Tout cela était difficilement contournable à l’époque. Pour de nombreuses raisons que je vais tenter de détailler, ces principes sont aujourd’hui totalement dysfonctionnels et les récentes réformes successives destinées à résoudre les problèmes les ont à mon sens aggravés.
La seule réforme un peu raisonnable en la matière fut celle qui avait été tentée en 1976 par la sinistre Saunié-Seité : contingenter la représentation des étudiants dans les conseils à leur taux de participation aux élections. La grève de 1976 a balayé cette proposition et personne n’est jamais revenu dessus. J’ai participé pendant 25 ans à des conseils d’UFR et des conseils centraux. Ce que j’ai pu voir de la contribution étudiante à ces conseils a rarement été convaincant. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas des étudiants qui pourraient avoir des interventions pertinentes. Je veux dire que les modalités de leur désignation ne le permettent pas. In fine, en général, ils ne viennent pas. Voulez-vous une illustration montrant à quelle aberration on peut arriver ? Une année, je ne sais pourquoi, les étudiants de nationalité africaine de mon UFR se sont pris à l’idée de monter une liste. Ils ont fait voter tous leurs copains. Du coup, vu la faible participation, les étudiants de cette liste que l’on ne disait pas encore « communautaire » ont été tous élus, alors que la dite communauté ne devait pas représenter plus de 1 ou 2 % du public ! Inutile de vous dire qu’on ne les a pas vu plus d’un conseil !
Si les étudiants ne participent donc pas à la vie universitaire pour intervenir de façon pertinente sur ce qui les concerne : se préoccuper, par exemple, des horaires d’ouverture des bibliothèques ou des incohérences d’emploi du temps, leurs représentants sont toujours actifs pour négocier les règlements d’examen, question sur laquelle ils ne devraient pas avoir « voix au chapitre » (référence monastique sur laquelle je reviendrai). On confond en effet le statut d’usager qui est le leur pour de nombreuses fonctions universitaires et le statut d’administré, qui s’applique notamment pour tout ce qui concerne la délivrance des diplômes. C’est un peu comme si on demandait aux assujettis aux tribunaux de négocier le droit pénal ! Et cette dérive va loin. J’ai pu voir comment, dans deux universités, des présidents avaient été élus à la suite de négociation avec les syndicats étudiants sur les règlements d’examen;
Cela nous amène à la question de la direction des universités. Les récentes réformes ont voulu renforcer le pouvoir de la direction pour augmenter son efficacité managériale sans mettre en cause la légitimité élective de ce pouvoir. Or, nous ne sommes plus dans le régime politique antérieur. Il n’y a plus de corps intermédiaires actifs qui soutiennent cette légitimité élective. La complexité électorale dans un système à multiples collèges associée à la passivité du corps électoral rend l’élection du président totalement arbitraire. Elu à quelques voix après quelques tractations confuses, le voilà « chef d’entreprise ». Mais il ne peut bien sûr exercer la réalité de ce pouvoir à la manière d’un « directeur de grande école », statut auquel on a voulu l’assimiler. Un exemple : la composition de ces « comités de recrutement », question sur laquelle a commencé notre échange. On aurait voulu que le chef d’établissement contrôle tous les recrutements. C’était ne pas connaître l’université. On a donc délégué à des comités ad-hoc, disciplinaires, cette charge. D’où les effets pervers que j’ai dénoncés : c’est dès la composition du comité que se décide l’élection.
Une autre question que je ne faisais qu’effleurer. Quand un collègue est élu président, il n’est plus le « primum inter pares » (toujours les couvents). Il entre dans une nouvelle caste qui a ses rituels, ceux de la CPU. Son regard est plus tourné de ce côté que de celui du quotidien de son établissement. Il veut aussi se faire bien voir des pouvoirs en place. Un objectif majeur: gérer sa sortie pour ne pas risquer de revenir un professeur ordinaire. L’importance accordée à cet objectif est fonction directe de la dégradation symbolique de la fonction professorale. Conséquence, que j’ai pu observer à de nombreuses reprises : le pouvoir réel dans l’établissement n’est pas tenu par le président, mais par un vice-président, véritable « maire du Palais ». Celui-ci exerce, au nom du président, un pouvoir discrétionnaire alors qu’il n’a même pas été élu !
J’en viens à la question de fond. Pourquoi cette dérive ? Parce que l’objectif principal en la matière depuis 50 ans, porté autant par l’opposition radicale que par les réformes gouvernementales, est la lutte contre le « mandarinat ». C’est là un total contresens. Qu’est-ce en effet que le mandarinat ? C’est l’expression du caractère de « métier » de la profession universitaire. Il y a des apprentis, des compagnons, des maîtres … Cette hiérarchie professionnelle est celle qui permet la transmission du savoir. Si on la casse, la transmission du savoir ne s’opère plus. Qu’est-ce en effet qu’un professeur ? C’est, comme un « maitre » des vieilles corporations, quelqu’un qui forme ses propres concurrents ! Cela demande de la générosité. Il faut en avoir envie et, pour cela, bénéficier d’un certain respect. L’organisation pseudo-démocratique et, en fait, bureaucratique, actuelle de l’université ne nous offre plus ce respect.
Car c’est là que je veux en venir. Contrairement à ce que l’on pense, l’université ne souffre pas aujourd’hui d’un excès, mais d’une insuffisance de « pouvoir mandarinal », ce pouvoir exercé par les anciens dont on respecte l’expérience, pouvoir plus « charismatique » que « procédural ». Or, comme la nature (politique) a horreur du vide, ce pouvoir qui ne peut plus s’exercer est remplacer par un pouvoir bureaucratique. C’est ici que le jeu entre les autorités centrales et l’autorité locale est de plus en plus pernicieux. Combien de fois, en effet, on m’a opposé des normes dont je ne peux savoir d’où elles viennent. Lors du dernier LMD récemment négocié, je n’ai pas pu sauver l’organisation en « Y » de mon master. Le vice-président chargé des études (qui pourrait être mon fils) ne voulait que des tubes; c’était parait-il ce que voulaient les autorités nationales. Rien de tel ne figure dans les textes. C’est de plus absurde, puisque, après avoir supprimé le niveau diplômant « spécialité », on transforme ainsi insidieusement les parcours en diplômes. Même avec le soutien ferme de la direction de l’UFR, je ne peux défendre ma formation (ainsi mise en péril pour des raisons hors de propos ici) contre ce diktat, imposé pour notre bien, bien sûr. Mais en quoi ce maître de conférences d’un autre champ disciplinaire serait mieux averti que moi pour savoir ce qui est bon pour la formation dont je m’occupe ? D’où tient-il ce pouvoir qui brise toute liberté académique au dessus du niveau strict de la classe. Comment est-il devenu ainsi mon proviseur ?
