D’après Bill Gates (PDG de Microsoft), internet remplacera bientôt l’enseignement universitaire. Le Web aura l’avantage de fournir des cours de qualité et surtout à bas prix. « Vous serez en mesure de trouver le meilleur des conférences mondiales gratuitement sur Internet. Ce sera mieux que dans n’importe quelle université. L’éducation coûte trop chère et seule la technologie peut réduire le chiffre de l’enseignement ». En clair il prédit une forte évolution des pratiques, ceci d’ici 5 ans.
Dans une période de crise financière il est assez logique de s’interroger sur les possibles réductions des dépenses, même si, personnellement, je doute qu’il soit très pertinent de considérer l’éducation et la formation dans ce contexte. Certains pays ont d’ailleurs engagé une politique d’austérité qui concerne également l’enseignement supérieur (UK, USA, …). Le raisonnement de Bill Gates est certainement dans cette lignée « l’enseignement universitaire est trop localisé et coûte trop cher ». « L’éducation à 200 000 dollars est de plus en plus difficile à faire, parce qu’il y a de moins en moins d’argent à lui accorder ». « Seule la technologie peut faire descendre ce chiffre non pas à 20 000 dollars, mais à 2 000 dollars ».
Ce qui coûte cher dans l’enseignement supérieur, c’est les salaires des profs. En proposant des cours sur internet (ce qui ne coûte quasi rien), on économise ainsi beaucoup d’argent. Les frais de scolarité sont alors fortement diminués, rendant alors l’enseignement supérieur accessible à tous (rappelons que Bill Gates est américain). Bien entendu cela mettra au chômage des centaines de milliers de profs dans les universités…
Des activités d’enseignement par internet sont déjà en place (E-learning, voir ici ou ailleurs), mais la France est très en retard sur la question comme en témoigne le classement déplorable des universités françaises sur le WebOmetrics (voir ici). L’adage « être visible ou mourir » n’est certainement pas dénué de sens. Les universitaires français seraient-ils rétifs aux évolutions ou se complaisent-ils dans leur lente agonie (comme disaient les refondateurs) ?
Imaginons quelques instants le futur. Les universités se livrent une bataille féroce sur le web afin d’attirer les meilleurs étudiants. Des cours complets sont disponibles sur la toile ainsi que tout un panel de services d’accompagnement pour les étudiants (exercices, foire aux questions, suivi pédagogique…). La notion de localisation est fortement diminuée étant donné que la présence physique n’est obligatoire qu’une fois par semestre pour les examens. En France, seule la marque « Sorbonne » s’en sort bien, les autres structures universitaires coulent vers le néant. Microsoft Online University et Google Sup Scholar sont devenus les leaders, le must universitaire …
I look at them and think: what on Earth is in there? (B. gates)
7 commentaires
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28 août 2010 à 14:44
Astronaute en transit
Un peu de science-fiction ne nous fait pas de mal!
Il est certain que sur certains points, le jugement de Bill Gates touche juste: Internet est effectivement une révolution pour l’enseignement à distance. Je préciserai même, en me référant à une expérience que je connais mieux parce qu’elle est pratiquée par l’une de mes anciennes universités, que pour ce qui est de la formation continue, dispenser celle-ci en ligne permet effectivement de toucher des publics qui sont en cours de carrière et ne peuvent pas se permettre de prendre un congé sans solde pour retourner sur les bancs de l’université, tant bien même le fait de suivre une nouvelle formation leur serait utile pour avancer leur carrière. Dans le cas de formations qui peuvent être somme toute assez courtes (par exemple, un Master en un an à plein temps peut ainsi se retrouver réduit à quelques mois, par exemple le temps de vacances d’été) cette formule mérite d’être explorée.
