god_save_fiorasoDans le projet de loi de G. Fioraso, il est prévu un assouplissement de la loi Toubon de 1994. Les dérogations seraient accordées plus amplement (cours, examens, mémoires, thèses). Certaines formations pourraient se faire intégralement en anglais (ce qui par ailleurs se fait déjà, par exemple les masters Erasmus Mundus). Le but est de concurrencer les facs étrangères et améliorer notre attractivité pour les étudiants étrangers. Voici quelques arguments avancés par notre ministre : « « Si nous n’autorisons pas les cours en anglais à l’université, nous n’attirerons pas les étudiants des pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust… ». Le projet « permet ainsi de dispenser en langues étrangères une partie des enseignements effectués, dans le cadre d’accords avec des universités étrangères ou de programme financés par l’Union européenne. Cette modification doit permettre d’améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers ». […] L’Inde compte un milliard d’habitants, mais nous n’accueillons que 3 000 étudiants indiens en France. Nous sommes ridicules. L’une des raisons est qu’il n’y a pas assez de cours en anglais ».

Cet élément du projet de loi fait polémique ces derniers temps. Voici ci-dessous quelques réactions (extraits) pêchées sur le web sans intention d’exhaustivité, dans le camp des opposants à cette évolution :

  • Un amour de Mme Fioraso, par A. Compagnon, ici. « Quand un collège américain envoie ses étudiants à Berlin pour apprendre l’allemand : ceux-ci découvrent sur place que les cours ne se donnent plus dans la langue de Goethe mais dans celle de Shakespeare, ou plutôt dans le globish des aéroports, et ils reviennent sans avoir amélioré leur allemand et en ayant détérioré leur belle langue natale ». […] « En anglais, on parle de friendly fire pour désigner le genre d’action que vient de mener la ministre. Car Mme Fioraso nous tire dans le dos alors que nous montons au front ».
  • Dispositions inopportunes, par l’académie française, ici. Il ne paraît ni opportun, ni même possible d’adopter pareille disposition de loi dont la valeur symbolique serait d’autant plus grande qu’elle serait plus vague et qui inaugurerait de véritables franchises linguistiques dans les universités françaises. […] L’Académie française, fidèle à sa vocation de gardienne de la langue et de son évolution, souhaite attirer l’attention sur les dangers d’une mesure qui se présente comme d’application technique, alors qu’en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue. En conséquence, l’Académie française demande instamment au législateur de renoncer à introduire dans la loi une disposition portant atteinte au statut de la langue française dans l’Université.
  • Enseigner en Français ! par Jacques Attali, sur son blog, ici. « on ne peut pas imaginer une idée plus stupide, plus contreproductive, plus dangereuse et plus contraire à l’intérêt de la France. Plus stupide parce que la France n’a aucun mal aujourd’hui à recruter des étudiants étrangers, même venant d’Asie, et de très haut niveau […] Plus contreproductive,  parce que les pays qui enseignent en anglais, quand ce n’est pas la langue maternelle des enseignants, voient inévitablement le niveau de leur enseignement baisser, comme le montra par exemple l’échec cuisant de l’université française de Saigon, qui enseigna un moment en anglais, provoquant le départ en masse de ses étudiants vers l’université américaine de la ville. Plus dangereuse parce que cela entrainera un recul du nombre d’étrangers apprenant le Français, ce qui n’est pas dans notre intérêt.
  • Refusons le sabordage du français, par C. Hagège, ici. « Les dirigeants de la nation française sont-ils donc saisis d’une pulsion d’autodestruction ? […]c’est de notre identité qu’il s’agit. Il n’est plus temps de clore nos paupières : nous sommes en guerre ! ».
  • La loi Fioraso veut livrer l’université française à la langue de la mondialisation capitaliste!  Par le parti communiste Français, ici . « l’extension des cours en anglais s’inscrit dans la logique de marchandisation, de mise en concurrence des enseignements et de la recherche. La langue favorisée, ce n’est pas l’anglais de Shakespeare ou de Scott Fitzgerald, mais la langue véhiculaire de la mondialisation capitaliste, celle de l’impérialisme américain, celle de l’Union européenne ».

