peillonLe sujet du moment sur la toile, c’est le salaire des profs de CPGE. Rappelons très brièvement quelques éléments du dossier : Vincent Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, veut réformer le décret de 1950, avec pour conséquence une baisse de salaire pour les profs de CPGE (précisons ici que ce n’est pas une baisse du salaire de base mais une baisse de la majoration de salaire ou de son potentiel). Les moyens récupérés seraient redistribués dans les zones d’éducation prioritaires (ZEP). La modification principale est un rehaussement des obligations de service. Le plafond bas est actuellement à 8 h et serait rehaussé à 10 h. En conséquence, il y aurait donc moins d’heures supplémentaires (qui étaient déclenchées à partir de 8 h, et qui le seraient demain à partir de 10h, si j’ai bien compris). C’est là que ça coince car le « gras » n’est évidemment pas fait avec le salaire de base mais par la majoration de salaire des heures supplémentaires (auxquelles s’ajoutent également les « colles » qui sont une spécificité des CPGE).

Pour lutter contre cette proposition de réforme, les profs de CPGE ont mis en place une pétition (lire ici). Extrait : « ce nouveau mode de calcul aurait en effet pour conséquence de réduire du jour au lendemain leurs rémunérations, dans une proportion atteignant entre 10 et 20 % de leur salaire ». C’est effectivement beaucoup mais les profs de prépa gagneraient à être plus transparents quant à ce salaire, et à préciser que seule la majoration de salaire est impactée, le salaire de base reste bien entendu inchangé.

Dans les premier temps de la polémique, trouver des données sur le salaire des profs de prépas n’était pas évident. Certainement qu’il fallait un peu de temps aux journalistes pour y voir un peu clair dans ce paramètre important de ce projet de réforme, qui est rapidement devenue une polémique avec des forums de discussion qui se déchirent sur le sujet. On trouve maintenant des chiffres assez facilement sur la toile. Trois extraits d’articles récents sur le sujet :

  • « Si les agrégés du secondaire doivent passer chaque semaine quinze heures devant les élèves, en CPGE, un service varie entre huit et onze heures en fonction du nombre d’élèves et de l’affectation en 1re ou 2e année. Heures supplémentaires et colles sont imposées certes, mais payées en plus. C’est ce qui conduit à un net mensuel moyen de 4 800 euros, dont 900 proviennent des heures supplémentaires (88 % en effectuent). Les 2 000 professeurs de chaires supérieures – le plus haut grade – gagnent, eux, 5 700 euros nets mensuels en moyenne, mais ce salaire peut grimper en fin de carrière jusqu’à 9 800 euros mensuels (dont 4 000 euros d’heures supplémentaires). Ils ne sont que quelques-uns à atteindre ces sommes, mais en travaillant à partir des traitements versés en 2011, la Cour des comptes a bien trouvé un enseignant de Versailles ayant gagné 107 000 euros nets annuels. […] Vincent Peillon veut lisser ces différences qui laissent le certifié loin derrière avec ses 3 500 euros moyens en fin de carrière. Il prévoit que tous les enseignants de CPGE passent à dix heures de cours ; ce qui en amènerait 5 000 d’entre eux à travailler plus sans contrepartie, ou à gagner moins. La baisse serait de 10 % à 20 %, selon les syndicats. « En moyenne 4 000 euros par an pour les scientifiques. La fourchette va de 1 000 à 10 000 euros », soutient Sylvie Bonnet, présidente de l’Union des professeurs de spéciales (UPS). « Personnellement, je perdrais entre 600 et 700 euros mensuels », renchérit Sébastien Cote, vice-président de l’APPLS, l’association des professeurs de lettres supérieures ». Source ici.
  • « Stéphane Coviaux (secrétaire général de l’APPLS) dénonce avec éloquence la méthode employée et le mutisme de son ministre de tutelle. Mais dès lors que le montant du salaire est évoqué, les réponses se font plus confuses. Avec trente-huit élèves d’hypokhâgne et quarante de khâgne, l’agrégé d’histoire est soumis à une obligation de service de 8 heures. Auxquelles s’ajoutent « 4 heures supplémentaires par semaine et de nombreuses heures d’interrogations orales » (près de 120 heures au cours d’une année, selon nos calculs). À plus de 100 euros (en moyenne –*ce qui est en réalité une valeur haute*) l’heure supplémentaire et à 65 euros (en moyenne) l’heure d’interrogation, le tout forme un joli pactole. Après dix-huit ans d’ancienneté, Stéphane Coviaux évalue son salaire à 4 000 euros net. Avec ou sans les heures supplémentaires ? Il n’a pas effectué ce calcul et ne peut répondre à cette question. » (source ici).
  • « le revenu moyen d’un professeur en classes préparatoires est de : environ 47000 euros dans les 10 premières années, 49000 euros dans les 10 années suivantes, 57 000 euros dans les dix années suivantes; et pour les professeurs dits de chaire supérieure, 63000 et 70000 euros respectivement pour les dix premières années, puis au-delà. Il y a évidemment des disparités ». Source ici.

