moocDepuis deux ans, j’ai basculé dans l’ère de l’université numérique. Mais rassurez-vous, de façon très prudente. J’ai simplement utilisé une plateforme Moodle pour mettre à disposition quelques documents sur mes cours et TD pour mes étudiants (et rien d’interactif). Après deux ans d’utilisation, il est temps d’en faire un petit bilan.

D’abord, précisons l’utilisation tout à fait modeste que je fais de cette plateforme. Pour mon dernier cours, celui du semestre qui vient de s’achever, j’y mis à disposition trois types de documents (1) des compléments de cours ou des morceaux de support ppt – le gros de mon cours je le fais de façon préhistorique, avec une craie et un tableau noir (2) les énoncés des TD (3) les sujets des examens des années passées. Il y a en tout 20 documents disponibles.

Voici quelques statistiques de consultation des documents par mes étudiants.

  • 84% des étudiants se sont inscrits à mon cours (donc sont venus au moins une fois sur la plateforme).
  • En moyenne, chaque étudiant a consulté 12 documents (sur 20 disponibles). Ici il faut nuancer car sur les 20 documents proposés, il y a 9 énoncés de TD qui leur ont été distribué sur feuille de papier (pardon les arbres) en début de TD et en conséquence le taux de consultation des TD est très faible. Mes supports et compléments de cours ont été consultés à environ 60 % (parmi les inscrits). Par contre le taux de consultation des annales de sujet d’examen est très haut, plus de 100% (c’est-à-dire que certains les ont consulté plusieurs fois).
  • Certains étudiants ne sont venus qu’une seule fois (pour voir à quoi ça ressemblait ?) et n’ont consulté qu’un document. D’autres sont venus plus régulièrement et le taux de consultation est élevé (plus que le nombre de documents disponibles – je compte 31 % des étudiants dans ce cas, parmi les inscrits).
  • En moyenne chaque étudiant inscrit est venu 2,5 fois sur la plateforme, sur la durée des 4 mois de mon cours.
  • Il y a eu important pic d’activité quelques jours et jusqu’à la veille de l’examen. Pour être clair, environ 80% des consultations ont été faites durant ces quelques jours. Bref hors de la période d’examen, le taux de consultation est très faible.

En résumé et conclusion, je trouve que le succès de mon basculement dans l’université de l’ère numérique est un peu décevant. Vais-je continuer ça l’année prochaine ?

J’en profite pour mettre ci-dessous quelques témoignages collectés ici à l’occasion d’une discussion récente sur Gaïa :

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J’ai essayé ces dernières années de fournir aux étudiants des « outils numériques » pour qu’ils puissent travailler seuls : tests et exercices en lignes, et tout ça (pour des cours où on ne trouve pas ça n’importe où). Ça m’a permis aussi de voir qui s’en servait concrètement. Le taux d’utilisation de ces outils s’est révélé … décevant (c’est un euphémisme)… Et de l’autre côté, les étudiants se déclarent très attachés aux CM. Donc bon, les MOOC…

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J’avais préparé tout un tas de questions sur Moodle censé aider les étudiants pour réviser mes cours. Apres l’examen, les étudiants ayant utilisé la ressource avaient de meilleurs résultats que ceux n’ayant pas tente les questions. « Youpi, » je me suis dit, « ça marche. » Mais en regardant la condition témoin, (résultats à l’examen d’une autre UE), les étudiants ayant fait mes exos sur Moodle avaient aussi de meilleures notes dans l’autre UE. Conclusion – c’était que les étudiants bosseurs (qui par ailleurs avaient moins pas forcément besoin des exos supplémentaires) qui avaient fait le truc.

Apparemment, pour avoir un impact, il faut que les activités numériques soient obligatoires – cad, récompensées par une note de CC.
(exemple ici – http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17548875)
Mais dans ce cas, la disponibilité d’un équipement perso chez les étudiants devient vraiment une question critique.

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J’ai le même constat décevant que vous sur l’impact des ressources en ligne que j’ai mises à la disposition des étudiants. L’explication est peut-être dans l’une des études de Freeman (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17548875). En gros, quand il a introduit tout un tas de trucs innovants, les résultats des étudiants restaient les mêmes qu’avant, jusqu’à ce que ces activités devenaient obligatoires – c’est à dire, comptaient pour une note de CC.
En ce qui concerne les MOOC, c’est un peu comme tous les autres vertus dont on veut doter l’université en France. Si ça marchait vraiment, on les proposerait aux classes prépas.