Dans ce contexte, les conseils deviennent des chambres d’enregistrement et sont désertés par les collègues. C’est qu’à la base de tout cela, il y a une confusion sur la notion de collégialité, qui suppose l’appartenance à un même collège, ce qui n’est pas le cas de nos conseils composites. J’en reviens à l’organisation monastique d’où notre université est issue qui est à l’origine de cette organisation collégiale. L’appartenance à un même corps n’interdisait pas la hiérarchie au sein de ce corps et l’existence d’un primum inter pares. Jusqu’en 1968, les facultés ont globalement fonctionné selon ce principe. La massification, le rajeunissement rapide de la profession, a rendu obsolète cette organisation. Mais on n’a pas su trouver un nouveau cadre. On a organisé un régime complexe, sans cesse recomposé, où la légitimité élective est devenue de plus en plus faible et le pouvoir bureaucratique de plus en plus pesant et arbitraire. Pour tout vous dire, au point où nous en sommes, je serais favorable à ce que l’on nomme à la tête des universités des hauts fonctionnaires. Ceux-ci, au moins, ne seraient pas juge et partie comme les présidents actuels, toujours issus d’un clan, d’une discipline. Même s’ils sont « honnêtes », leur regard est forcément orienté par leur expérience propre. Face à ce préfet, il pourrait y avoir des représentations distincte des différentes corporation qui composent l’université et, notamment, un sénat professoral (bien mandarinal !) puissant. Devant un tel préfet, je pourrais défendre un dossier comme celui que je vous ai cité tout-à-l’heure. Il aurait ses arguments de gestionnaire, pour moi tout-à-fait respectables, face auxquels je pourrais faire valoir ma conception de la formation. Aujourd’hui, il y a confusion des rôles.
Je parle de l’enseignement et pas de la recherche. Vous avez tout-à-fait raison. J’ai pourtant consacré l’essentiel de ma carrière à la recherche. Je ne suis pas de ceux qui aurait adopté la posture de « pédago » contre celle de chercheur; loin s’en faut. C’est que je considère que la fonction de chercheur ne peut être assumée que si elle n’est pas coupée de celle d’enseignant. Un de mes jeunes collègues m’a glacé un jour en me disant : « je fais mon métier », c’est à dire, je fais mes heures parce que je n’ai pas le choix, mais ma vraie vie est ailleurs. Je comprends cette attitude, mais elle signifie que l’université est morte. Je suis toujours resté un chercheur devant mes étudiants, à quelque niveau d’études que ce soit.
Mais il faut bien dire ici qu’il y a un hiatus importants entre nos disciplines. Au sein des sciences sociales, les laboratoires sont des institutions bien formelles (j’ai été par deux fois directeur de laboratoire dans deux établissements différents). Notre travail reste pour l’essentiel solitaire. Un directeur n’exerce en fait aucun pouvoir sur ses collègues et fort heureusement. Tout au plus peut-il, dans le meilleur des cas, être un gestionnaire honnête des moyens collectifs (bien restreints) et un animateur qui donne envie aux collègues d’échanger, de collaborer en créant des occasions favorables pour ce faire. Je ne sais donc pas ce qu’est un directeur de laboratoire « chefaillon ». Si un collègue tente de l’être, il va vite se retrouver tout seul avec une coquille vide entre les mains. Mais peut-être que chez vous la question ne se présente pas en ces termes, si votre « chef » n’est pas un bureaucrate, mais un mandarin au sens traditionnel, dont le pouvoir repose sur son autorité scientifique.
Désolé encore de la longueur de mon exposé. Vous pouvez si vous le voulez mettre bout à bout toutes mes interventions qui composeraient un petit traité de l’université par ceux qui la pratiquent. J’espère seulement ne pas avoir fait trop de fautes d’orthographe et vais peut-être maintenant utiliser mon confinement à d’autres tâches, celles du chercheur que je suis d’abord, pas spécialiste à priori de sociologie de l’université, ni même de l’éducation, mais qui a dû se pencher sur la question pour comprendre le naufrage de son institution vécu au quotidien.
17 mars 2020 à 19:20
Rachel
@François, quand j’ai présenté votre requête à mon comité de lecture, j’ai cru qu’il y allait avoir une émeute : « quoi ?! il nous faut tout relire ?! » (je vous passe les noms d’oiseaux). Je les comprends un peu. Ils étaient aussi un peu vexés d’avoir laissé passer des fautes, ce qui n’arrive JAMAIS sur ce blog. Je vais donc m’en occuper moi-même. Le mieux est de me dire où sont les fautes (date heure message et numéro paragraphe). Je corrige et j’enlève votre message juste après.
Je ne vais plus poser de questions pour vous laisser profiter de la douceur du confinement. Merci beaucoup pour vos commentaires très exhaustifs et passionnants. Je suis loin d’avoir tout compris et d’être d’accord sur tout, mais je crois qu’on partage tout de même un socle important.