Cela implique tout de même un effort logistique et ce n’est pas nécessairement une solution de facilitée. Gates a bien parlé de conférences. C’est qu’il y a quelque part un enseignant en chair et en os qui délivre son cours magistral, lequel est simplement filmé et retransmis. C’est le principe d’une vidéoconférence, ou de cours sur la télévision ou à la radio aux heures nocturnes comme les dispensait encore récemment la fameuse Open University en Grande-Bretagne, avant la généralisation du Web. La question, cependant, va plus loin que le cours magistral car une formation universitaire ne saurait se limiter à cela. Comme nous parlions justement dans un autre chapître du problème de dispenser aussi bien un savoir et un bagage culturel, mais aussi des compétences de travail, cela nous montre bien qu’une formation de type universitaire suivie par le Web ne peut se contenter de simplement mettre en ligne ses meilleurs cours magistraux, tout fascinants qu’ils soient. Il faut, bien évidemment, que les travaux pratiques soient également mis en ligne, et que les enseignants chargés de les conduire correspondent individuellement avec chaque étudiant pour réceptionner les travaux faits par l’étudiant, les corrigeant et les expliquant. Déjà, de nos jours, la correspondance électronique avec ne serait-ce qu’un TD de vingt étudiants, pour compléter le temps de discussion passé en classe, cela prend beaucoup de temps, comme tous ceux qui en font actuellement l’expérience pourront en témoigner. Il faut aussi signaler que ce temps travaillé là n’est actuellement pas rémunéré comme il se fait en dehors de la classe, ce sont du moins les termes des contrats des fameux soutiers…
Évidemment, cela veut dire que si à l’avenir on veut effectivement dispenser des cours entièrement en ligne, il va falloir procéder autrement, et on ne pourra motiver les enseignants à s’investir en ligne que si ce travail est bien comptabilisé comme tel. Cela pourrait signifier, Rachel, que les économies d’échelle que vous évoquez plus haut en termes de salaires des enseignants pourraient ne pas en ressortir, d’autant plus que la tentation sera grande, dans une université dématérialisée sur le Web, d’accueillir un très grand nombre d’étudiants: cela fera beaucoup de correspondances individuelles à entretenir.
En conclusion, s’il faut sûrement s’attendre à ce que la révolution internet modifie encore profondément les formes de l’enseignement supérieur à l’avenir, un certain nombre de défis – qualité de l’enseignement, qualité du suivi – vont demeurer, et de ce fait, les économies d’échelle – et, forcément, des études supérieures moins coûteuses pour leur public ne s’en ensuivront pas encore automatiquement… Faisons confiance donc au cerveau de M. Gates pour répondre à ce nouveau dilemme!
28 août 2010 à 17:37
Rachel
Merci Astronaute pour ce commentaire fort détaillé et que je trouve très pertinent. Je suis d’accord avec tout. De vous à moi, je ne pense pas que la prophétie de Bill se réalise, je crois qu’il se trompe. Mais l’avenir est pavé de surprises. En période de crise, l’idée de faire des économies sur le dos de l’éducation et de l’enseignement ne fait pas l’unanimité, fort heureusement. Par exemple, on se souvient des recommandations récentes de l’OCDE « La période qui suivra la crise économique mondiale sera caractérisée par une demande sans précédent en enseignement universitaire », « Les investissements dans le capital humain contribueront à la reprise, à condition que les établissements soient en mesure de répondre à cette demande ». « L’éducation est un investissement dans le devenir de nos sociétés. Sachons éviter les erreurs » (source). Bref, à contre courant complet avec les gens qui envisagent des coupes dans l’enseignement supérieur.
A propos d’internet, je me posais deux autres questions, pour lesquelles je n’ai pas de réponse et que je n’arrive pas à formuler sous forme de chroniques.
La première question est plutôt une remarque : internet, si je ne me trompe pas, a été développé par les universitaires afin d’améliorer la communication entre eux. Si le succès est réel pour l’aspect recherche, je trouve que pour l’enseignement internet ne s’est pas vraiment développé ou n’a pas vraiment d’impact. Car la prophétie de Bill que je présente aujourd’hui n’a rien d’originale et ça fait longtemps que diverses personnes l’ont déjà formulée. Est-ce que cela veut dire qu’internet n’est pas bien adapté à l’enseignement ?
