
Discussion avec des collègues finlandais : « votre problème en France c’est que vous avez une classe politique distincte de la société, nous on est allé à l’école avec nos ministres et on les croise dans le tram, ils sont comme nous« . (Lu sur twitter)
On a souvent discuté ici de la formation des élites. Je pense qu’on pourra convenir que la très grande majorité des responsables politiques, des hauts fonctionnaires ou des chefs d’entreprises sont passés par des grandes écoles et classes prépas, et n’ont jamais fréquenté l’Université qui a, quant à elle, un public beaucoup plus populaire. Par ailleurs, on constate depuis très longtemps que l’origine sociale des étudiants des grandes écoles est très décalée vers des classes favorisées de la société, en dépit de nombreux efforts pour contrebalancer ce déséquilibre. Mais il s’avère évident que le combat contre l’inégalité de destin est difficile et piétine. On a donc effectivement une classe politique distincte et pas très représentative de la société.
Le problème est certainement multi-paramètre mais ici on va faire ressortir deux points qui me paraissent centraux et qui sont en lien avec l’enseignement supérieur (qui porte une très lourde responsabilité sur ce problème majeur) :
Le premier est notre appétence marquée pour le « concours » qui est censé être garant de l’égalité des chances. Le constat est que les inégalités sociales sont bien reproduites malgré tout. Certains disent qu’au contraire ces « concours » ne font qu’amplifier l’inégalité de destin (ces mauvaises langues sont certainement des ennemis de la méritocratie républicaine !). Les lauréats des concours sont placés dans des formations (souvent des grandes écoles) qui sont tenues à l’écart des autres formations où le public est plus populaire. Ici la question n’est pas d’œuvrer pour la suppression des grandes écoles, mais au minimum de réclamer leur intégration dans les universités, en créant un minimum de cursus commun avec un public socialement divers, et en essayant de favoriser le croisement dans le tram (pour reprendre la discussion avec les collègues finlandais).
A mon sens, un autre problème important est que ces diplômés qui sortent de ces formations d’excellence ont progressivement construit un monde technocratique qui forme une sorte de barrière infranchissable entre les responsables politiques et la société. Ils ont tellement complexifié l’administration qu’ils se sont rendus aujourd’hui indispensables (car personne ne comprend les règles à moins d’être immergé dans cette technocratie). L’homme politique est un peu comme un directeur de laboratoire universitaire. Ce dernier est tellement submergé de complexités administratives qu’il n’a plus vraiment de temps à consacrer à la politique de recherche ou à porter un peu d’attention aux équipes du labo (qui sont, elles aussi, très sollicitées par des objets administratifs complexes et souvent incompréhensibles). Sur ce sujet, je pense qu’à l’université on est très proche de faire craquer tout le monde.
5 commentaires
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14 avril 2022 à 09:07
Emiliebouv
Finalement, cela ne reflète t-il pas tout simplement la société capitaliste ? Quand on s’intéresse à l’histoire de la Finlande, on comprend que leur système d’éducation et d’enseignement sont intimement liés à l’histoire politique du pays et aux valeurs. Peut-être ont-ils compris qu' »une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine » pour ainsi dire. Le pays semble miser sur l’individu et son accomplissement en tant qu’humain plutôt que sur la mise en concurrence des individus.
On ne peut décemment pas comparer nos deux systèmes car ce sont bien deux systèmes différents.
Peut-être qu’un binôme au lieu d’un seul individu à la tête du politique voire d’une direction de laboratoire ou d’université, ne serait pas si stupide ? Vulgairement un » administratif » et un « pensant ».
14 avril 2022 à 13:49
Rachel
@Emiliebouv, ce qui étonne aussi un peu la presse étrangère, c’est l’importante des votes considérés comme « extrêmes » (35 % à droite, 25 % à gauche).
Pour la présidence des Universités, à propos du binôme « pensant/administratif », c’est un peu ça qui est en place. Il y a un président (élu local) et un directeur général des services (nommé par le ministère).
17 avril 2022 à 21:40
Dan-visseur pas rentable
Le binôme administratif/sachant est un des plus beaux dilemmes de la république.Il a été mis en place dans les hôpitaux. Cris d’orfraie. Quand il n’est pas en vigueur, ça râle : pourquoi utiliser des compétences techniques à faire de la gestion ? Quand il est en vigueur, ça râle : ces administratifs n’y connaissent rien, et ne pensent qu’à la rentabilité (rentabilité = le mot de gôche pour « limitation du gaspillage » dans les administrations. Personne n’a jamais demandé à une administration ou un service public d’être « rentable » sauf les ventes des domaines,et quelques services marginaux)
18 avril 2022 à 09:47
emiliebouv
La dualité « Universités » et « grandes écoles », c’est ce que Pierre Bourdieu appelait « La noblesse d’État » si mes souvenirs de sociologie sont intactes. En Espagne, cela semble un peu différent car les étudiants semblent obliger de passer par l’université pour passer un concours qui leur vaut plusieurs années de labeur et de coaching. Je ne sais pas si cela ferait pour autant des femmes et des hommes politiques plus incarnés dans la vraie vie 🤔
20 avril 2022 à 14:10
Dan- visseur professionnel
La dualité « Universités » et « grandes écoles », c’est ce que Pierre Bourdieu appelait « La noblesse d’État » . Oui, c’est ce que dit Pierre Bourdieu. Mais pourquoi Pierre Bourdieu, peu attiré par les sciences exactes, serait-il détenteur d’une vérité éternelle ? ou même temporaire ? Son opinion est simplement…son opinion.
je préfère confier le calcul d’un pont a quelqu’un de sélectionné pour ses capacités techniques qu’à une personne recrutée sur critères d’égalité sociale. je préfère confier ma voiture à un mécanicien compétent qu’à un chômeur socialement méritant et défavorisé, mais incompétent.
Le terme « grandes écoles » donne des boutons ? Appelons les « écoles de compétences » ou « écoles professionnelles ». Cela ne me gênera pas. Et arrêtons de confondre dans un grand fourre-tout des écoles aussi différentes que les écoles d’ingénieurs, les écoles de commerce, les écoles de communication, les écoles d’art.