18 mars 2020 à 12:26
jako
Malheureusement, les cheffaillons capables de pourrir la vie de leurs collègues, ça existe. Le cas de celui-ci avait à l’époque fait la une des journaux et s’était terminé par une mise en retraite d’office :
https://www.rtl.fr/actu/insolite/un-prof-qui-pete-et-qui-pete-les-plombs-3127669
Mais a) pour les collègues en question (et surtout pour les femmes), combien d’années de harcèlement avant que les instances de l’Université et du CNRS ne se réveillent et cessent de couvrir ce qui ne pouvait plus l’être ?; b) quid de tous les chefaillons qui ne vont pas aussi loin et qui – d’une manière plus perverse encore – parviennent à rester sur le fil du rasoir ? Un cas comme ça dans ma fac avait mis un peu les syndicats en ébullition : le directeur d’un labo de SHS (par ailleurs fort compétent dans son domaine), siégeant dans mille et un comités, notamment dans les hautes sphères du CNRS, ne trouvait plus le temps de faire avancer ses projets et voulait mettre à contribution ses collègues. Facile avec les ITA sous son « autorité » et moins avec les autres… Pas sûr que des cas comme celui-là soient rares… Et bien évidemment, la lutte pour les financements et le montage de projets, l’angoisse des évaluations de labo et de leur classement, la folie collective du « rayonnement » et de l’excellence ne font que favoriser ce genre de comportement.
15 avril 2020 à 19:40
AS
Je suis tout à fait d’accord avec vous. J’ajoute (sans avoir lu tous les commentaires) ce que j’ai dit à mes collègues en réunion d’unité de formation où le gel des postes d’EC de la fac était acté: en plus d’être chronophage, c’est tout simplement inutile. A quoi cela sert-il de monopoliser des EC pour évaluer une qualif MCF ou PR alors qu’il n’y a quasiment plus de postes?!! Le président de la CNU était présent et n’a pas répondu…
J’ajoute (bis) que c’est bizarre de voir des promotions ou primes allouées aux collègues des membres du CNU. Mais je n’ai pas fait d’études statistiques…
17 septembre 2020 à 14:19
MCA
En effet, l’activité de recherche du candidat est regardée de près, alors que sa compétence en pédagogie universitaire bien moins. Cette façon de faire est entretenue aussi par le recrutement dans une unité de recherche, pas dans une structure universitaire disciplinaire dans laquelle la valence enseignement a toute sa place. Certes, les unités de recherche ont un rôle dans la formation, mais cela est vrais à partir du M1. Le fait que les structures à fonction pédagogique ont pratiquement disparues fait que les enseignants du même CNU ne se connaissent pas, il n’y a pas de cohérence des enseignements, les enseignants commencent à enseigner en dehors de leur sphère de compétence par ce que tout peut être appris dans les livres, n’est-ce pas? D’autant plus qu’ils doivent justifier d’un certain nombre d’heures d’enseignement annuel…..
31 octobre 2020 à 17:05
Antonio Lai
Bonjour,
Merci infiniment pour cette contribution.
Je suis tout à fait favorable à la suppression de la qualification par le CNU et à la suppression du CNU.
Cordialement,
Antonio Lai
31 octobre 2020 à 17:58
Rachel
Merci mais le billet ne va pas jusqu’à la suppression du CNU. Le CNU pourrait jouer un rôle intéressant, s’il n’était pas complétement accaparé par l’évaluation, le classement et la notation des EC.
31 octobre 2020 à 22:02
François Vatin
On revient donc à ce débat. Ce qui m’étonne, ce sont toutes ces personnes qui sont favorables à la suppression du CNU parce qu’elles jugent, à tort ou à raison, avoir été maltraitées par cette instance. Mais les commissions locales ne sont pas plus vertueuses ! On sait depuis Montesquieu que c’est le partage et l’équilibre des pouvoirs qui, seul, peut réduire, mais non éradiquer l’arbitraire. Améliorons le fonctionnement des sections du CNU et des commissions locales au lieu de penser que la solution serait d’éliminer une instance. Ne voit-on pas que la suppression du CNU est la porte ouverte à une défonctionnarisation, déjà entamée, des universitaires ? Pourquoi pas, mais, alors, assumons cet objectif, qui va avec une hiérarchisation et une privatisation croissante des établissements d’enseignement supérieur français. Je veux bien que l’on ouvre le débat là-dessus. Mais je crains que bien des personnes favorables par ressentiment à la suppression du CNU n’aient pas pris la mesure de la nature véritable de l’enjeu.
1 novembre 2020 à 00:29
Rachel
@François, oui c’est drôle on y revient ! ça me fait penser à 2013 où les elfes verts avaient profité d’une pause pipi-clop en soirée pour faire passer le même genre d’amendement ! On avait bien rigolé à cette époque et mon blog avait atteint des sommets d’audience …
Je ne crois pas qu’il soit question de la suppression du CNU, ou alors j’ai loupé une étape. J’en suis resté à la question de la suppression de la qualification pour les PR et d’une expérimentation pour les MCF.
Je ne vois vraiment pas le rapport avec la question de la « défonctionnarisation » ou de la « privatisation ». Je lis comme tout le monde des tribunes exaltées qui disent que le CNU est un « rempart » à la « logique néolibérale » mais comme on reste sur des slogans et comme personne n’explique quoique ce soit, je ne parviens pas à comprendre.
Sur le sujet de la suppression ou non de la qualification : Je sais bien que la LPR est un objet un peu « bourre-tout » et sans grande logique, mais je voudrais d’abord préciser que je trouve un peu déplacé de soumettre un amendement sur la suppression de la qualification en soirée alors que personne n’en avait parlé jusqu’alors.
Pour le recrutement des EC, voici mon point de vue, en résumé :
Il y a actuellement 4 étapes (1) obtenir un doctorat (2) obtenir sa qualification (3) réussir le concours (4) réussir son année de stage. Je pense que ça fait beaucoup d’étapes et que la qualification est celle qu’il faut supprimer (je ne reviens pas sur notre discussion passée). Mais dans ce cas, bien entendu il faut améliorer les autres étapes : réformer les jurys de thèse, réformer les comités de sélection et enfin apporter un peu plus d’attention à la titularisation après le stage. Ces différents points sont expliqués dans des billets dédiés qui sont un peu vieux mais les grandes lignes restent inchangées :
Réformer les jurys de thèse
Réformer le recrutement des enseignants-chercheurs
1 novembre 2020 à 10:01
Gueux
@Rachel : Où avez vous lu que le CNU est un « rempart » à la « logique néolibérale » ?