Ma deuxième question est relative au « savoir ». On souvent entendu l’année dernière les universitaires nonistes déclamer que le savoir n’est pas une marchandise, à organiser une marche des savoirs. Bref l’université est souvent présentée comme un lieu des savoirs. Mais si c’était clairement le cas à l’époque des « savants », et certainement encore vrai il y a 20 ans, je me demande si cela est toujours d’actualité. Moi quand je veux savoir quelque chose, je demande à Google ou autre moteur de recherche. J’ai l’impression que l’université n’a plus le monopole du savoir. Est-ce que l’on peut encore dire qu’un universitaire est un savant ? L’université est-elle encore le lieu des savoirs comme avant internet ? Est-ce que l’université ne devrait-elle pas modifier son angle de vue, insister davantage sur l’apprentissage des méthodologies ou les compétences plutôt que sur le savoir ?
28 août 2010 à 19:34
Astronaute en transit
Peut-être que l’analyse de Bill Gates souffre d’être trop inscrite dans un contexte très américain: les études supérieures y sont effectivement très coûteuses, et elles peuvent ne pas assez toucher un public qui est effectivement avide de connaissances et de compétences pour mieux réussir sur le marché du travail. D’où l’idée que Internet, pratique et accessible de chez soi, permettrait à beaucoup to better themselves (expression vraiment intraduisible dans le contexte social français qui n’est pas très fort à vaincre les strates socio-éducatives, en dépit de son égalitarisme autoproclamé… et autosatisfait). Derrière la pensée de Bill Gates, je ne crois pas qu’il y ait un désir réel de faire des économies en termes de personnels universitaires, même si l’homme, fameusement, n’a pas jugé nécessaire de compléter ses études à Harvard. Il sait très bien que les universités sont malgré tout des pépinières de talent et personne ne gagnerait à ce qu’on les réduise… simplement, il les estime assez riches pour voler de leurs propres ailes (et dans le cas de Harvard qu’il connait de l’intérieur, c’est évident). Le véritable problème selon lui serait plutôt l’accessibilité, d’où la proposition de l’extension de l’usage d’internet pour mieux répandre ce savoir… avec les limites que l’on a vu précédemment.
Revenons en France, car je crois, Rachel, que c’est ce contexte qui inspire votre première réflexion. Il est vrai qu’internet a trouvé de brillantes applications en recherche, et à ce titre la France n’est sans doute pas moins bien lotie que les autres pays. Pourtant, on l’a observé depuis de nombreuses années, la France accuse un certain retard dans l’usage du Web. Mon impression est que cet usage a été trop compartimenté, en somme, les chercheurs se sont rués sur l’internet et ont su lui trouver des applications (en termes de communication entre eux) mais les enseignants, eux, ont beaucoup hésité. Quelques innovateurs ont peut-être su lui trouver des usages, mais la masse conservatrice des enseignants, qui n’est ici pas vraiment aidée par la barrière formelle entre les carrières d’enseignants et de chercheurs, a été, et est sans doute encore, très lente à percevoir les avantages éventuels d’une utilisation plus poussée du Web. Il faut dire que l’on assimilerait vite les enseignants sur Internet à des « conférenciers grand public », suspects de vulgarisation, probablement financés en sous mains par des intérêts privés occultes (ceux de M. Gates par exemple!) Et bien sûr, il y a le problème que j’ai évoqué, le fait qu’internet permet de mettre un type de contenu à disposition (le contenu d’un cours magistral, typiquement) mais il requiert un effort supplémentaire pour permettre la communications d’autres contenus (les exercices et leur solution, ainsi que les conseils particuliers) Voila peut-être une explication partielle à ce premier dilemme…
29 août 2010 à 09:09
Astronaute en transit
