On entend souvent les associations de doctorants (ou autres organisations chargées de promouvoir le doctorat) protester au sujet de la non-reconnaissance du titre et du diplôme de docteur dans les conventions collectives. D’après eux, cette reconnaissance permettrait une meilleure valorisation du titre de docteur et faciliterait donc l’embauche du fait d’une différenciation claire, une meilleure rémunération qui ne serait que justice étant donné le niveau d’étude supérieur (bac + 8 versus bac +5 pour les masters ou ingénieurs) et enfin une meilleur valorisation des métiers de la recherche au sein de l’entreprise.
D’après le MEDEF, dans une contribution qui date de mai 2012 (lire ici), ce problème de la reconnaissance des compétences des docteurs par le monde l’entreprise est un problème mal posé. « Il est surprenant de noter que cette revendication récurrente ne repose sur aucune démarche argumentée permettant d’en dégager les attendus, les caractéristiques de mise en oeuvre et les résultats tangibles escomptés. Dans la très riche documentation liée aux docteurs en entreprise, n’apparaît aucune source permettant d’en cerner la problématique et d’objectiver la justesse de la proposition ».
Le MEDEF donne sa définition des compétences attendues par ses collaborateurs. « Située par définition dans un environnement concurrentiel, l’entreprise a besoin pour assurer sa pérennité et son développement, de disposer des meilleures compétences à chaque instant et d’adapter son propre patrimoine collectif de compétences. La destruction créative mise en évidence par l’économiste Joseph Schumpeter, l’entrée irréversible et rapide dans l’économie de la connaissance, la nécessité impérative de générer de manière récurrente de nouveaux avantages compétitifs par l’innovation imposent une adaptation en permanence des ressources humaines au sein de l’entreprise ». « Plus qu’hier et moins encore que demain, la gestion des ressources humaines et des compétences ne peut s’inspirer des principes actuels de la fonction publique qui répondent à d’autres finalités qu’économiques. La vie de l’entreprise nécessite une plus large mobilité, une très grande adaptabilité et réactivité aux transformations parfois brutales de son environnement et enfin, un très fort engagement de toutes ses forces vives par une reconnaissance des talents, des compétences et de l’engagement individuel ».
Malheureusement le MEDEF n’explique pas pourquoi les docteurs seraient moins adaptables, moins mobiles ou réactifs que les autres (que les ingénieurs, par exemple). Peut-être à cause des trois années de différence ? Il semble regretter que les docteurs soient formés par la fonction publique, mais beaucoup d’ingénieur le sont aussi. Peut-être que les trois années de thèse en interaction avec des fonctionnaires auront certainement causé des dégâts irrémédiables, suffisants pour remettre en cause leur employabilité ? Ou peut-être tout simplement on n’a pas encore bien compris que la thèse était un « vrai travail » et que son exercice permet de développer des compétences que l’entreprise pourra trouver utile. Si les entreprises n’arrivent pas à comprendre ce que peut apporter l’embauche d’un docteur, comparée aux ingénieurs, alors il faudrait diminuer le nombre de docteurs afin d’ajuster leur nombre au remplacement des départs de chercheurs de la fonction publique.
Ceci dit, et au risque de me trouver en porte-à-faux avec beaucoup de mes collègues, je reste moi aussi perplexe quant à la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives. La thèse devrait être avant tout considérée comme un vrai travail, et non pas comme une poursuite d’études. D’ailleurs depuis quelques années, le doctorant a un vrai contrat de travail, de type CDD. Le docteur pourrait être alors tout simplement considéré comme un bac+5 qui a ajouté à sa formation initiale une coloration « recherche » au démarrage sa carrière, expérience (et compétences acquises) validée par un diplôme. Sur le même sujet, on pourra lire nos billets « la thèse est-elle un vrai travail ? », volet 1 et volet 2. Bien entendu tout le monde n’est pas d’accord (lire ici, par exemple).