J’ai l’impression que c’est plutôt le contraire. En effet, au moins en disciplines liées aux sciences de l’ingénieur, les évaluations (PEDR, promotions) se basent de façon écrasante sur les kilo-euros rapportés, même si cela n’est pas toujours explicitement formulé. Si ce n’est pas de la logique néolibérale, et du soutient à la gabegie du financement de la recherche par projets, c’est quoi ?
1 novembre 2020 à 13:39
François Vatin
@Rachel. Vous pourriez ajouter le certificat d’étude, le brevet des collèges, le baccalauréat, la licence, etc. Ce n’est pas ainsi que cela se joue. Si on veut que le doctorat ait une certaine reconnaissance professionnelle et trouve sa place dans la société française, on ne saurait pas le restreindre à un diplôme visant l’entrée dans l’enseignement supérieur. Car, in fine, peu importe le nombre d’obstacles, la question est celle du nombre de postes. Restreindre les conditions d’accès ne conduirait donc qu’à augmenter le nombre final de recalés. La question est donc ailleurs : ce dispositif à deux temps (puisque j’élimine le doctorat, sans parler du stage, totalement virtuel) est-il plus efficace en termes de qualité de recrutement qu’un dispositif à un seul temps. Je prétends le contraire. Il y a bien sûr des problèmes aux marges des disciplines, mais je rappelle, ce que l’on ne sait pas assez, que, si l’on est qualifié dans une section du CNU, on peut présenter sa candidature sur un poste publié avec une autre étiquette de section. Le système est donc bien plus libéral qu’on ne le prétend. J’ai connu des candidatures avec 200 candidats. Nous n’avons pas les moyens de les traiter sérieusement; ce serait déraisonnable de se le donner : nous y consacrerions tout notre temps. In fine, cela aboutit à ce que sortent, comme par magie, les candidats connus des membres influents du jury. Dans toutes les entreprises, les recrutements se font par filtres sélectifs successifs. Celui-là ne me paraît pas plus mauvais qu’un autre.
Quant à la défonctionnarisation, il faut être aveugle pour ne pas voir que les conditions en ont été créées lors du passage des universités aux « compétences élargies », puisque nous sommes maintenant payés par nos établissements. Vous savez que je ne suis pas un noniste, comme vous les appelez, mais il est évident aussi que le nouveau dispositif de recrutement de « professeurs juniors » va dans le même sens. Supprimer tout dispositif national dans les recrutements conduit à ce que la relation salariale soit désormais entièrement internalisée dans l’établissement. Ceci participe, je le répète, d’un mouvement très profond de différenciation entre établissements qui ne peut conduire – c’est d’ailleurs la finalité- qu’à leur hiérarchisation. Ce sont donc les diplômes aussi qui seront, comme c’est déjà largement le cas, hiérarchisés.
On peut défendre un tel modèle universitaire. Ce n’est pas mon cas. Ce que je demande simplement, c’est qu’on ne se voile pas la face. Je ne suis pas dans la logique des « slogans ». J’observe lucidement les transformations en cours. Je me suis fait assez agressé par ceux qui, au nom de la démocratie universitaire, récusent la sélection, pour que l’on m’accorde ce crédit. Ce que je n’ai cessé de leur dire, c’est que cet aveuglement sur la sélection conduisait au démantèlement de l’université publique, réduite à accueillir ceux qui ne trouvaient pas de place ailleurs. Si je milite pour le relèvement du niveau de l’université publique, et, donc, pour la sélection, c’est précisément pour conserver une université démocratique et républicaine. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis avec son régime de fondations. En France, l’Etat a toujours été le garant des libertés académiques, c’est à dire de l’indépendance intellectuelle des universitaires. C’est pour cela qu’il faut protéger notre statut de fonctionnaire, accepter l’existence de commissions nationales, la combinaison de leur jugement avec les commissions locales et tenter d’améliorer le fonctionnement des unes et des autres.
1 novembre 2020 à 15:48
Rachel
@Gueux, j’ai lu ça sur twitter (je conviens qu’on y lit n’importe quoi). Quelques autres « Préserver l’égalité des chances, lutter contre le clientélisme local, contrepouvoir aux présidents d’université, … »
Il semble que les travaux du CNU sont menés de façon très hétérogène selon les sections du CNU
1 novembre 2020 à 15:56
Rachel
@François, je suis d’accord avec vous sur le doctorat. Certains ont cherché à essayer de mettre une sorte de « label » afin de pouvoir profiler le nouveau docteur sur une voie académique ou sur la voie du secteur privé, mais il semble que c’est difficile et discutable. Il n’empêche que je reste plutôt favorable à une réforme de la définition du jury de thèse.
Je comprends votre principe de filtres sélectifs et les problèmes liés à un nombre important de candidats. Le recrutement c’est une affaire très sérieuse. Mais avouez que faire un filtre avant même la publication de l’ouverture d’un poste est un peu problématique. Pour les disciplines à forte pression, on pourrait imaginer une pré-commission qui fasse un premier filtre : elle examinerait deux critères : (1) l’adéquation au poste (2) un filtre passe haut par rapport à des exigences académiques (qui pourraient être définies conjointement par le CNU et l’université qui accueillera le poste en question). Ça peut être assez rapide et ça remplacerait avantageusement la qualification. Des membres du CNU pourraient participer à cette commission, ce qui permettrait au CNU de participer au concours en lui-même.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, je ne suis pas fondamentalement contre le CNU, disons plutôt que je pense que le CNU et son fonctionnement actuel n’est pas terrible et il ne sert pas à grand-chose. Dans ma proposition de réforme du recrutement des EC, je mets le CNU en avant en proposant que des représentants soient directement acteurs du recrutement, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Mes propositions (jurys de thèse ou recrutement des EC) vont donc vers un engagement plus fort du CNU dans les processus.