Pour aborder votre deuxième question Rachel, je crois effectivement que vous avez raison en observant que désormais l’université ne peut plus prétendre à un monopole en ce qui concerne des savoirs généraux. On a sans doute tort de continuer à la définir aussi étroitement comme un lieu de transmission du savoir, ce qui me parait faire une fois de plus fâcheusement l’amalgame entre enseignement supérieur et ses prédécesseurs primaire et secondaire. c’est ce que veulent précisément les nonistes, préserver la fiction d’une université qui n’est que la suite du système d’enseignement public destiné aux mineurs. Au contraire, de tout temps, l’université a davantage eu pour vocation de devenir le lieu d’un savoir spécial, se différenciant de l’éducation de base: elle a ainsi acquis sa vocation aussi bien professionnelle qu’académique. Il y a certes des sites internet qui proposent des diplômes mais l’on sait évidemment à quoi s’en tenir. Ainsi internet ne pourrait pas entièrement remplacer ce qui se fait dans une université un peu exigeante avec elle-même. Ce qu’elle fait de plus simple, de plus général (les conférences magistrales) ont peut certes le rendre accessible au plus grand public à l’aide de toutes sortes de médias, et désormais, principalement, par internet. Le suivi personnel, la recherche et l’interprétation de toutes les variétés de sources d’information accumulées dans les fonds bibliothécaires, les produits de la recherche scientifique, l’expérience même des chercheurs, cela est plutôt unique et concentré dans le lieu spécifique de l’université où un étudiant individuel vient à leur rencontre. Cet échange là est bien plus difficile à médiatiser sur internet.
Il serait sans doute bon de laisser là une vision exagérée d’une université comme lieu de savoir pour y substituer une vision d’université comme lieu d’utilisation et d’interprétations de savoirs particuliers: cela redonnera à l’université sa noblesse, et ça ne lui ferait pas de mal.
29 août 2010 à 10:47
Rachel
Astronaute, si j’en crois les statistiques de l’utilisation du web, la France se place plutôt bien, mieux que les américains. Mais ce qui semble pécher c’est l’utilisation pour les actions éducatives ou les plateformes de cours en ligne. Mais je suis persuadée que ces outils ne peuvent être qu’un complément et que ça ne remplacera pas une formation en elle-même.
C’est vrai que dans le discours de Bill Gates, il n’y a aucune référence à une quelconque suppression de poste d’enseignant, c’est utile de le préciser. Le discours est surtout orienté vers le développement de nouvelles solutions pour démocratiser l’enseignement supérieur. Mais B. Gates n’explique pas vraiment comment il ferait pour faire baisser le coût annuel de 20.000 à 2.000 dollars … (car n’oublions pas que la grande partie des coûts correspond aux salaires). Est-ce que l’on verra le développement d’une sorte d’enseignement supérieur à deux vitesses ? Celui des riches qui pourront se payer des vrais profs et celui des pauvres qui devront se contenter d’enseignants virtuels ? Est-ce la solution pour amener l’enseignement supérieur là où ça ne serait pas possible autrement pour des raisons de coût ou de localisation géographique ? (dans ce dernier cas on pourrait envisager des services de cours en ligne et une petite structure de personnes qui seraient chargées d’assurer le « service après vente » …).
29 août 2010 à 21:19
Astronaute en transit
Peut-être Bill Gates a-t-il en tête un effet d’économie qui serait obtenu en permettant aux personnes d’étudier à distance, c’est-à-dire, en ne logeant pas sur des campus et en leur pemettant, en fait, de faire des études à temps partiel avec poursuite d’une activité professionnelle? Le coût des études américaines doit aussi beaucoup à la vie sur le campus, où il faut payer un loyer pour le logement, le coût de trois repas par jour à la cantine, ainsi, parfois, qu’une assurance-santé… Les superstars académiques des campus américains gagnent très très bien leur vie mais la plupart des professeurs, même s’ils sont mieux payés qu’en Europe, ne gagnent tout de même pas des salaires comparables à ceux de certains professionnels, juristes ou médecins… et il n’y a pas la même rigidité salariale qu’en Europe. D’après moi, ce ne sont pas principalement les salaires qui rendent les études américaines chères, mais plutôt le coût d’entretien des infrastructures…
30 août 2010 à 09:08
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