quoi-de-9-docteurC’est un constat terrible pour la formation doctorale dans les universités : « le taux de chômage des titulaires de doctorat est supérieur à celui des diplômés de niveau master. Il est près de trois fois supérieur à celui des pays de l’OCDE ». Ce constat est fait par Mohamed Harfi dans un document de travail pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, octobre 2013, titré Les difficultés d’insertion professionnelle des docteurs. Les raisons d’une « exception française » (lire ici).

Pour expliquer ce taux de chômage, anormalement élevé compte tenu du niveau de qualification, le rapport souligne que ce n’est pas dû à une surproduction de docteurs. Il avance deux raisons :

  • « un sous-investissement  en recherche et développement du secteur privé,
  • Et la préférence donnée aux ingénieurs pour des postes de recherche »

Les lecteurs assidus de ce blog savent que ce rapport ne fait que rappeler des problèmes déjà très bien identifiés depuis de nombreuses années (lire ici, par exemple).  Pourtant on ne peut pas dire qu’aucun effort n’est fait. Par exemple il y a déjà un gros volant d’allocations CIFRE (convention entreprise – laboratoire public). Le CIR (crédit d’impôt recherche) comporte plusieurs mesures en faveur de l’embauche de docteurs. Mais cela ne suffit pas. Le rapport émet plusieurs recommandations pour améliorer l’emploi des docteurs (améliorer l’information, avoir une meilleure connaissance des besoins du marché du travail,  accroitre le nombre de thèses financées par les entreprises, ou reconnaitre le doctorat dans les conventions collectives).

Malgré tous ces efforts humains et financiers, on est obligé de constater que les problèmes perdurent (à la fois la médiocre insertion professionnelle des docteurs mais aussi la faiblesse de la R&D privée française). « Le doctorat semble ainsi être la victime collatérale du ‘dualisme’ du système d’enseignement supérieur, qui fait coexister des universités et des grandes écoles, celles-ci détenant un prestige et une influence incomparables », déplore le député Emeric Bréhier (source ici). « Même lorsqu’il s’agit de recrutements pour la fonction recherche, les entreprises privilégient les profils d’ingénieurs par rapport aux titulaires de doctorat » dit le rapport en question. Le problème est donc structurel et culturel.

A mon sens il faut donc aller beaucoup plus loin que les quelques petits mesures sans ambition données dans le rapport. C’est certainement les mentalités qu’il faut faire évoluer sur le long terme, et ça c’est beaucoup moins simple. Deux questions simples et majeures devraient servir de socle à cette évolution :

(1) Pourquoi est-ce utile d’investir dans la R&D ? Les entreprises françaises devraient se réapproprier davantage la notion d’investissement plutôt que de consommer leur temps à la chasse à la subvention ou à la niche fiscale.  C’est là une action qui pourrait être envisagée en amont, auprès de nos grandes grandes écoles, c’est-à-dire de là où sortent nos futurs dirigeants. Dans une grande majorité des cas, les néo-diplômés qui en sortent n’ont qu’une idée assez vague de ce qu’est la R&D. Dans l’idéal, les GE devraient être intégrées dans les universités car c’est là qu’on va trouver les meilleurs laboratoires de recherche. Bref il me parait essentiel d’un grand nombre de futurs dirigeants aient été confrontés un jour ou l’autre à la recherche (et plus qu’un simple petit cours ou stage « découverte du monde de la recherche » mis en place pour faire bonne figure…).

(2) Un ingénieur est-il un chercheur ? la réponse est bien évidemment non (mais je reconnais qu’on peut la nuancer à l’infini). Ceci est d’autant plus dramatique que l’ingénieur à la française est plutôt généraliste, de plus en plus inapte à réagir face à des situations de R&D qui nécessitent aujourd’hui des compétences de spécialistes. Pour ma part je pense qu’il n’y a pas assez de formations d’ingénieurs orientées vers la R&D. La vieille dame (la CTI) y est pour beaucoup dans cette faillite des ingénieurs et de leurs écoles. Il faudrait aussi faire comprendre aux entreprises l’intérêt d’une mixité de provenance dans leurs effectifs. Un bon équilibre serait 50%-50% de docteurs et d’ingénieurs dans les services de R&D. Aujourd’hui on en est très loin puisque les ingénieurs sont largement majoritaires. Étant donné la mauvaise santé de la R&D française, c’est bien la preuve que les ingénieurs sont peu compétents pour l’assurer.