Le site d’information Le Monde a publié récemment deux tribunes d’universitaires qui critiquent sévèrement la gestion de la crise sanitaire par le Ministère et les Universités (lire ici et ici) – extraits de la seconde tribune: « Le pouvoir centralisé de celles-ci (Universités) n’a d’égal que leur incapacité à gérer même les choses les plus simples comme l’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en lingettes. Le succès instantané du concept de “démerdentiel” est un désaveu cinglant pour ces managers qui ne savent que produire des communiqués erratiques jonglant entre rentrée en “présentiel” et en “distanciel”. ». Cette tribune laisse entendre que « rien n’a été fait », ce que je trouve particulièrement maladroit et limite insultant pour toutes les personnes qui ont œuvré pendant des mois pour rendre possible l’accueil des étudiants. Je pense plus particulièrement aux nombreux BIATSS qui sont impliqués dans la mise en place des diverses procédures sanitaires ou aux responsables de formation qui ont eu un travail de dingue pour organiser cette rentrée.
Bien entendu tout n’est pas parfait et bien entendu il y a des fausses notes, mais comment faire autrement en cette période si inédite pour laquelle il n’y a pas d’expérience ? On peut également regretter un manque de moyens important, on l’a déjà signalé plusieurs fois sur ce blog. Les universitaires se sentent clairement oubliés au milieu des plans d’aide et des milliards qui pleuvent de partout mais pas trop sur l’enseignement supérieur. Mais est-ce une raison pour entretenir la confusion ?
Je travaille dans une grosse université et je n’ai certainement pas une bonne vision d’ensemble. Ce que j’observe dans mon proche environnement, c’est que le gel hydroalcoolique ne manque pas, pas plus que l’essuie main papier. Les plans de circulation (quand ils sont nécessaires) sont respectés, il n’y a pas de regroupements inconsidérés et tout le monde porte le masque. Peut-être que je vis dans un environnement idyllique très particulier ?
En France, le pari a été de faire la rentrée universitaire autant que possible en présentiel. C’est un autre choix qui a été fait dans d’autres pays et c’est ce que critique la première tribune «Penser accueillir l’ensemble des étudiants sans drame sanitaire relève de l’irresponsabilité ». Dans un entretien récent sur la chaine Public Sénat, la ministre nous a affirmé qu’il n’y avait pas de raison d’avoir peur car la situation était bien gérée dans les universités. « Ce que l’on observe en réalité dans un certain nombre d’établissements, c’est que les clusters ne sont pas des clusters par promotion, ce sont des clusters par groupes d’amis. Et donc, en réalité, il y a détection de clusters au sein des établissements supérieurs : rien ne dit que les contaminations se fassent au sein des établissements ». Je trouve que les propos de la ministre sont assez risqués, en particulier si la crise sanitaire s’aggrave encore dans la population étudiante. Mais comment savoir à ce jour ? Est-on vraiment dans le registre de l’irresponsabilité ? J’imagine que ces décisions politiques sont prises après consultation auprès du Haut Conseil de la santé publique mais il est vrai qu’on entend chaque jour des discours contradictoires, entre ceux qui réclament un confinement de l’ensemble de la population dès maintenant, ceux qui veulent le retarder un peu afin de passer noël en famille, ou ceux qui ne veulent pas en entendre parler du tout. Car à ce stade, la seule certitude que nous avons, c’est que nous sommes tous devenus des épidémiologistes confirmés !
13 commentaires
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30 septembre 2020 à 18:33
Dan- visseur épidémiologiste de comptoir
De nombreux Français appliquent l’adage bien connu : la guerre est quelque chose de trop sérieux pour être laissée aux militaires. La médecine est quelque chose de trop sérieux pour être laissée aux médecins. Le fait que le ministre de la santé soit un médecin est absolument inacceptable. Il y avait pourtant des centaines de gilets jaunes, champions des ronds-points et de la casse de vitrines, qui auraient fait d’excellents ministres. Encore un coup des élites.
Il y a des moments où je désespère de mes compatriotes, malgré leurs compétences inégalées d’épidémiologistes tout-terrains.