27 commentaires
Comments feed for this article
23 avril 2014 à 11:40
mixlamalice
On pourrait comprendre (et même être d’accord) une partie de l’argumentaire du MEDEF (c’est la compétence qui fixe le salaire, pas le diplôme) s’il n’y avait pas dans la majeure partie des entreprises des grilles différentes selon les écoles, même à embauche équivalente, par exemple un poste en R&D dans le même centre (eg un jeune diplômé X ne sera pas payé pareil qu’un jeune diplômé « autre école du groupe A » qui ne sera lui-même pas payé pareil qu’un jeune diplômé « école d’ingénieur lambda » – d’ailleurs, un docteur « universitaire » ne sera pas non plus payé pareil qu’un X-docteur ou qu’un ingénieur-docteur, etc)
23 avril 2014 à 11:41
mixlamalice
(quant à notre « désaccord », je pense qu’il est en grande partie surtout « sémantique »… ;))
23 avril 2014 à 12:07
françois garçon
Rien à ajouter à la très intelligente réflexion de Rachel (?) qui suit le relativement imbécile commentaire du Medef.
23 avril 2014 à 12:53
spirit of Bouasse
Il y a un point, absent dans la pseudo-argumentation du MEDEF, qui est le « label » accompagnant le doctorat.
Quand un employeur embauche un étudiant de la grande école X ou Y, il y a eu concours, puis distribution d’un titre d’ingénieur pas trop bidon pour certaines écoles, bien connues des employeurs.
Quand un employeur embauche un docteur, c’est pour le meilleur et parfois le pire. J’ai vu dans mon établissement et ma discipline des docteurs totalement analphabètes scientifiquement. Mais bon, vous comprenez c’est délicat de ne pas donner la thèse, ça fait tache sur le CV de l’encadrant, et de toutes façons les collègues liront le rapport de soutenance entre les lignes. Les collègues oui, mais l’employeur industriel ? Et dans un pays où débaucher est compliqué, l’employeur se tourne fort logiquement vers le service (le diplôme) qui minimise les risques.
Personnellement je pense que la formation de docteurs produit en moyenne des personnes nettement plus imaginatives et adaptables que nombre d’étudiants d’écoles d’ingénieurs. Mais que l’Université arrête de brader ses diplômes.
23 avril 2014 à 12:58
Evelyne
A reblogué ceci sur Doctrix2012.
23 avril 2014 à 13:08
François
Ce qui est fascinant est de voir que tous ceux qui revendiquent la « reconnaissance du doctorat par les entreprises » n’ont jamais lu une convention collective.
Sinon ils auraient vu par exemple que la convention collective de la métallurgie (la plus utilisée dans l’industrie) indique simplement qu’un débutant est recruté comme cadre à partir du moment où il a au moins une licence. C’est tout. Aucune différence dans la convention entre une licence, une maîtrise, un diplôme d’école bac+5, un doctorat. Ce sont ensuite les entreprises qui fixent les salaires d’embauche (la convention définit simplement des salaires minima par « position », qui sont donc les mêmes de la licence au doctorat en passant par les diplômes d’écoles, tous embauchés en « position I » s’ils sont débutants).