Faisons une brève petite comparaison avec un enseignant-chercheur à l’université. Précisons que l’heure supplémentaire est souvent payée 40 euros (contre 100 euros en moyenne pour les profs de CPGE). Ensuite comparons le salaire :

  • Les 10 premières années, le MCF gagne environ 30 000 euros net annuel, auxquels s’ajoutent d’éventuelles heures supplémentaires et primes. Je ne pense pas me tromper en disant que ça dépasse rarement 4000 euros par an, donc admettons un salaire moyen de 34 000 euros (à comparer avec les 47 000 euros des profs de prépas).
  • Les 10 années suivantes, la moyenne est de 37 000 euros. Ajoutons environ 5000 euros d’heures complémentaires et de primes, on arrive alors à 42 000 euros, à comparer aux 57 000 euros des profs de CPGE.
  • Enfin, au-delà, je vais me contenter d’un nombre très approximatif, car à ce niveau il y a de grandes différences entre universitaires. 45 000 euros me parait un chiffre raisonnable, auquel  j’ajoute 5000 euros de primes et heures complémentaires, soit au total 50 000 euros. A comparer avec la fourchette 63 -70 000 euros des profs de CPGE.

Les profs de CPGE sont assez conscients que leur salaire est supérieur à d’autres collègues de l’Education Nationale. Dans leur pétition ils tentent de le justifier  « Ce projet, en l’état, nous semble exposer à une grave déstabilisation un système de formation qui contribue pourtant de façon significative à la création des forces vives de la Nation. D’autre part, il donne le sentiment d’un incompréhensible et blessant manque de respect pour une catégorie d’agents de l’Etat dont le scrupule professionnel et l’engagement au service du public sont connus et reconnus ». Sur la toile ça se déchaine et les scénarios catastrophes sont évoqués : les profs de CPGE vont partir dans des boites d’enseignement privés, on cherche à casser les CPGE, à détruire un système qui fonctionne bien, etc … On peut lire aussi des témoignages à la Caliméro « on travaille dur, on a beaucoup de copies à corriger, les colles ça prend du temps, les cours sont d’un haut niveau et demandent beaucoup d’investissement intellectuel, etc … ». Ce qui ressort également beaucoup, c’est l’expression d’un service rendu à la nation, une certaine fierté d’enseigner dans  « la formation est  le fer de lance de la compétitivité, et la clé de l’insertion d’un pays dans la concurrence mondiale » et finalement c’est le prix que la nation doit payer (lire ici, par exemple, avec un texte qui par ailleurs explique bien les enjeux de la réforme, y compris expose les opacités du système actuel).

Dans l’ensemble, les profs de prépas sont également assez unanimes pour ne pas « dresser les collègues les uns contre les autres » (c’est très aimable à eux), mais j’ai quand même une petite pensée pour le certifié qui fait ses 18 heures dans un collège de banlieue en ZEP pour un salaire nettement inférieur, lisant les lamentations des profs de CPGE. Je me demande bien s’il aura signé la pétition par solidarité professionnelle (c’est vrai qu’ils font un tout autre métier, je l’entends). Je reste également un peu sceptique devant l’argumentation du « service rendu à la nation » (le prof de ZEP appréciera également), car les fruits des formations « fer de lance de la compétitivité, et la clé de l’insertion d’un pays dans la concurrence mondiale », on les attend depuis assez longtemps. A ma connaissance, ce n’est guère glorieux et peut-être que la formation des élites a aussi sa part de responsabilité dans nos difficultés actuelles.

Pour ma part je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin que des modifications à la marge du décret de 1950. Je pense qu’il y a deux actions d’envergure à mener (1) la suppression de l’agrégation sous la forme actuelle (agrégation du second degré) et la création d’une agrégation du supérieur (attention, ne pas confondre avec l’agrégation du supérieur actuelle de certains disciplines universitaires. On supprimera également celle-là). Cela permettrait aux profs de CPGE d’accéder à un vrai statut qui correspond à leur métier, et donc d’avoir un salaire en conséquence sans avoir recours à des artifices opaques. (2) intégrer les CPGE dans les universités, lieu de la recherche, pour le bénéfice à la fois des étudiants et de leurs enseignants.