À lire les tribunes des universitaires critiquant leur management, je m’interroge : le management des universités a-t-il été confié à des non-universitaires ? Ou le fait d’un universitaire d’accepter des responsabilités, donc d’accepter de prendre des décisions le rend-il insupportable aux yeux des autres universitaires ?
Question subsidiaire : si l’on ferme les universités, les étudiants ne feront plus de fêtes, de réunion chez l’un ou chez l’autre, barbecue ou crèpes ?
30 septembre 2020 à 22:06
Spirit of Bouasse
La défiance des universitaires envers le ministère, le management de leurs universités, la direction de leurs labos, etc.. est générale. C’est l’effet de l’accumulation (bien avant Vidal) de toutes sortes de promesses non-tenues et d’une longue et lente érosion des conditions de travail.
Le choix qui se pose à chacun est :
i) de faire quand même « marcher » le système. Mais même avec de la bonne volonté, ça ne marche pas bien, donc ça génère des critiques qui sont mal reçues par ceux qui les subissent. Par exemple : j’ai vu un membre d’un comité ANR se plaindre des critiques sur les comités ANR : « j’en ai marre de faire ce comité et de passer mon temps à me faire engueuler ». Certes, mais le jeu est biaisé d’emblée. Comment un comité ANR soumis à des pressions financières, du conflit d’intérêt, du copinage, de l’arbitrage obscur, peut-il faire du bon boulot ? En plus, accepter de collaborer avec l’ANR, c’est s’attirer les soupçons de le faire pour son propre intérêt.
ii) de refuser de faire marcher ce bousin.
Faites vos choix. Mais arrêtez de vous plaindre si vous choisissez i).
1 octobre 2020 à 22:08
Rachel
@Dan, à vrai dire il semble que l’université est gouvernée par les universitaires. Peut-être que c’est ça notre problème ?
@Spirit, bien d’accord avec vous sur les conditions de travail, nul doute que ça va coincer un jour. Je suis bien d’accord aussi pour choisir le 2, non pas pour le mettre à mort le système (après tout, on aime bien notre métier, non ?) mais plutôt pour le transformer. On commence par quoi ?
2 octobre 2020 à 20:26
HenryIV
On commence par ra-tio-na-li-ser les maquettes des formations. J’ai repris la direction d’un master depuis un mois et je n’en reviens pas du saucissonnage invraisemblable des matières. Il y a parfois 4 ou 5 intervenants, y compris extérieurs dit « professionnels » qui se partagent parfois 12 malheureuses h de cours ou de TD. Ceci multiplié par x matières dans 4 UE par semestre. Un véritable foutoir. En L, on revient à une année « propédeutique », appelez là du nom de votre choix, de remise à niveau, par domaine, en L1. Puis on spécialise un peu en L2, et davantage en L3. On va en faire en plus des économies comme cela !!
3 octobre 2020 à 17:05
Rachel
@HenryIV … hum hum, ça veut dire faire une licence en 2 ans ? une année de consolidation des bases du lycée et deux années de licence ?
J’ai une autre piste, plus simple : ne prendre en licence que ceux qui ont le socle acquis dans la licence concernée. Ça veut dire moins d’échecs, des promos plus homogènes = plus facile d’enseigner = une bonne configuration pour faire progresser l’ensemble et retrouver le plaisir d’enseigner.
Une autre piste pour simplifier le « bousin » : supprimer la seconde session d’examen.
3 octobre 2020 à 22:53
HenryIV
Supprimer la session 2, tout à fait. Je maintiens depuis des années qu’il suffit de ne pas l’organiser, tout simplement. La plupart des étudiants s’intéressent tellement à leurs études qu’ils ignorent son existence (vécu !!) et ceci explique des taux d’absence de 80 à 100 %. Mon université expérimente une licence en 4 ans pour les plus faibles, et en 2 ans (parcours excellence) pour les meilleurs (pas bcp apparemment). Je n’ai pas d’échos précis car nous en SHS la majorité en conseil d’UFR a refusé les crédits alloués à cette expérimentation, trop capitaliste à ses yeux. Sais pas pourquoi. Pour ne prendre en licence que ceux qui ont les pré requis, il y avait le bac, c’est fini depuis longtemps. Il y a parcours sup (qui a remplacé le bac en fait) mais ça marche pas. faut faire un examen d’entrée à la fac. Le bac quoi, un vrai, pas distribué à l’entrée. C’est pas compliqué en fait.