Voir la suite (désolé pour la longueur) :
» Le personnel visé par la présente convention (NB les cadres de la métallurgie) est ainsi défini :
a) Années de début (position I). – Les dispositions relatives aux années de début s’appliquent au personnel de l’un ou l’autre sexe suivant :
– ingénieurs diplômés selon les termes de la loi et engagés pour remplir immédiatement ou au bout d’un certain temps une fonction d’ingénieur ;
– autres diplômés engagés pour remplir immédiatement ou au bout d’un certain temps des fonctions de cadres techniques, administratifs ou commerciaux et titulaires de l’un des diplômes nationaux suivants :
– institut supérieur des affaires ;
– école des hautes études commerciales ;
– écoles supérieures de commerce et d’administration des entreprises ;
– école supérieure des sciences économiques et commerciales ;
– institut commercial relevant d’une université ;
– institut supérieur d’études politiques de Paris, Aix-en-Provence, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Strasbourg et Toulouse ;
– centre d’études littéraires supérieures appliquées ;
– agrégations, doctorats (docteur d’Etat, docteur ingénieur, docteur 3e cycle), diplômes d’études approfondies, diplômes d’études supérieures spécialisées, maîtrise et licences, délivrés par les universités des lettres, de droit, des sciences économiques, des sciences humaines et de sciences ;
– médecine du travail (s’agissant de médecins de services médicaux du travail d’entreprise ou d’établissement) ;
– titulaires d’un certificat de qualification de la catégorie D obtenu dans le cadre des dispositions des alinéas 12 à 15 de l’article 1er de l’accord national du 12 juin 1987 relatif aux problèmes généraux de l’emploi dans la métallurgie, ainsi que des dispositions de l’annexe I de celui-ci relative à cette catégorie D. »
23 avril 2014 à 13:46
Guiba
Le commentaires du MEDEF démontre tellement de mépris et de méconnaissance de ce qu’est la recherche que s’en est à pleurer. Incroyable que face à la crise et les problèmes latents d’innovation de nos entreprises, il n’y ait aucune remise en cause des modèles de recrutement, et qu’on en reste au contraire à de telles caricatures.
Par ailleurs, je trouve cette manière de rejeter en grande partie les problèmes d’adaptabilité et de compétences sur le recruté, assez symptomatique des problèmes des entreprises françaises: pas de systèmes efficaces de formation professionnelle, donc impossible de prendre le « risque » de recruter quelqu’un qui aura besoin d’un temps d’adaptation, donc on recrute toujours les mêmes profils (qui se recrutent entre eux ensuite). Et pendant ce temps notre capacité d’innovation meurt à petit feu…
23 avril 2014 à 14:04
mixlamalice
En tout cas, les arguments n’évoluent pas vraiment avec le temps, ce qui montre bien qu’il reste beaucoup de pédagogie à faire, puisqu’en 2008 à l’université d’été du MEDEF, on y disait « un polytechnicien on sait ce que c’est, un centralien on sait ce que c’est, un docteur on ne sait pas ce que c’est » (et aussi « le but d’une GE est de formater un produit aisément identifiable par l’industrie »). http://www.math.jussieu.fr/~colmez/lettre.pdf
23 avril 2014 à 14:13
Rachel
@Mixlamalice, oui je crois que notre perception du sujet n’est pas si éloignée que ça. Toutefois, comme on l’avait discuté déjà (je crois), je pense que la reconnaissance du doctorat commence dans nos labos, dans lesquels les doctorants ne sont pas forcément toujours bien considérés. La première chose à faire serait de faire changer les mentalités en interne et que les doctorants deviennent des collaborateurs, bref des « jeunes chercheurs » (même si je sais que la terminologie de « jeunes chercheurs » ne vous plait pas plus que ça …).
@Spirit of Bouasse, à mon sens le « label » devrait être donné par le diplôme ou le titre. Si le doctorat n’est pas mieux considéré, c’est peut-être aussi que certains docteurs ont ce titre alors qu’ils ne le méritaient pas (et viennent alors discréditer tous les autres ?). Dans la fonction publique, on a mis un filtre passe bas pour les recrutements de docteurs : ça s’appelle la qualification. Une autre solution serait de réformer les jurys de thèse. J’ai bien envie de faire un billet dédié à cela … que les lecteurs n’hésitent pas à commenter sur le sujet, cela pourrait m’inspirer !
@François, c’est curieux, j’avais en tête qu’il y avait une différence de convention entre le bac+2 (technicien) et le bac+5 (cadre). Mais il est vrai que je n’ai jamais lu de convention collective.
A la lecture de l’extrait que vous donnez, je pense quand même qu’il faudrait réformer le texte. On y voit deux paquets : les ingénieurs et les autres. Je propose l’amendement suivant pour la première catégorie « ingénieurs diplômés selon les termes de la loi et engagés pour remplir immédiatement ou au bout d’un certain temps une fonction d’ingénieur » => « ingénieurs diplômés ou autre diplômés scientifiques selon les termes de la loi et engagés pour remplir immédiatement ou au bout d’un certain temps une fonction d’ingénieur ».