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Tirant farouchement parti de toutes les ressources qui me sont offertes, j’ai tenté Moodle cette année (et là je veux entendre des hoooooo! et des haaaaa! devant tant de modernité pointue). Le but était de pourvoir mettre à disposition des étudiants des liens vers des sites intéressants et de pouvoir uploader des images plutôt lourdes de trucs qu’on devait ensuite travailler en cours… Dans ma tête de poisson rouge ça devait permettre d’éviter de filer des photocopies baveuses et noirâtres à des étudiants têtes de piafs qui oublieraient de les apporter une semaine sur deux. Comme une cruche j’avais tablé sur le fait qu’en cours je pourrais montrer les images en question grâce à un ingénieux système de vidéo-projection (là encore, en termes d’innovation avouez que ça se pose là). Déjà j’ai pu constater que les documents et autres liens et conseils de lectures mis sur le moodle et censé arriver dans la boîte mail des étudiants (prévenus, of course) instantanément arrivaient en fait 24 à 48h plus tard. Explication fournie? Le serveur n’est pas assez puissant pour supporter le développement de tous ces moodle et toutes ces connections… Super les gars! Ensuite, ceux qui m’ont un peu lue ailleurs savent ce qu’il est arrivé à la seule salle vaguement équipée de mon UFR. Du coup consulter lesdits documents en cours supposait que chaque étudiant vienne avec son portable (et puisse le brancher sur une prise électrique, c’est à ce détail qu’on voit que chez nous le truc était mort avant d’avoir même existé). Bref, j’ai un temps tenté audacieusement de trimbaler et de brancher un vidéo-projecteur portable volé à un autre département (à la guerre comme à la guerre), mais une demi-heure de manip pour obtenir une image tantôt mauve tantôt jaune m’a rapidement convaincue des vertus de la photocopie à l’ancienne. Donc pour l’instant quand je lis toutes ces conneries sur le numérique, je rigole bien.

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Pour la première fois cette année j’ai utilisé Moodle pour un de mes cours de littérature. La plateforme est pratique de mon point de vue comme de celui des étudiants qui n’ont eu aucun mal à s’y inscrire. Le premier avantage c’est qu’il sert de messagerie sans que l’enseignant ait à rentrer avec plus ou moins d’exactitude des adresses mails absurdes (du genre GrosZizi93@hotmail.com) écrites en pattes de mouches malhabiles sur des demi quarts de feuille quadrillée. Les étudiants ne peuvent s’inscrire qu’avec leur adresse mail de la fac, ce qui en théorie les oblige à prendre l’habitude de s’en servir pour tout ce qui concerne l’université (mais en théorie seulement, en pratique ils ne se servent que de GrosZizi). Autre avantage, ça permet en théorie toujours de constituer un trombinoscope et donc de mémoriser les noms et les visages plus facilement. Je pense que certains de mes collègues s’en tapent, mais avec nos effectifs (50 étudiants max à un cours, le plus souvent une trentaine) j’ai toujours honte de ne pas mettre un nom sur un visage. Le problème c’est que la plupart du temps les étudiants ne mettent pas de photo à leur profil, ou alors une photo de pokemon ou de la tour Eiffel, ce qui rend l’identification assez aléatoire. Je n’ai pas trouvé sur la plateforme d’onglet permettant d’accéder aux statistiques de consultation. Les étudiants sont censés cocher une case quand ils ont pris connaissance d’un document (mais comme le dit Mixlamalice ça peut être aussi bien téléchargé que lu et bossé à fond), mais parmi ceux qui avaient bien lu le document la plupart oubliaient de le faire. J’ai posté pas moins de 20 documents différents (liens internet, textes, images, vidéos) en précisant à chaque séance ce qu’il fallait impérativement consulter pour la séance suivante et à vu de nez je dirais que seulement 30 à 40% de mes ouailles les ont consultés régulièrement. Je dirais donc que c’est à peu près le même nombre qu’avec les photocopies baveuses; il faut que l’étudiant soit (comme pour tout le reste) motivé à la base, mais le format numérique des échanges ne les motive pas spécialement.

