
Notre système ESR est devenu trop complexe. Il superpose des structures héritées de la période napoléonienne ou des trente glorieuses. Les temps ont bien changé avec la massification ou l’apparition d’internet. Dans ce troisième volet, qui ne va pas plaire à tout le monde, nous présentons nos propositions pour refonder notre système ESR afin de le rendre plus simple, cohérent et efficace. La ligne directrice est de remettre l’Université au centre du système de l’enseignement supérieur et de la recherche.
22) L’Université est un phare dont la refondation sera un « grand travail » de l’État
L’université est le lieu privilégié de création, de transmission et d’articulation des savoirs. Elle contribue ainsi massivement au développement des activités humaines et se doit d’apporter des éléments d’accompagnement aux évolutions de notre société. De part des formations scientifiques rigoureuses, elle doit également permettre de lutter contre les vagues de populisme, de complotisme et autres dérives sectaires ou de radicalisation qui mettent en danger nos sociétés. Dans chaque territoire, l’Université est un phare qui éclaire toutes les parcelles et chaque citoyen.
La France semble actuellement un pays sans vision et sans projet. A l’instar des grands travaux d’État de l’après seconde guerre mondiale il sera décidé que l’Université sera l’un des grands travaux. Nous hisserons l’enseignement supérieur et la recherche au même niveau de rayonnement que la culture, le tourisme, le luxe, le vin et le fromage.
23) Investissement massif dans les universités
Pour parvenir à cette ambition, l’Université bénéficiera d’un investissement massif. Il concernera des recrutements, des constructions et rénovations de l’immobilier, du matériel scientifique de pointe pour les laboratoires, des crédits pour pourvoir les frais de fonctionnement et des crédits pour accompagner les étudiants qui en ont besoin.
24) Une université socialement responsable et fière de ses valeurs fondamentales
L’université sera exemplaire dans ses pratiques professionnelles et luttera au quotidien contre toute forme de dérive (stress, burnout, non-respect de la parité, harcèlement sexuel ou moral, précarité …). Elle portera fièrement les valeurs fondamentales qui sont intrinsèques à ses activités de formation et de recherche : exigence, indépendance, humanisme, promotion de la pensée critique, principes de tolérance et d’objectivité, ouverture sur la société, …).
25) Université décentralisée
Une Université est composée de plusieurs composantes (facultés, écoles, instituts, départements, bibliothèques …). Actuellement, la loi impose des compétences décisionnelles trop centralisées. En effet, la moindre micro-affaire doit souvent remonter un parcours complexe de commissions avant d’arriver au conseil d’administration. Cela engendre de multiples doublons (parfois des triplons ou même pire) d’examen de dossiers. Nous décentraliserons l’Université en donnant plus d’autonomie aux composantes en appliquant partout où c’est possible le principe de subsidiarité. La présidence d’une Université pourra alors concentrer ses efforts sur les questions macroscopiques. Cela aura également pour avantage des gains de temps, une réduction de la bureaucratie et cela permettra de redéployer nombre de personnels administratifs vers des fonctions supports aux structures opérationnelles (dans les départements de formation et laboratoires de recherche) et de stopper la progression inquiétante de la loi de Parkinson qui ronge l’administration de nos Universités.
26) Mettre fin à la double dualité de notre système ESR
Pour rendre notre organisation ESR plus efficace, il est nécessaire de la simplifier et donc de revenir sur les héritages du lointain passé. En particulier, il faut gommer la coupure entre enseignement supérieur et la recherche. Il faut également décloisonner les universités et les grandes écoles. Cette réunification sera doublement bénéfique car elle permettra une économie de moyens qui seront redéployé sur les opérateurs du quotidien (de formation et recherche), la création d’un vrai continuum formation et recherche et une complémentarité améliorée de la recherche appliquée et fondamentale.
27) Suppression des EPST
Au 21e siècle, à l’heure où la science diffuse à la vitesse des photons dans une fibre optique, il n’est plus raisonnable d’affirmer qu’il existe une recherche nationale. Les sujets de recherche en France sont les mêmes que ceux partout ailleurs. Les organismes nationaux de recherche de type EPST seront donc supprimés. Les personnels seront redéployés dans les laboratoires des Universités (un grand nombre travaillent déjà dans des laboratoires universitaires, cela ne changera rien pour eux). Ils ne perdront pas leur statut de chercheur s’ils souhaitent le conserver. Ils pourront néanmoins participer à la formation des étudiants (comme c’est déjà souvent le cas). Les personnels de type ITA seront intégrés dans les services des Universités, dans ou au plus près des laboratoires.