@Guiba, je pense que les entreprises gagneraient à diversifier leur recrutement. Je trouve également que le propos du MEDEF est à la limite du méprisant.
23 avril 2014 à 14:30
mixlamalice
@Rachel: oui, nous avions déjà eu je crois cette discussion. Je suis d’accord avec votre analyse qui consisterait à changer les mentalités dans les labos, mais peut-être pas tout à fait vis-à-vis des mêmes comportements.
Par exemple, ce qui me choque un peu, ce sont les collègues qui disent « oh mais moi si j’arrive pas à recruter quelqu’un de très fort, je préfère laisser tomber le financement que de me taper un naze ». Ca revient à dire qu’un encadrant n’a rien d’un formateur, qu’il est là pour recruter un collaborateur qui sera immédiatement quasi-opérationnel, indépendant, et doué. Or, je continue à voir un aspect formateur au doctorat, et donc un rôle de l’encadrant à apprendre des choses au doctorant… ça ne devrait pas être que du selfmade(wo)manisme…
Sinon, je vous approuve quant à la « réforme » des jurys de thèse, même si je crois que la mise en place des jurys « indépendants » de suivi de thèse dans beaucoup d’écoles doctorales sont déjà un pas dans la bonne direction (si on leur donne un minimum de pouvoir d’action).
23 avril 2014 à 17:53
Pistes pro | Pearltrees
[…] A propos de la reconnaissance du doctorat par les entreprises […]
23 avril 2014 à 22:20
François
@Rachel » j’avais en tête qu’il y avait une différence de convention entre le bac+2 (technicien) et le bac+5 (cadre) »
Effectivement, la « convention des ingénieurs et cadres de la métallurgie » ne concerne généralement pas les débutants bac+2 auxquels s’applique une des « conventions de la métallurgie ».
Plus généralement ce billet et les réactions des intervenants montrent l’ignorance (et un certain mépris) RÉCIPROQUES abyssaux entre entreprises et universitaires.
24 avril 2014 à 14:17
Astronaute en transit
D’accord avec François que cette question montre une méconnaissance et une incompréhension particulières de la part de ces deux univers… à se demander aussi, d’ailleurs, si celles-ci ne sont pas accentuées en raison des a priori idéologiques français contre l’économie marchande et la virulence particulière de l’anticapitalisme dans les professions intellectuelles et publiques.
Il y a tout de même aussi une ambiguité générale qui fait surface lorsque l’on rappelle que « la thèse est un véritable travail, qui fait l’objet d’un contrat ». Cela sonne très bien sur papier et aussi cela laisse entendre que le doctorant a donc droit à un statut sécurisant, le statut, on s’en souvient, étant une obsession particulière des universitaires français. Quand à transposer cette considération issue des préoccupations en milieu universitaire à celui de l’entreprise, c’est pourtant bien plus complexe qu’au premier abord. Tout simplement parce que le travail doctoral consiste en une multiplicité de tâches, accomplies dans des milieux aussi divers que les matériels et méthodes employées, variant forcément selon les disciplines. Il me semble que cette vision présentée de façon aussi simple reflète d’abord le travail que ferait un doctorant scientifique ou ingénieur dans un laboratoire. Il est vrai que dans ces milieux, le doctorant fait partie d’une équipe et participe d’un travail collectif facile à rapprocher de l’expérience d’une entreprise industrielle, grande ou petite d’ailleurs. Quid cependant du doctorant d’autres disciplines, travaillant en bureau ou en bibliothèque, voire sur le terrain? Ce sont là parfois des expériences plus individuelles, où le travail en équipe et l’encadrement sont épisodiques et certainement moins constants. On a certes en France pris l’habitude assez grotesque de prétendre que tous ces gens appartiennent aussi à des « laboratoires », nom pompeux et en réalité parfaitement trompeur pour désigner quelques séminaires occasionnels ou des groupes de travail ad hoc; une pratique nominative que je n’ai vue, de mon expérience dans la discipline historique, ni en Grande-Bretagne, ni aux Etats-Unis, ni même en Allemagne. Quelques heureux sélectionnés parviennent à intégrer certaines structures, mais pour de nombreux doctorants, cette période est d’abord solitaire.