3 octobre 2020 à 23:32
Spirit of Bouasse
@HenryIV « faut faire un examen d’entrée à la fac. Le bac quoi, un vrai, pas distribué à l’entrée. C’est pas compliqué en fait. »
Mais c’est au contraire très compliqué : vous voulez agiter un chiffon rouge devant l’UNEF et mettre les lycéens dans la rue ?! Faire en plus exploser le chômage ? Je ne suis pas sûr que beaucoup de nos politiciens soient pour.
Ce serait pourtant évidemment ce qu’il faudrait faire
4 octobre 2020 à 11:16
Rachel
Si les étudiants ne savent pas qu’il y a une deuxième session, ça sera facile à supprimer (hop ni vu ni connu !). En ce qui concerne le droit d’accès à l’Université, c’est vrai que ça pose un problème. Si on impose une forme de sélection, alors le gouvernement devra trouver d’autres solutions pour ces jeunes qui seront sur le carreau. Je n’imagine pas que les politiques (quel que soit leur bord) soient en faveur d’un resserrement de l’accès. Les conséquences sont toutefois assez dramatiques pour les Universités (et pour la qualité de travail des EC) et pour les étudiants qu’on va retrouver en échec, c’est un peu repousser le problème.
7 octobre 2020 à 19:53
Dan -visseur sélectif
Rachel écrit « J’ai une autre piste, plus simple : ne prendre en licence que ceux qui ont le socle acquis dans la licence concernée. Ça veut dire moins d’échecs, des promos plus homogènes = plus facile d’enseigner = une bonne configuration pour faire progresser l’ensemble et retrouver le plaisir d’enseigner. »
Supposons un référendum confidentiel, qui ne serait pas publié, qui préserverait l’anonymat de tous les enseignants, avec une question : « faut-il sélectionner à l’entrée de l’université » ? 80% ? 90% de oui ? (y compris parmi les militants du SNES ou de Sud, du moins ceux qui enseignent)
Mais la posture est plus forte que le réel. Et, au lieu d’inventer des formations adaptées aux talents des personnes, on entasse des gamins dans des amphis où ils grappillent quelques miettes.
Le fils du peintre qui est venu chez moi était apprenti compagnon du devoir. heureux. bosseur. Pas de mobile pendant le travail.Souci du travail bien fait. Et pas humilié de ne pas être sociologue ou bureaucrate.
8 octobre 2020 à 22:30
Dragan
@Tous et notamment HenryIV & Rachel
Supprimer la seconde session Ok ! mais à condition de mettre les étudiants dans des conditions de réussite optimales. Perso, lors de mon très injuste troisième M1, on m’avait fait attaqué mon mémoire de recherche début Avril… Dans ce cadre, il m’était difficile de rendre le « pavé » pour la première session en Juin. Du coup, j’avais dû soutenir en Septembre, pourrissant ainsi mes vacances d’été au passage. Et je ne vous parle même pas de l’effet sur mon dossier pour un potentiel M2, d’autan que j’avais récolté un vieux 11/20.
Un grand merci à mon directeur de master…
11 octobre 2020 à 11:06
Rachel
@Dan, je trouve qu’on ne fait pas assez de référendum ou autre consultation, c’est bien dommage. Pour la question, je pense qu’il faudrait la formuler autrement, par exemple « considérez-vous que le bac doive encore être considéré comme un droit d’entrée à l’Université ? ».
@Dragan, ces derniers temps, des formations ont intégré une partie de contrôle continu, ce qui permet de ne pas se baser uniquement sur la note de l’examen final. On peut aussi réfléchir à un système de compensation, par exemple en rassemblant plusieurs modules dans une même unité d’enseignement.
11 octobre 2020 à 19:59
Dan- visseur munafiqin
@ Rachel …c’est-un peu faux-d…comme question, mais pourquoi pas? cela revient au même, non ?
11 octobre 2020 à 23:16
Dan- visseur à l'envers
Des gens du collège et du lycée se remuent
https://inversonslaclasse.fr/