Un autre problème du CNU est sa segmentation disciplinaire à l’heure où la science est devenue largement pluridisciplinaire. Ces travaux d’interfaces concernent beaucoup de chercheurs. En ce qui me concerne, je suis à cheval sur trois sections CNU et je ne trouve pas ça très confortable car mes champs d’application sont hors section, donc mes publications sont hors section, ce qui peut poser potentiellement un problème lors de l’évaluation d’un dossier.
Sur le sujet de la défonctionnarisation, on peut quand même constater que les LRU-RCE n’ont pas conduit à cette défonctionnarisation. Nous sommes toujours fonctionnaires d’Etat. Dans la période qui précédait la LRU, on avait déjà un recrutement local, fait par des « commissions de spécialistes », et pour lequel le CNU n’était pas directement impliqué (mais d’un autre côté, on est tous membres d’une section, donc tous des représentants de notre disciplinaire du CNU, non ?). On voit bien qu’une gestion locale ne remet pas forcement en cause de statut national. En ce qui concerne le recrutement de « professeurs juniors » (LPR), j’ai déjà dit ici que ça ne me semblait pas opportun.
Avez-vous suivi les très récents débats sur les libertés académiques, à la suite d’amendements déposés au sénat ? moi je n’ai hélas pas trop suivi. Voici les deux amendements qui font débat : (1) « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » (2) « toute intrusion dans un établissement d’enseignement supérieur ayant pour but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans ses locaux constitue une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende ».
Les libertés académiques sont-elles en danger ?
1 novembre 2020 à 16:02
François Vatin
Désolé une nouvelle fois pour l’orthographe : « je me suis fait assez agresser » !
Ce qu’on lit sur Twitter et qui ne semble pas inventé (cf. document publié), c’est que M. Hingray, sénateur des Vosges, qui a déposé l’amendement controversé, avait été débouté de sa demande d’inscription en septième année de sciences de gestion. Comme quoi 1. l’absence de procédure de qualification ne lui aurait été d’aucune utilité; 2. il y a plus d’obstacles qu’on ne pourrait le penser : on peut aussi voir sa formation doctorale interrompue avant terme.
1 novembre 2020 à 16:30
François Vatin
Chère Rachel,
La qualification vise précisément à distinguer les thèses universitaires des autres. Après, c’est une question de fonctionnement interne. Concernant les interfaces entre disciplines (nul ne peut être plus que moi entre dix chaises), je rappelle qu’il suffit d’être qualifié dans une discipllne pour pouvoir candidater sur n’importe quel poste. Mais il n’est pas du tout garanti que les commissions locales se montrent plus ouvertes que les sections du CNU: il faudrait faire la statistique des personnes qualifiées dans une section et recrutées dans une autre.
Je ne suis pas du tout d’accord en revanche sur l’idée de plus impliquer le CNU dans les recrutements locaux. Ce qui me paraît sain c’est l’indépendance de ces deux registres d’évaluation : la compétence scientifique globale, d’une part, l’adéquation au poste, de l’autre.
Ce que vous dites sur la situation qui préfigurait à la loi LRU est erroné. Le CNU a une vieille histoire. Il s’est d’abord appelé le CCU en 1945, puis est devenu CSCU en 1979, pour devenir CSU en 1984 et enfin CNU en 1987. Il y a toujours eu, sauf pour les concours d’agrégation du supérieur centralisé, une forme de combinaison entre évaluation locale et nationale. Le pire a été à mon sens la période (1979-1984) où les choses ont été inversées : le local proposait et le national décidait, ce qui autorisait des manipulations perverses. Si la chose vous intéresse, je vous renvoie à mon article sur les statuts universitaires écrit en collaboration avec Olivier Beaud à paraître prochainement dans Commentaires.
Nous ne sommes à mon sens plus totalement fonctionnaires d’Etat. Notre statut tend à ressembler à celui de la fonction publique territoriale. Mais c’est là un point de droit complexe.
Concernant les libertés universitaires, oui, je les considère en danger avec de tels textes, car je ne sais pas ce que sont les « valeurs de la République », hors le respect de la loi. Si c’est ce qui est attendu, il n’y a nul besoin de légiférer. Si le texte a une portée, c’est qu’il y aurait des énoncés légaux, mais qui contrediraient les valeurs de la République. Qui va en juger ? Cf. ce professeur de droit mis en cause parce qu’il s’est prononcé contre le « mariage pour tous ». On peut étendre à l’infini ce que l’on entendra par « valeurs de la République ».
Bien à vous
François
1 novembre 2020 à 18:04
Rachel
@François, je ne vois pas bien en quoi ce que j’ai dit est erroné. J’ai bien précisé que je parlais de la « période qui précédait la LRU » et je discutais du recrutement. Je ne cherchais pas à faire une revue globale du rôle CNU depuis sa création.
En ce qui concerne le rôle du comité local, il ne se contente pas de vérifier l’adéquation au poste, laissant au CNU une appréciation de la compétence scientifique globale. Cette segmentation ne me semble pas souhaitable. Dans ma proposition de configuration, les extérieurs (qui pourraient être des représentants du CNU) surveillent qu’il n’y ait pas de dérive locale et les internes expliquent les spécificités d’une configuration locale. Les deux sont garants d’une compétence scientifique de la personne recrutée. Si le local et le national ne s’interpénètrent pas, on en restera à cette petite guéguerre du local et du national.
En ce qui concerne les amendements du Sénat, cette histoire récente du mariage pour tous (et avec les animaux) m’avait échappé. Je ne sais pas si cela a eu une influence ces amendements. J’avais plutôt en tête « l’affaire Agacinski » ou les livres brûlés de François Hollande dans un amphi universitaire, mais je peux me tromper. Je pense que c’est un peu hors sujet de la LPR (qui est certes un peu « fourre-tout »). Je ne peux imaginer que les libertés académiques placent les universitaires au-dessus des lois de la république, donc je ne vois pas très bien en quoi il est utile de légiférer de nouveau.