Aussi n’est-ce pas via l’expérience du laboratoire qu’un doctorant doit faire valider et reconnaître ses capacités professionnelles, mais bien par son travail spécifique, avec son expertise, sa méthode et sa capacité à utiliser les instruments et institutions nécessaires à son travail, ainsi que sa capacité à communiquer, par écrit et par oral, sur l’état des travaux et des découvertes. On parle là bien de l’importance des compétences acquises, plus que du statut de « travailleur en laboratoire », et il me semble que si, par culture, on raisonnait davantage en ces termes lorsqu’on évoque ce que fait le doctorant, on parlerait un langage déjà plus intelligible au monde entrepreurial.
Oui, le doctorat représente un nombre d’années de formation assez élevé et aussi une qualification, pour autant qu’on soit toujours très précis sur ce que ces qualifications représentent concrètement, en termes de compétence professionnelle selon la discipline, et pas en termes trop généraux du genre Bac Plus Huit. J’estime aussi que l’université française doit elle-même avoir un comportement cohérent, et montrer l’exemple: si les titulaires de doctorat ne sont pas pris au sérieux sur le marché du travail, c’est le cas en tout premier à l’université, qui exige aussi bien l’appartenance au service public (par l’agrégation) et la procédure de qualification pour que le post-doctorant puisse même prétendre à un emploi un peu stable (passons à côté le système d’exploitation organisé des vacations…). Quand l’université recrutera des doctorants sur titre et sans autre exigence, on verra peut-être ces diplômes comme possédant quelque valeur. 0 l’heure actuelle, les universités françaises envoient le message que leurs doctorats ne valent pas plus que des mastères et même des licences. Il serait certes bons que les recruteurs d’entreprise s’intéressent au vivier potentiel des doctorants pour leurs activités, mais cela ne se décrète pas (encore une tare de l’excessive confiance française dans les oukases d’Etat). Les pratiques sont du domaine de la société, et s’adoptent à la longue, par expérimentation aussi bien que par émulation. Ce n’est pas parce que « le doctorat est un travail qui fait l’objet d’un contrat » qu’il est, pour l’entrepreneur privé, un atout. Celui-ci est à la recherche de profils, de CV, d’individus donc qui ont une histoire spécifique et qui parviennent à démontrer que leur doctorat est un atout particulier de leur profil. Aussi bien les entreprises doivent elles être prêtes à les « acheter », les doctorants, ainsi que les universités dont ils sont issus, doivent savoir se « vendre ». Tout cela, cela s’apprend, pour autant qu’on ait la bonne mentalité pour le faire.
24 avril 2014 à 17:29
mixlamalice
Je dois avouer, une fois n’est probablement pas coutume, que je suis sur ce point précis plus d’accord avec le dernier comm’ d’Astronaute qu’avec la plupart des prises de position de la CJC ou équivalents… (hashtag social-traître)
24 avril 2014 à 18:27
Rachel
@François, est-il vrai que les conventions collectives ne reconnaissent pas le bac+3 mais seulement le bac+2 ?
@Astronaute, on se heurte une fois de plus aux différences entre un doctorat en « science dures » et un doctorat en « sciences molles ». Pour le doctorant en « sciences dures », il pourra valoriser une expérience de travail en équipe et collaboratif, la participation à un projet plus « global ». Je crois que ce sont là des éléments (entre autres) qui peuvent intéresser une entreprise. En ce qui concerne le « statut », il s’agit d’un CDD (tout comme grand nombre d’ingénieurs passent en début de leur carrière), cela lui permet de cotiser pour sa retraite et couverture sociale (par exemple droit au chômage s’il ne trouve pas de boulot après sa thèse). Bref c’est beaucoup mieux que les « bourses de thèse » d’avant V. Pécresse et beaucoup mieux que les vacations. Ceci dit, je suis d’accord que d’avoir un contrat de travail dans le secteur public n’est nullement un gage de qualité.
