L’AERES est décidemment très taquine. Elle vient de publier une étude sur la formation universitaire française au métier d’ingénieur (lire ici). Extrait : « La France dispose de plusieurs filières dont la plus connue est celle que délivre le couple classes préparatoires / écoles d’ingénieurs accréditées par la CTI. Mais on ne peut cependant négliger la filière mise en oeuvre dans les universités menant à une licence puis à un diplôme de master dans le domaine de l’ingénierie ».

Le rapport compare plusieurs modèles (1) le modèle américain (2) le modèle français de formation intégrée qui est très peu développé (3) le modèle français des écoles d’ingénieur, marqué par la sélection sur concours. Ce dernier modèle, « souvent critiqué et pas toujours compris à l’étranger, a l’incontestable avantage d’attirer vers la formation d’ingénieur des étudiants d’excellent niveau, et plus particulièrement les « forts en maths ». On lui attribue également les vertus d’une formation par le stress dans les années de classe préparatoire. Il apparaît donc à ce titre particulièrement adapté à la formation de certaines catégories d’ingénieurs de haut niveau. Mais il ne couvre pas tous les besoins d’un marché en ingénieurs très multiforme ».

Le rapport focalise ensuite sur l’émergence d’un quatrième modèle s’inscrivant dans le système LMD. Il y aurait une initiation des sciences de l’ingénieur en licence et les deux années master seraient quant à elle beaucoup plus spécialisées. Le tout correspondrait à un cursus conçu et affiché sur les cinq ans. Ce modèle serait ouvert permettant une multiplicité de parcours originaux (formation polyvalente et complexe), ce que ne permettent pas actuellement les grandes écoles. Tous les détails sont donnés dans le rapport (version courte ici et version longue ici). En résumé, l’AERES propose donc la mise en place d’une formation universitaire en ingénierie, qui se traduirait par un label. Or ce label d’ingénieur, une seule instance est à ce jour habilitée à le délivrer : la CTI (commission des titres d’ingénieur), structure de cœur du lobby des grandes écoles.

Alors bien évidemment cette proposition ne rencontre pas beaucoup d’enthousiasme dans le monde des grandes écoles. Les réactions ne se sont pas fait attendre. En premier lieu, la CTI s’insurge dans un communiqué contre cette ingérence de l’AERES sur son pré carré (lire ici). Extraits : « La CTI constate qu’elle a été tenue à l’écart de la conception et de la rédaction de cette étude qui concerne son domaine de compétences, fixé par la loi. Depuis plusieurs années, la CTI a cherché à coordonner ses activités avec celles de l’AERES ; elle constate la difficulté de cette dernière à engager un dialogue serein sur leurs champs d’intervention réciproques ». «  La CTI n’est pas a priori opposée à l’émulation entre écoles et formations universitaires ». «  Si une nouvelle labellisation des formations à visée professionnelle dans les universités devait voir le jour, la CTI souhaite que cela se fasse dans la clarté et l’équité pour les formations – formations d’ingénieurs et nouveaux masters- et les instances qui les accréditent.  Cette situation conduirait à des exigences nouvelles pour les universités, notamment pour la cohérence de leur offre de formation, cohérence sur laquelle la CTI serait particulièrement attentive lors des campagnes d’habilitation ». La dernière phrase est lourde de sens, presque menaçante : la CTI mettra des battons dans les roues de l’émergence de formation universitaire d’ingénieur. Elle fait remarquer, à juste titre d’ailleurs, que les formations universitaires d’ingénieur sont déjà largement développées par les écoles polytechniques universitaires. Mais de bonne guerre (au diable l’objectivité !) elle omet de préciser que la proposition de l’AERES ne correspond pas au modèle actuel, ce dernier n’étant pas en phase avec le système LMD. Ce mauvais « timing » est d’ailleurs une des grosses difficultés des grandes écoles dans le schéma européen. Actuellement la plupart des écoles recrutent à bac+2 et dispensent une formation en 3 ans.

Cette petite guerre entre la CTI et l’AERES ne date pas d’hier. L’AERES est une instance nouvelle, chargée de l’évaluation des structures de recherche et de l’enseignement supérieur. On a cru à un moment que la CTI allait être dissoute dans l’AERES mais le lobby ingénieur a été plus fort. La CTI et l’AERES continue à faire leur travail chacun de leur coté …