Le but de cette mise en ligne de documents de travail n’était pas qu’ils les impriment chez eux (j’ai par exemple posté le texte d’une pièce de théâtre de 50 pages, il était absurde de la leur faire imprimer et absurde aussi de la distribuer sous cette forme), mais qu’ils les lisent pour préparer les séances de cours au cours desquels, dans un monde idéal, nous aurions travaillé sur écran en regardant ensemble les documents du moodle… Evidemment ça n’a été que très rarement possible, ou alors en mauve ou en jaune, ou rogné d’un tiers, le tout sur un mur sale et pas sur un écran; et quand c’était ça déjà on était content et il nous avait fallu 30mn de manip (je branche je débranche j’allume le bouzin, je l’éteins, je le rallume, je m’énerve, je redémarre le machin… ad nauséam).

Mon bilan: je vais étendre le truc à tous mes cours dès l’an prochain, mais en ayant conscience que ça évite surtout de gâcher du papier, de couper des forêts et de faire mourir des écureuils et des oiseaux. Pour le reste, ça serait vraiment bien si tout l’environnement de cours permettait une utilisation complète et si tous les étudiants étaient consciencieux et motivés. Bref, c’est vaguement pratique (surtout ça m’évite d’avoir à passer à la repro, même si ce sont des gens charmants et efficaces), mais en aucun cas propre à révolutionner les « postures pédagogiques ».

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Chez nous, il y a une plateforme centralisée permettant de mettre toutes sortes de documents en ligne (ppt, word). Il y a un logiciel gratuit qui permet de s’enregistrer sans outillage particulier pendant un cours (le son est capté par le micro du PC, et ça enregistre les slides chaque fois qu’on les fait défiler). On a aussi quelques salles « numériques » pour faire des enregistrements plus poussés. Le site est globalement bien fait (il permet aussi de faire des forums de discussion entre élèves ou avec le prof etc).

Les contreparties: l’inscription des élèves y est parfois compliquée (ce n’est pas rare qu’ils n’aient accès qu’une semaine avant l’examen voire jamais, même si globalement ça fonctionne à peu près). Et l’autre partie, c’est que le service reprographie est facturé assez cher, donc plus personne chez les EC n’imprime de polys, et on dit aux élèves: allez sur la plateforme et imprimez vous-mêmes (y a plus de petits profits dans l’enseignement supérieur)

On a de petites infos sur le suivi des étudiants. En gros, pour chaque étudiant: rouge veut dire qu’il n’a pas ouvert le document. Dès qu’il l’ouvre, ça passe en jaune. Si l’étudiant pense que c’est acquis, il peut cocher un onglet qui fait basculer le document en vert. (le problème du jaune est donc qu’on ne sait pas si l’étudiant a juste ouvert le doc, l’a bossé 30h mais n’a pas validé l’onglet, ou tout état entre les deux extrêmes)

Si je prends l’exemple de mon cours le plus suivi (une UE niveau M1 de 30h de cours, 30h de TD): il y a 38 documents (qui vont de petits rappels, à des fichiers audios, en passant par les TDs et leurs corrigés, les polys de cours, les supports de présentation etc). Sur 75 étudiants, 35 n’ont ouvert aucun document. 1 étudiante a ouvert et validé tous les documents. Le reste est autour de 50% de docs ouverts, et un epsilon de docs validés. Au total, il y a eu 400 connexions, ça fait environ 5 par étudiant, ou plutôt 10/étudiant si on enlève les 35 qui ne se sont jamais connectés… Sur les 400 connexions, 200 ont eu lieu dans les 10 jours précédant l’examen. (il faut aussi préciser que sur 70 étudiants, il y a 10 ou 15 fantômes, inscrits en M1 mais visiblement jamais venus à aucun cours ni exam).

Ensuite, ça ne veut pas dire que les autres n’ont pas regardé les documents, puisque je sais qu’il y avait un groupe facebook de la promo avec discussions, échanges de documents etc.

Cela dit, un gus m’a dit, genre 3 jours avant l’exam et après 4 mois de cours (malgré x demandes de mon collègue pour vérifier que tout marchait) « Monsieur, je peux pas accéder à la plateforme, qu’est-ce que vous pouvez faire pour moi »…

Quant au poly de 50 pages que j’ai écrit qui permet de détailler toutes les démos du cours, d’aller plus loin, etc, mon « magnum opus » actuel, je pense que depuis 5 ans qu’il est en ligne, il n’a pas été lu par un seul élève… Allez, 1 par an, max.

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Je ne sais pas chez vous, mais mes étudiants râlent que je ne leur donne que des documents électroniques : il faudrait que je imprime tout pour eux. M’y refusant, je ne suis qu’une feignasse à leurs yeux. Et puis comme il ont payé l’inscription à la fac, c’est pas pour payer en plus l’impression de leur polys !