24 avril 2014 à 18:33
Sirius
Pour défendre le titre de docteur, je me sens plus en phase avec Astronaute (le doctorat donne des compétences particulières) qu’avec Rachel (le doctorat, c’est trois ans d’expérience professionnelle au delà du Master). Les deux sont compatibles, mais le premier point est crucial.
Encore faut-il que les universités fassent le ménage. Car le handicap des docteurs face aux diplômés des meilleures écoles vient de la faiblesse du « contrôle qualité » des docteurs à l’université. Tant que cette question ne sera pas traitée, les ingénieurs feront la loi, ainsi que les docteurs des écoles habilitées à délivrer le titre de docteur.
Et la qualité ne tient pas seulement aux capacités scientifiques, mais aussi aux capacités comportementales. Je me souviens d’avoir beaucoup choqué Rachel en disant cela, mais je persiste et signe. Si on veut que les docteurs s’insèrent dans les entreprises, il faut qu’ils soient préparés à cela. Cette position n’a rien à voir avec celle du Medef que je trouve lamentable.
24 avril 2014 à 19:20
Rachel
Bon d’accord, le contrôle qualité des docteurs, ça sera l’objet des deux prochains billets sur Gaïa : (1) le recrutement des doctorants (2) le jury de thèse. Pour le jury de thèse, ça fait bientôt un an que j’ai ce billet en projet, depuis la « crise de la qualification » de juin dernier (on avait bien rigolé à cette époque).
Pour les capacités comportementales, je crois que c’était un extrait d’un texte de la CDEFI (de mémoire). Mais ils ne précisaient pas vraiment en quoi il y avait déficience (pour certains doctorants – car j’imagine que ce n’est pas général … quoique …).
24 avril 2014 à 19:41
Poutine7
Je suis d’accord avec le Medef sur un point. Je ne vois pas pourquoi on comparerait un « Très bon » Bac+5 à un « Mauvais » Bac+8 ou un « Très bon » Bac+8 à un gros nul de Bac+5. Il y a thèse et thèse. Les motivations des étudiants sont différentes : cela va du puriste le plus rigoureux au branleur qui ne veut pas rentrer sur le marché du travail.
Cela fait partie de la liberté d’entreprendre, payer comme on veut qui on veut avec diplômes ou pas à condition que l’on recrute des gens compétents
24 avril 2014 à 22:17
FBLR
De deux choses l’une.
Ou bien la thèse est une qualification supplémentaire et uniquement cela qui s’ajoute à celle obtenue à Bac + 5 (donc on retire l’idée de le compter comme travail), ou bien un docteur c’est un diplômé à bac+5 ayant travaillé X années (X ayant pour vocation à être proche de 3).
Si l’on retient la dernière version, il n’est absolument pas obligatoire que l’expérience soit validée par l’employeur où l’on va: et c’est d’ailleurs le cas pour les ingénieurs… Après un ingénieur, même brillant, se réoriente après une expérience de 3 ans, rien ne contraint l’employeur de le changer sur la grille de recrutement: on n’est pas dans la fonction publique où il y a des obligations en la matière. Sauf à avoir, par exemple, atteint un niveau hiérarchique supplémentaire (i.e. avoir obtenu une promotion vers une direction de projet ou d’équipes au cours des 3 premières années), rien ne dit que l’expérience acquise sera valorisée au moment où l’on change d’entreprise… exactement comme pour un docteur, donc.
Pour @Rachel, sur l’histoire « bac+2 ou +3 ».
Si l’on regarde le texte que François a cité, c’est extrêmement clair:
« […]- agrégations, doctorats (docteur d’Etat, docteur ingénieur, docteur 3e cycle), diplômes d’études approfondies, diplômes d’études supérieures spécialisées, maîtrise
et licences,
délivrés par les universités des lettres, de droit, des sciences économiques, des sciences humaines et de sciences ;[…] »
Donc pour être cadre il suffit d’avoir une licence dans la convention de la métallurgie. Et ainsi, bac+3, +5 ou +72 sont dans la même grille de salaire. Qu’est-ce qui est compliqué dans ce texte ?