1 novembre 2020 à 18:47
François Vatin
C’est erroné parce que la qualification n’a pas été inventée par la LRU. Dans la période qui l’a précédé, les commissions de spécialistes ne pouvaient se prononcer que sur des candidats « qualifiés ». La procédure de qualification date de la loi Savary de 1984 et s’est substituée aux anciennes listes d’aptitudes.
Quant au nouveau texte sur les libertés académiques, il vise à n’en pas douter l’islamo-gauchisme qui, à en croire certains, règnerait en maître dans les universités (je ne l’ai jamais rencontré). J’ai donné un exemple dans un autre registre pour montrer précisément que la définition des « valeurs de la République » me semble sans limite. Je préfère considérer que seule la loi peut limiter la liberté académique, sachant que l’on a déjà légiféré de façon douteuse sur l’histoire (lois mémorielles). Mais cela reste circonscrit. S’il n’y a plus besoin d’une loi spécifique pour désigner l’interdit, c’est sans limite.
Quant au reste, sans doute, on peut imaginer d’autres dispositifs. Mais je continue à ne pas comprendre pourquoi celui en cours serait dans le principe à supprimer. C’est pourquoi je rappelle qu’il s’inscrit dans une histoire longue de combinaisons, dont les formes ont varié, entre échelon local et national.
Pour ce qui concerne les commissions locales, c’est, encore, affaire de fonctionnement. J’ai toujours, pour ce qui me concerne, quand je les présidais, insisté sur deux principes :
– toutes les personnes candidates sont légitimes, précisément parce qu’elles ont franchi la barre du CNU;
– notre mission n’est de choisir la « meilleure » dans je ne sais quel absolu, mais celle qui correspond le mieux à nos besoins spécifiques.
Mais une vieille tradition française tend à transformer tout concours en une cérémonie de distribution des prix. Je me souviens avoir tenté de dissuader un jeune collègue, excellent, de se présenter à l’oral, sachant qu’il avait été recruté au CNRS et qu’il choisirait le CNRS (ce qu’il a fait). Mais il voulait se présenter partout, pour être classé premier partout. Il ne voulait pas comprendre qu’une université n’avait pas forcément envie de classer premier quelqu’un qui ne viendrait pas et de risquer de devoir recruter le troisième ou le quatrième sur la liste.
Les institutions ne peuvent pas tout et il n’y en a pas de parfaites. Il y en a tellement d’intrinsèquement vicieuses dans l’université que je n’arrive pas à comprendre pourquoi celle-là, que je trouve globalement équilibrée, suscite une telle volonté de destruction. Je prends les paris que si cet amendement aboutit, le fonctionnement global sera bien pire.
Tout ce développement émane d’une personne 1. qui appartient à une section CNU dont le fonctionnement a défrayé la chronique (pour ne pas en dire plus); 2. qui n’a pas été particulièrement bien traitée par la dite section, où il n’est pas en odeur de sainteté du fait des positions qu’il a défendu sur l’université; 3. qui de toute façon n’a plus rien à attendre de cette instance ou de toute autre, étant arrivé au sommet absolu de la carrière et attendant impatiemment la retraite.
1 novembre 2020 à 22:16
Rachel
@François, je n’ai dit que la qualification avait été inventée par la LRU.
Je pense que les commissions locales font bien attention à ce facteur de potentiel d’insertion (sans vouloir dire ici qu’elles sont parfaites). En sciences dures, nous sommes attentifs à l’environnement. Par exemple, on ne recrutera pas un grand spécialiste de RMN, qui a de loin le meilleur dossier sur le papier, si localement on n’a pas d’instrumentation en RMN.
Je ne vois pas en quoi cela participera à une « destruction », c’est donner à la qualification beaucoup d’importance. Cette qualification est onéreuse, chronophage et ça fait des doublons d’évaluation (parfois plus que des doublons). Si la qualification était vraiment une étape indispensable, d’autres pays nous aurait imité. Je pense qu’on devrait plutôt se concentrer sur une amélioration du comité de recrutement (actuellement appelé comité de sélection – quel drôle de nom !). Mais on ne va pas refaire un débat qu’on a eu il y a quelques mois, on ne changera pas d’avis, même si j’espère qu’on a pu comprendre un peu mieux les points de vue respectifs. Je ne pense pas que la commission mixte paritaire Sénat/AN retienne cet amendement « surprise », mais la période actuelle est tellement chaotique …
1 novembre 2020 à 23:20
François Vatin
Je vous cite :
« Dans la période qui précédait la LRU, on avait déjà un recrutement local, fait par des « commissions de spécialistes », et pour lequel le CNU n’était pas directement impliqué ».
La LRU n’a strictement rien changé en la matière. Elle a modifié les commissions locales, qui, de commissions de spécialistes, sont devenus « comités de sélection », réforme négative qui à mon sens a produit l’inverse de ce qui était visé, mais c’est là une autre affaire.
L’argument sur les « autres pays » me parait, en toute généralité, sans objet. Il y a des choses que nous faisons mieux et d’autres plus mal que les autres et, surtout, les institutions organisent des cohérences. Cet argument conduit à modifier des éléments isolés au lieu de penser la cohérence.
Sur le caractère onéreux et chronophage, je vous ai déjà répondu. C’est l’inverse, puisque (excusez moi de parler en termes de gestion industrielle), on a éliminé le « déchet » en amont. Ce sera beaucoup plus chronophage si 20 commissions locales doivent de façon répétée faire ce premier tri.
Quant au fait que la suppression du CNU n’induit pas ipso facto la dé-fonctionarisation, vous avez parfaitement raison. Mais ce qui motive cette réforme est le désir d’une plus grande autonomie des établissements qui devraient être pleinement maîtres de leur recrutement. Une telle réforme, qui n’est pas décisive en soi sur ce point, nous en sommes d’accord, s’inscrit donc bien dans cette dynamique qui attache les universitaires à leur établissement et non à un corps national. Ce n’est pas là la dénoncer, c’est son objet même. In fine, ce sont aussi les diplômes qui deviennent locaux et, là aussi, pas uniquement via le corps enseignant.