28) Intégration des grandes écoles dans les Universités
Les grandes écoles seront intégrées dans les Universités. Elles deviendront des composantes. Elles garderont leur identité car elles pourront faire l’affichage « grande école machin-truc de l’Université de Saint-Albin ». Elles garderont une forte autonomie vis-à-vis de l’Université mère, garantie par les dispositions qui seront mises en place pour réaliser le point 25. La tutelle ministérielle de ces écoles deviendra le MESR étant donné que ces écoles ont une mission d’enseignement supérieur.
29) Suppression du CNU
Le CNU sera supprimé car il perd tout son sens dans le cadre de notre programme. En effet, l’ensemble des affaires relatives à la carrière des universitaires sera géré par les établissements. Pour prendre le relai, un CUF sera recréé dans le cadre du CUUF (voir point 31) et ses missions seront profondément rénovées.
30) Suppression de la CPU (France Universités)
France Université (ancienne CPU) est supprimée et elle sera remplacée par la CPU (voir point 31).
31) Création du CUUF
Pour permettre une bonne articulation de l’ensemble des mesures précédentes (incluant aussi celles des volets 1 et 2), nous créerons un Conseil des Universitaires et des Universités de France (le CUUF). Le CUUF sera composé de commissions dont le rôle est succinctement décrit ci-dessous :
- La CPU (commission des présidents d’université). Cette commission travaille, en relation avec la CUF, pour porter la voix et les valeurs des universités dans le débat public. Son premier travail consistera à améliorer son « soft power » jugé actuellement trop médiocre.
- La CUF (commission des universitaires de France). Cette commission est constituée par 2/3 de membres élus et 1/3 de membres nommés. Elle a deux rôles essentiels : (1) la nomination de membres externes dans les diverses commissions des établissements relatives à la carrière des personnels (recrutements, promotions, primes, jurys de thèse et de HDR, …). (2) observatoire des disciplines universitaires et des pratiques universitaires. Elle pourra s’organiser en sous-commissions en évitant bien évidemment l’organisation en silos du CNU actuel.
- La CNIS (commission nationale d’instrumentations scientifiques) aura la charge d’organiser la mise en commun d’instruments qu’une université ne peut pas se permettre de financer individuellement et qui sont donc d’intérêt collectif à grande échelle. Ici le terme « instruments scientifiques » doit être pris au sens large, incluant de l’instrumentation immatérielle comme par exemple des bases de données. La CNIS aura aussi pour mission la coordination de l’instrumentation à l’échelle européenne (ex: grands instruments de type synchrotron).
Pour lire les deux volets précédents:
12 commentaires
Comments feed for this article
17 février 2022 à 19:13
Fubar
Vos grandes écoles intégrées aux universités ce serait comme qui dirait des graduate schools, un peu? Et vous faites quoi des prépas?
En tout cas, je suis pas loin de voter Rachel.
17 février 2022 à 20:00
Rachel
@Fubar, non ce sont des formations avec un cycle qui couvre 3 ans (bac+3 à bac+5). Je ne prévois pas de changer ça. Donc ce ne sont pas des graduate schools. Mais on verra avec le temps s’il faut faire évoluer …
Pour les CPGE, on a réglé ça dans le volet 1. Les CPGE sont intégrées dans les universités ainsi que leurs enseignants.
Je vais faire un court volet sur l’HDR et étant donné que vous être une grande spécialiste de la question, j’aimerais avoir votre avis : on en fait quoi ?
17 février 2022 à 21:05
Fubar
Hahahaha! Ben l’HDR si on veut la garder il faut qu’elle ait un sens. Si on veut vérifier que l’impétrant est capable de diriger une thèse, inutile de lui en faire refaire une. En revanche il faut obligatoirement avoir co-dirigé une thèse avec un professeur pour pouvoir prétendre à l’HDR. Après on peut (et ça ne me chose pas du tout) dire qu’il faut forcément une monographie dans le CV, mais par pitié qu’on arrête avec le cirque de « inédit SURTOUT PAS PUBLIÉ » ici, « livre publié » là bas, ou encore « inédit avec contrat d’éditeur » et même « inédit sans contrat ». Une monographie et puis c’est tout. Pas un volume dirigé. Et basta. Quant au blurb de synthèse, il y a des gens qui trouvent ça bien « ça m’a fait réfléchir à ma recherche »… ben mec si t’attend ça pour réfléchir à ta recherche, on est pas rendu!