Pour faciliter le travail des étudiants, mes polys contiennent des hyper-liens qu’il suffit de cliquer pour arriver sur des pages web contenant des informations complémentaires (je ne peux décemment pas leur demander l’effort de taper l’adresse URL dans un navigateur). Bien sûr, il faut avoir accès à internet pour que cela marche. En pratique ce n’est pas un problème car aucun étudiant ne clique jamais sur les liens (je leur pose la question régulièrement).

Bref, nul doute que les nouvelles technologies vont faciliter les études et faire diminuer l’échec à l’université.

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Quoi ? les étudiants ne cliquent pas sur les liens ? mais on voit mal comment l’étudiant qui n’ouvre pas un bouquin irait cliquer sur des liens (ça encore à la limite, par désœuvrement) et surtout lire le contenu qui s’affiche à l’écran. Pourquoi le ferait-il plus avec un écran d’ordi qu’avec un bon vieux bouquin, d’ailleurs? parce que ça clignote et que ça fait moderne?? On en revient toujours à la même chose: si on admet pas une bonne fois pour toute que les étudiants sont quand même un peu (beaucoup?) responsables de leur propre échec par glande assumée, on n’aura pas beaucoup fait avancer le schmilblick. Y a-t-il une méthode pour que les étudiants lisent les livres au programme? Cliquent sur les liens? fassent les exercices? Je ne le crois pas. Ou alors l’hypnose, on n’a pas tenté l’hypnose. Est-ce que financièrement ça serait plus intéressant que d’investir dans du matos numérique?

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Et si on était un peu positifs ? D’accord, le numérique ne servira qu’aux meilleurs (ou au moins bosseurs) étudiants, les feignants et les « pas finis » n’en tireront aucun profit. Mais quoi qu’on fasse pour ces derniers (des années de tentatives, sans aucun résultat pour améliorer leur « réussite » ou limiter les abandons, moi, j’ai baissé les bras). Avec l’âge, et l’expérience, je suis devenue élitiste, et hérissée par la « réussite pour tous » prônée par des syndicats étudiants démagos plus intéressés par leur carrière politique que par le pragmatisme et la valeur d’un diplôme. D’accord, on ne nous donne pas les moyens ad-hoc (des sous !!!, voire des prises électriques….). D’accord, les MOOCS, c’est lourd. Mais il n’y a pas que ça. Les QCM en ligne, les petites vidéos explicatives, les ppt en ligne, les cours inversés, etc…, c’est une aide à l’enseignement, parfois ludique. Donc, un plus. C’est également lourd et consommateur de temps. Alors à nous de pousser nos conseils centraux à décompter dans le référentiel d’activité les temps de préparation, de gestion, de mise à jour de tous ces enseignements non présentiels.

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Les cours inversés ? J’ai essayé de mettre cela en place après l’avoir pratiqué en Europe du nord. Fiasco total. Je ne sais pas pour les autres disciplines, mais en sciences je n’ai jamais, je dis bien jamais, vu des étudiants préparer un cours AVANT la leçon. Qu’ils l’étudient après est déjà très bien (ce n’est pas la majorité).

Vous pouvez donner tous les documents que vous voulez, sous la forme que vous voulez, il faudra toujours pour des étudiants français que vous réécriviez presque tout au tableau. Un cours magistral français ça ressemble furieusement à du recopiage de poly/bouquin au tableau. C’est ce que les étudiants attendent, malheureusement.

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L’enseignement et l’enseignant ne sont pas obligés d’être hyper-chiants ou soporifiques… Et croire qu’il suffit de ppt ou de cours inversés pour réveiller des L1 qui se retrouvent à 150 ou 200 sur les bancs d’une fac qu’ils n’ont pas choisie, c’est se mettre le doigt dans l’œil…

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La numérisation s’appliquera peut-être aussi dans un autre domaine: l’enregistrement des cours par des logiciels de reconnaissance de voix. J’ai déjà eu des étudiants qui me demandaient s’ils pouvaient m’enregistrer avec un dictaphone, voire leur téléphone. Les plus rigoureux s’en servaient comme support à leurs notes écrites. Pour d’autres, cela pouvait remplacer toute prise de notes, mais je me demande s’ils étaient aussi concentrés…

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Merci à tous pour ces témoignages, qui peuvent se poursuivre ci-dessous !