Je suis en poste dans l’université française depuis 1982. J’ai pu observer cette évolution, encore inachevée. Qu’on la souhaite ou qu’on la redoute, elle me paraît indiscutable. (Et vous noterez que je n’ai pas besoin pour faire cette analyse de dénoncer le « néo-libéralisme », terme dont je n’ai jamais compris ce qu’il recouvrait; mais ceci est également une autre histoire).
2 novembre 2020 à 20:54
Rachel
@François, je ne vois toujours pas pourquoi mon propos était erroné mais je suis bien d’accord avec vous sur les comités de sélection qui ont empiré la situation. J’en parle dans le billet sur le recrutement des EC que j’ai cité un peu plus haut. C’est une autre question mais elle est à relier avec la qualification car les deux sont des étapes du recrutement.
Sur l’argument de l’onéreux et du chronophage, votre calcul marche peut-être pour votre section mais pas pour d’autres. Pour un grand nombre de sections de « sciences dures » le pourcentage de qualifiés est de l’ordre de 80 %, que ce soit MCF ou PR, c’est-à-dire qu’il y a une dominante de travail qui est fait deux fois, sans compter que souvent les candidats demandent plusieurs qualifications (donc triplons ou quadruplons) à cause de ces chevauchements disciplinaires que je mentionnais précédemment. Sans compter tous ceux qui demandent leur qualif et qui ne candidateront jamais, là encore c’est du travail pour rien.
Ceci dit, il est vrai que nombre d’universitaires sont attachés au CNU et à leur section, parfois beaucoup plus qu’à leur établissement. C’est toujours quelque chose qui m’a étonné. Si ce n’était pas le cas, je crois bien que le CNU aurait disparu depuis longtemps, du moins sous sa forme et fonctionnement actuels.
La question des statuts est certainement importante, mais elle oblitère un peu trop d’autres points tout aussi importants, comme par exemple le financement de la recherche, la double dualité de notre ESR (Univ-écoles/univ-organismes), la problématique du niveau des licences, l’agonie des licences de sciences dures, la hiérarchisation des établissements, la complexité bureaucratique, la qualité de vie au travail, et certainement beaucoup d’autres que j’oublie.
2 novembre 2020 à 22:17
François Vatin
@rachel
Vous dites qu’avant la loi LRU , le CNU n’était pas « directement impliqué dans les recrutements ». Il l’était comme après, ni plus, ni moins. Ou alors je ne vous ai vraiment pas compris.
Les universitaires sont attachés à leur discipline et le CNU l’incarne. C’est un point important de la sociologie universitaire. Je le dis d’autant plus volontiers que ce n’est pas mon cas et que j’ai été en poste dans deux disciplines différentes, ce qui est rare.
Oui, je veux bien admettre que, parfois, les doublons de qualification l’emportent sur les doublons de candidature locale, mais je suis convaincu que ce n’est pas le cas général et que, globalement, l’existence du CNU réduit le travail d’évaluation.
Non, je ne suis pas obsédé par la question des statuts. Notre article à paraître, rédigé dans le contexte du débat sur la LPPR (professeur junior), vient compléter mes nombreux articles qui portent essentiellement sur les flux étudiants, le dualisme de l’enseignement supérieur français qui induit une sélection négative dans l’entrée à l’université et la hiérarchisation croissante des établissements.
Comme j’y ai beaucoup insisté, la situation des licences de sciences n’a rien de particulier. L’agonie est celle de l’ensemble des formations fondamentales dans l’université. La « désaffection » spécifique des études scientifiques est un mythe. Les courbes des effectifs étudiants dans les sciences « dures » et dans les SHS sont parallèles.
Maintenant, il ne faut pas négliger la dégradation des statuts. Une profession ne peut durablement conserver son honorabilité sociale si son statut salarial se dégrade.
2 novembre 2020 à 23:12
Rachel
@François, oui il y a certainement eu un malentendu. Peut-être que quand j’ai écrit que CNU n’était pas « directement impliqué dans les recrutements », vous avez pensé que je sous-entendais qu’il l’était après ?
On a passé beaucoup de temps à discuter sur ce blog de la désaffection des sciences. Je sais bien que c’est un mythe si on regarde la globalité, mais ça dépend aussi un peu de l’angle de vue. Il y a quand même une autre réalité : les cursus de sciences licences-masters « classiques » à l’Université ont pour particularité d’avoir des formations concurrentes plus abondantes que les autres disciplines et dont les effectifs ont crû de façon importante. Il y a les CPGE, les écoles d’ingénieurs, de nombreux IUT et le secteur de la santé (les deux derniers étant à l’université, j’admets). L’évolution n’a pas été en faveur des licences-masters car on ne peut pas dire qu’ils accueillent les meilleurs étudiants. A vrai dire, ça fait un petit moment que je n’ai plus suivi ces évolutions, hélas.
Quand votre article sera publié, pourriez-vous m’envoyer un lien ou idéalement une copie PDF dans ma boite mail ?
2 novembre 2020 à 23:45
François Vatin
Chère Rachel
Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre. Qu’on avait pu se passer du CNU et que l’on pouvait donc s’en passer à nouveau …
Sur la concurrence des formations extra-licences et masters universitaires, lisez mes nombreux articles (Revue du Mauss, Commentaires, Le Débat …).
C’est en fait pire en sciences humaines, car les écoles d’ingénieur sont en quasi-totalité publiques et pour une large part inséres dans les universités. Les établissements concurrents dans les sciences humaines et sociales sont en très grande majorité privés (la quasi-totalité des écoles de gestion), pour ne pas parler du semi-privé comme Sciences-Po, voire même Dauphine ; il y a aussi de nombreuses prépa privées, aux métiers des carrières sociales, aux carrières artistiques, etc. et aussi des CPGE, des IUT tertiaires, etc.
Les seuls secteurs universitaires qui résistent sont la médecine-pharmacie et le droit jusqu’à un certain point. C’est à dire les disciplines bien inscrites dans un cadre professionnel qui les protège. Mais laissez les écoles privées préparer au concours du barreau et le droit universitaire s’écroule. Leur monopole a déjà été écorné par Sciences-Po. Et pour la médecine, regardez la grande inquiétude, liée à l’implantation en France d’université privées étrangères. La menace a été écartée pour le moment. Pour combien de temps ?