Voilà. Fubar a parlé.
17 février 2022 à 21:07
Fubar
Bon après si vous voulez la supprimer je viendrai pas chialer non plus (en revanche, je pense qu’il est honnête et normal de demander que le CV contienne une monographie autre que l’éventuelle thèse publiée), mais je ne parle que pour ma paroisse molle, bien sûr.
17 février 2022 à 21:09
Fubar
Et voilà j’ai encore oublié de fermer ma parenthèse….
17 février 2022 à 22:28
Rachel
@Fubar, merci. Chez moi on est très « blurb de synthèse ». Finalement je ne sais pas si je vais faire un volet HDR dans mon programme, je crains que ce soit un peu trop normatif. Je vais d’abord m’occuper des doctorants, on verra après si j’ai le temps.
18 février 2022 à 09:41
Cédric
L’HDR peut disparaître … Elle n’a aucun intérêt, empêche de jeunes MCF de diriger des thèses. C’est quand même fou de se dire qu’on passe un concours où on nous a jugé apte à faire de la recherche (et de l’enseignement) et ensuite devoir encore faire ses preuves. C’est un peu la schizophrénie de l’ESR: on veut la liberté académique mais on veut pleins de règles et garde-fous pour nous …
Je connais votre point de vue sur le CNU mais je pense qu’il est nécessaire de garder un cadre national, notamment pour les promos. Sur la qualif, cela peut éviter des jurys de complaisance (et ça existe).
18 février 2022 à 09:54
Daniel
Il me semble que sont absentes du paysage ainsi dessiné les grandes infrastructures de recherche : les synchrotrons, les télescopes, les grands calculateurs, les centres de données, les réseaux de capteurs sur terre et sur mer ont besoin d’être organisés et soutenus à une échelle nationale (elle-même souvent engagée dans des accords multinationaux).
18 février 2022 à 11:47
Rachel
@Cédric, il y a une différence entre faire de la recherche et diriger des recherches. Pour le CNU, il n’est pas réellement supprimé, il est rénové et le regard national est présent à toutes les étapes de la carrière (ce qui n’est pas le cas actuellement). Dans le modèle actuel, la qualif n’a jamais empêché un « jury de complaisance ».
@Daniel, je pensais que c’était le point 31 avec la CNIS qui a justement comme rôle la coordination en grands instruments à l’échelle nationale et supranationale.
18 février 2022 à 14:29
Albert Deboivin
@Cédric: je ne souhaite à personne d’être le premier thésard d’un jeune MCF fraîchement recruté…
@All: Personnellement, j’ai passé une HDR très tôt puisqu’en maths il y a ce qu’on appelle la prime à la jeunesse et c’est considéré plutôt comme une deuxième thèse. En revanche, j’ai attendu une dizaine d’années pour diriger réellement des thèses. Je ne me sentais pas prêt avant. Donc, je ne le faisais pas. Aujourd’hui j’ai une petite armée de thésards. Le directeur de l’école doctorale m’a déjà fait remarquer que c’était scandaleux selon lui.
J’ai une petite pensée aussi aux HDRs qui sont soutenues dans les organismes para-publics comme le CEA. Là, on parle exclusivement des documents de synthèse car ils n’ont pas le temps de rédiger quelque chose de plus substantiel. En revanche, quand ils décident de passer l’HDR, cela se passe généralement après avoir déjà (co-)encadré une petite dizaine de thèses.
24 février 2022 à 10:22
Cédric
@Rachel et @Albert: cela dépend ce qu’on appelle jeune recruté. Je pense qu’il n’est pas sérieux d’avoir un doctorant dans les 2/3 premières années de recrutement. J’ai eu mon premier doctorant 4 ans après mon recrutement et j’étais prêt. La thèse s’est super bien passée. Lorsqu’on fait de la recherche, très souvent on dirige de la recherche via des projets.
24 février 2022 à 10:29
Albert Deboivin
@Cédric, vous tombez dans le piège du biais des survivants. Je ne nie pas que cela peut bien se passer dans des cas particuliers. La plupart des règles que nous avons servent précisément à éviter l’incorrigible. Enfin, 4 ans après le recrutement, vous n’êtes plus tellement un jeune MCF que j’avais en tête dans mon commentaire.