Notons tout de même que toutes les réactions ne sont pas hostiles. Au contraire certaines sont favorables à un basculement de l’enseignement supérieur en anglais. Par ailleurs d’autres pensent que ce volet de la loi n’est que « communication » étant donné qu’il ne fait qu’officialiser des pratiques déjà existantes.

  • Cours 100% en anglais à la fac : ça se fait déjà, my dear ! Bruno Sire, président de l’université Toulouse 1- Capitol, ici. Ça « servira aussi à attirer les meilleurs enseignants-chercheurs dans nos universités. Lesquels sont au top de leurs disciplines sans forcément avoir à parler français lorsqu’ils arrivent chez nous,  qui revendique une trentaine d’enseignants étrangers. Le talent se moque des frontières et s’en est toujours moqué. Il fut un temps où le latin était la langue des savants, puis ce fut le français et aujourd’hui l’anglais. Demain, ce sera peut-être le chinois, il faut s’adapter aux réalités mondiales ! ».
  • L’anglais est un élément de compétitivité majeur, Pierre Tapie, président de la CGE, ici. « A la sortie du secondaire, le niveau est marqué par les origines sociales des élèves et il n’est pas très brillant. C’est donc un long chemin que nous devons faire faire à nos étudiants. La maîtrise de la langue de circulation internationale est en effet une compétence absolument nécessaire. Savoir travailler, négocier et convaincre en anglais est un élément de compétitivité majeur pour notre pays ».
  • L’anglais a sa place dans l’université française, par un collectif d’enseignant chercheur, ici. « Cet objectif, central voire vital pour notre système d’enseignement supérieur et de recherche, garant de son attractivité et de son rayonnement, eût été plus facile si la langue française avait gardé le statut qui était le sien au XVIIIe siècle. Mais il est temps d’admettre que ce temps n’est plus, et que la langue des échanges internationaux est aujourd’hui l’anglais ». […] La bunkerisation linguistique de notre pays est un combat défensif et néfaste qui n’augmentera pas le rayonnement de notre enseignement supérieur et de notre recherche au-delà de ces limites actuelles, mais qui prend au contraire le risque de pénaliser une jeunesse qui n’a pas besoin d’entraves supplémentaires pour entrer sur la scène internationale ».
  • Parler anglais aussi bien que Nabilla ? Grâce à Fioraso, nous sommes sur la bonne voie, par notre ami François Garçon, ici. « Nos étudiants sont les premiers à réclamer des cours en anglais, dans pratiquement toutes les disciplines. Écartés du marché du travail et désireux d’y rentrer, ils ont compris que la défense de la langue française est surtout un moyen commode pour que rien ne change. Or beaucoup savent qu’ils quitteront la France et, hormis ceux qui iront dans une ONG au Mali, les autres, en Australie, au Canada, en Grande-Bretagne, en Hollande, ou en Suède, auront plus facilités pour s’établir s’ils s’expriment en anglais, plutôt qu’en latin ou en français ».

Dans ma promo de cette année (32 étudiants), j’ai trois chinois. Ils sont venus de façon très encadrée, quelques mois avant pour apprendre le français (qu’ils pourront valoriser en termes de double compétence). J’ai aussi deux brésiliens, eux aussi dans un cadre de programmes internationaux, et là encore avec un objectif double, de formation et d’apprentissage de la langue. Il me semble que ces cinq personnes parlent maintenant très correctement le français, même s’il y a pas mal d’erreurs de français sur les copies (mais est-ce pire que les étudiants français ?). J’ai aussi cinq africains, trois du Maghreb et deux d’Afrique Centrale. Ces cinq étudiants sont probablement venus après leur bac, et certainement en France du fait de la langue.

Tout le monde se souvient ici du volet précédent de la Guerre des langues, sur ce blog. Un nouveau chapitre est maintenant ouvert …