J’ai essayé de cartographier et de mesurer tout cela, mais j’ai l’impression que les universitaires ne veulent rien savoir de la situation réelle globale. Chacun ne voit le monde qu’à travers le prisme de sa situation singulière.
Si les universitaires scientifiques avaient bien voulu arrêter de raisonner en termes de désaffection des carrières scientifiques, un front commun aurait peut-être pu se constituer… C’est ce que j’ai tenté en 2009. Mais, vous voyez, le poids des disciplines est trop important …
Notre article va paraître en deux livraisons. La première est sous-presse.
3 novembre 2020 à 23:07
Rachel
@François, je ne sais pas trop comment vous envisagiez ce front commun. Je ne vous demande pas de m’expliquer, vous l’avez certainement écrit à l’époque et je ne l’ai pas lu ou bien j’ai oublié. A l’époque « LRU » (2007-2010), il me semblait qu’il y avait une réelle volonté politique de replacer l’université au cœur de l’ESR, au détriment des écoles et des organismes de recherche. A mon sens, il y avait une fenêtre intéressante. Pourtant, on a vu surtout les universitaires lutter contre cette réforme et elle a finalement été un peu décevante. Que l’Université ait loupé cette fenêtre est pour moi assez incompréhensible.
Mais il ne faut pas s’inquiéter, il y a plein de collectifs d’universitaires qui expliquent ce qu’il faudrait faire : mettre des postes pérennes et des crédits récurrents, et alors tout ira mieux.
4 novembre 2020 à 01:10
François Vatin
Vous avez bien suivi mon action à l’époque, celle des « refondateurs », qui associaient des pro et des anti-LRU et, aussi, des personnes de toutes disciplines. Il serait un peu long pour moi de vous analyser les raisons de notre échec. Mais je suis frappé de voir que ce rare moment de dialogue entre des universitaires de champs disciplinaires si divers n’a pu se prolonger.
4 novembre 2020 à 10:06
Rachel
@François, oui j’avais suivi à l’époque. Mais c’était il y a longtemps. Aujourd’hui l’espace est monopolisé quasi uniquement par des collectifs nonistes et souvent vindicatifs. C’est une période triste (et il n’est pas très facile de tenir un blog sur ESR en ce moment).
Merci pour ce nouveau moment d’échange. J’espère que nous aurons d’autres occasions à l’avenir.
4 novembre 2020 à 10:29
E. Picard
Bonjour Rachel, François et les autres,
un peu d’auto-promo dans ces commentaires pour mon mémoire d’HDR qui s’appelle « La profession introuvable ? » (les universitaires en l’occurence) et qui revient sur l’histoire des statuts, du CNU et de tout le reste. Il est en ligne si jamais cela vous intéresse: https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02498327
Le chapitre 6 porte sur les années 60-80 et le chapitre 7 sur la situation depuis 1990. Cela fera un complément/contrepoint à l’article de F. Vatin et O. Beaud
(NB: le CNU ou tout au moins la procédure de qualif existe depuis 1885 !)
Et en complément aussi, à paraître de façon imminente dans la Revue française de pédagogie, un article écrit avec Julien Barrier: « La profession universitaire: combien de divisions ? »
Bonnes lectures
EP
4 novembre 2020 à 11:22
Rachel
@Emmanuelle, merci pour cette précieuse référence que je vais lire avec grand intérêt. N’oubliez pas de nous avertir quand votre article dans la Revue Française de Pédagogie sera publié (idéalement si je peux avoir une version en PDF dans ma boite mail …).
4 novembre 2020 à 11:23
François Vatin
Chère Emmanuelle Picard,
Merci pour votre message et merci pour votre mémoire d’HDR que nous avons utilisé avec profit dans notre article avec Olivier Beaud. J’ai contribué également au numéro que vous évoquez de la Revue française de pédagogie par un article intitulé : « Enseignant-chercheur : un métier ou deux ». C’est la rédaction de ce bref article qui m’a conduit à entamer avec Olivier Beaud des recherches juridico-historiques plus approfondies qui vont paraître dans Commentaire. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de divergences entre nos analyses.
Bien à vous
François Vatin
4 novembre 2020 à 11:23
Emmanuelle
pour l’article, il suffira de demander: sinon, un bon accès biblio CNRS par Cairn, devrait marcher. Mais au cas où n’hésitez pas à demander si jamais je n’y pensais plus
4 novembre 2020 à 14:14
Emmanuelle
@François Vatin
je lirai avec beaucoup de plaisir ces deux articles
#Rachel, j’ai vu que vous n’aviez pas pu vous empêcher de relancer le débat avec un nouveau billet ;-)
4 novembre 2020 à 14:59
Rachel
@Emmanuelle, pardon ! mais c’est juste pour relancer mon audience. La qualification ça passionne tellement les gens : beaucoup de visites, deux abonnés supplémentaires …disons que c’est un billet « alimentaire » (rien de neuf).
18 novembre 2021 à 11:45
JK
A 200% d’accord avec votre analyse ! Merci à vous. En plus de cela, cette instance contribue à dévaloriser grandement le diplôme de doctorat en France.
L’évaluation des dossiers se fait sur des critères plus que subjectifs et la partialité est de mise. Et au bout du compte, les universités conservent le dernier mot en ce qui concerne le recrutement des maîtres de conférence. Et les candidats « locaux » sont évidemment les mieux placés pour occuper un poste.
Dans un premier temps, il aurait par exemple fallu imposer l’anonymat des dossiers de candidature.
J’évalue des articles scientifiques pour une revue américaine et les évaluateurs n’ont aucun moyen de connaître l’identité de l’auteur qui propose l’article. On garantit ainsi une véritable impartialité. Les chances sont les mêmes pour tout le monde.
La France, dans ce domaine (et dans d’autres aussi), a des décennies de retard. Très difficile de faire bouger les lignes tant les chose sont figées dans le temps…