Dans la convention collective syntec (celle des Bureaux d’Études Techniques, des Cabinets d’Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils, i.e. les SSII), c’est encore plus large… Il suffit d’un diplôme du supérieur reconnu par la loi et se voir attribuer au sein de l’entreprise des tâches nécessitant de l’autonomie (article 2)c)) et Annexe II (les différents niveaux de position font aussi intervenir des niveaux d’âges):
http://www.syntec.fr/1-federation-syntec/128-negociation-collective/154-convention-collective.aspx
« c – comme I.C., les ingénieurs et cadres diplômés
ou praticiens, dont les fonctions nécessitent la mise
en œuvre de connaissances acquises par une
formation supérieure sanctionnée par un diplôme
reconnu par la loi ou par une formation
professionnelle ou par une pratique professionnelle
reconnue équivalente dans notre branche
d’activité.
Les fonctions d’ingénieurs ou cadres, sont définies
en annexe par la classification correspondante.
Ne relèvent pas de la classification ingénieurs ou
cadres, ni des dispositions conventionnelles
spécifiques à ces derniers, mais relèvent de la
classification E.T.A.M., les titulaires des diplômes
ou des possesseurs d’une des formations
précisées ci-dessus, lorsqu’ils n’occupent pas
au terme de leur contrat de travail, des postes
nécessitant la mise en œuvre des connaissances
correspondant aux diplômes dont ils sont titulaires. »
Pire ! Un diplômé ingénieur qui serait embauché pour accomplir des tâches de techniciens aurait beau avoir un « bac + 5 », il serait qualifié/rétribué comme ETAM.
Bref.
24 avril 2014 à 22:48
A propos de la reconnaissance du doctorat par l...
[…] On entend souvent les associations de doctorants (ou autres organisations chargées de promouvoir le doctorat) protester au sujet de la non-reconnaissance du titre et du diplôme de docteur dans les … […]
24 avril 2014 à 22:53
Astronaute en transit
Puisque nous parlions différence de cultures entre le monde universitaire et entrepreneurial, j’ajoute aussi une observation personnelle. Hormis des stages plutôt au début de mon cursus (un pour le gouvernement, eh oui! pas celui de France… et l’autre dans une entreprise privée, française celle-là) je suis passé de mon doctorat et donc de l’université à un travail en université (vacataire d’enseignement).
Ce n’est pas avant d’avoir été remercié par l’université française pour cause de non appartenance à la fonction publique que la question de mon employabilité autre part s’est posée. Et c’est en faisant un bilan de compétences que j’ai pris conscience, via la conseillère, qu’il me fallait penser mon doctorat non en tant que diplôme mais en tant que capacités et expériences professionnelles à proposer à des employeurs. Ces derniers se moqueraient parfaitement que j’aie obtenu un bourse ou un prix ou que j’ai été sélectionné pour entrer dans un programme doctoral (à l’exception, peut-être, de l’effet « marque » de mon université qui est considérable et tend a être pris comme un gage de qualité… après c’est à moi de démontrer en travaillant que je suis effectivement à la hauteur de cette réputation).
Si les universités françaises ont pour nombre d’entre elles une capacité déplorable à aider au placement professionnel de leurs étudiants, je crois qu’avec les doctorants leur bilan est encore plus défavorable parce que la question ne se pose pas. Si le docteur d’université français a l’image professionnelle d’un personnage confiné au monde universitaire, c’est bien parce que peu d’universités se sont posé la question.
Donc la question ne concerne pas seulement le mode de recrutement en doctorat ou le jury de thèse; c’est aussi l’affaire de réfléchir sur la finalité professionnelle du doctorat et comment l’université se donne le moyen de promouvoir ses docteurs en tant que bons professionnels susceptibles d’intéresser les différents secteurs économiques et leurs entreprises.
24 avril 2014 à 23:11
Astronaute en transit
@ Rachel: je ne veux pas trop généraliser la différence entre disciplines non plus: a priori un scientifique fait plus de travail d’équipe etc, oui en théorie ça peut intéresser une entreprise mais l’employeur peut quand même trouver que le candidat en question est, pour ce qui le concerne, « bon à rien ». Rappelez vous les accrochages qu’on a eus sur un autre fil concernant la présentation du sujet de thèse en 180 secondes, il s’est trouvé beaucoup de personnes pour estimer que c’était « impossible », oui, en termes scientifiques, mais pas mal d’entrepreneurs industriels considèrent au contraire qu’exposer un concept même vulgarisé en 180 secondes est une compétence professionnelle très appréciable. Je n’ai absolument pas voulu dire, donc, que les entreprises ne doivent s’intéresser qu’aux docteurs de disciplines sciences dures et techniques. Ayant passé mon doctorat dans une université qui n’est pas française, même si c’est en sciences « molles » (ah oui les SHS si chères à notre ami Dan!) j’ai tout de même conscience que j’ai un profil aussi bien que des compétences susceptibles d’intéresser une variété d’entreprises (en médias ou en analyse risque ou étude de marché par exemple, et je m’aperçois que la transition vers les métiers de la comm’ et du marketing n’est pas si étrange que cela)
Pour ce qui est de la nécessité d’avoir le contrat CDD à la clé du doctorat pour cotiser chômage et retraite, quelques observations humoristiques: mes premières cotisations d’étudiant étaient à la MNEF, ce qui veut dire qu’elles ont été détournées et ont servi au financement occulte du PS au début des années 90; en Angleterre j’avais droit au NHS et je connaissais des gens qui touchaient des minima sociaux y compris le chômage pendant les mois d’été où ils n’étaient pas « en résidence » à l’université; en revenant en France cela faisait bien 10 ans que je n’avais pas cotisé, et on m’a refilé la CMU, mais je ne sais pas si j’aurais touché quoi que ce soit du chômage avant d’avoir effectivement recotisé, et au prix fort, sur les honoraires de vacataire généreusement octroyés par l’enseignement supérieur public français. En tout cas cette affaire montre bien que comme moyen d’évaluation professionnelle par un employeur, ce CDD doctoral n’a aucune valeur, si sa seule finalité est d’assurer un financement, même dans des conditions plutôt hasardeuses, de contributions sociales. Il faut urgemment changer de grille de lecture et d’interprétation sur le doctorat, sans cela cette situation risque bien de perdurer encore, et c’est un gâchis, nous sommes d’accord.
26 avril 2014 à 17:41
A propos de la reconnaissance du doctorat par l...
[…] On entend souvent les associations de doctorants (ou autres organisations chargées de promouvoir le doctorat) protester au sujet de la non-reconnaissance du titre et du diplôme de docteur dans les conventions collectives. […]
27 avril 2014 à 10:53
Ophélie
@Astronaute en transit: tout à fait d’accord sur le fait que « c’est aussi l’affaire de réfléchir sur la finalité professionnelle du doctorat et comment l’université se donne le moyen de promouvoir ses docteurs en tant que bons professionnels susceptibles d’intéresser les différents secteurs économiques et leurs entreprises ».
Je généraliserais même aux autres formations Bac +5 que l’université délivre et pour lesquelles elle ne met pas assez en place de moyens pour intégrer le jeune diplômé universitaire au monde de l’entreprise.
Pour le doctorat, il est indéniable qu’un certain nombre de directeurs/rices de thèse n’engagent des M2 en doctorat que pour faire avancer leur recherche et non dans l’objectif de former et PLACER de futurs chercheurs ou EC…C’est bien regrettable.
27 avril 2014 à 11:07
Ophélie
@Rachel: comment peut-on vous contacter pour vous envoyer un message personnel?
Merci :)
27 avril 2014 à 11:36
Rachel
@Ophélie, à cette adresse: rachel.gliese581e@yahoo.fr
27 avril 2014 à 11:42
Ophélie
Merci ;)