
Sur un réseau social, une universitaire (statut MCF) raconte un petit morceau de sa vie : « Un responsable de revue en qui j’avais confiance me propose d’écrire un article – d’ailleurs sans pige mais en sciences humaines nous travaillons souvent gratuitement – … ». Je me dis que c’est quand même un comble que l’État ne s’acquitte pas du salaire qu’il doit à ses fonctionnaires des sciences humaines et qu’ils soient obligés de travailler gratuitement. Dans ces conditions je comprends un peu mieux pourquoi ils sont parfois si vindicatifs envers le gouvernement dans leurs tribunes dans Le Monde. Chez nous, en « sciences dures », on ne reçoit pas non plus de piges quand on écrit dans une revue, mais au moins notre salaire est payé à la fin du mois, sans manquement. Ça ne nous viendrait pas à l’idée de demander des piges, ne serait-ce pas être payés deux fois ?
Chez nous, en « science dure », on avait l’habitude de publier nos travaux gratuitement. Là encore, la notion de gratuité était toute relative car les éditeurs étaient payés par les abonnements, donc par l’institution des chercheurs (qui sont les lecteurs en plus d’être les auteurs). Mais la science ouverte et son Open Access est passée par là pour lever toute ambiguïté : aujourd’hui il faut payer pour être publié et il semble qu’il y a toujours des abonnements. La gratuité est toute relative … pour ma part j’ai du mal à comprendre pourquoi je dois payer pour publier ma daube étant donné que personne ne me lit. Je milite pour un payement différé et proportionnel au taux de citations.
L’argent c’est important et d’ailleurs notre président le comprend mieux que quiconque. Récemment il a déclaré « “nous ne pourrons pas durablement rester dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants” (discours à l’occasion du 50e anniversaire de la CPU – aujourd’hui devenue « France Universités » – le 13 janvier 2022). Beaucoup en ont déduit que le président-bientôt-candidat allait inscrire dans son programme la fin de la gratuité de l’enseignement supérieur. Les réactions ont été multiples pour défendre des études gratuites. Mais peut-on vraiment parler de gratuité ? Je n’ai pas l’impression que les profs à l’Université sont des sortes de moines bouddhistes qui ne vivent que de savoirs et d’eau fraîche, si ? Alors qui sont ces gens qui payent, quels sont leurs réseaux ? Et puis la gratuité des études est toute relative, si j’en crois une réaction d’une étudiante que je tente de résumer de mémoire en adoucissant un peu son propos « c’est gratuit mon cul et c’est qui qui paye sa piaule minuscule pleine de cafards, la bouffe, le pc qui rame, le wifi pour suivre sur zoom, le transport pour aller dans dans les amphis pourris – tu crois que je peux m’en sortir avec ma bourse de merde ? ».
Vraiment, on devrait apprendre à raisonner en coûts complets …
3 commentaires
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22 janvier 2022 à 18:27
Dan-visseur complet...
Quatre sujets au moins dans le même billet :
1. Que veut dire « travailler gratuitement » quand on est fonctionnaire ? Je me souviens de quelques billets de Gaïa sur les « ménages » que faisaient des universitaire dans des colloques. Mais c’était sans doute dans un autre temps.
2 faire payer un peu, moyennement, beaucoup les études par tous, quelques-uns, presque personne, la collectivité.
3. Raisonner en coût complet
4. l’État doit-il prendre en charge la totalité du coût des études, y compris la vie étudiante ? S’agit-il d’un contrat : quelles obligations a l’étudiant en échange de l’enseignement qu’il reçoit ? Au nom de quoi l’État financerait il des études supérieures pour des gens manifestement incapables de les suivre ?
Chaque sujet mérite un approfondissement et un débat. Je me contente du
troisième sujet, le coût complet. De quel coût complet s’agit-il ?
1. Du coût complet d’un étudiant pendant une année = coût de scolarité
2. du coût complet de la formation d’un diplômé compétent= coût de production de compétences
On imagine aisément que les chiffres sont très différents .Voici quelques hypothèses :: dans le premier cas,(Coût de scolarité) on va intégrer la masse salariale chargée du personnel enseignant et du personnel administratif de l’entité, quel que soit son statut, y compris les cotisations allégées pour la retraite des fonctionnaires + les coûts de fonctionnement de l’entité considérée + l’amortissement des équipements + le coût de location du mètre carré environné+ une quote-part du coût complet de la direction et de l’administration de l’université, du rectorat et du coût complet du ministère. On divise par le nombre d’étudiants de l’entité de l’année et on obtient un coût complet apparent. J’imagine que la discussion sur l’évaluation de cette quote-part peut être animée.
Dans le second cas,(Coût de production de compétences reconnues par un diplôme) on va s’intéresser à une cohorte d’étudiants de première année, et au coût d’un étudiant accédant au diplôme. Cela suppose de prendre en compte le taux de réussite chaque année, et le nombre d’étudiants pour un Master 2 qui accèdent au diplôme en cinq ans, par exemple, en six ans, en sept ans. Le coût complet de chacun d’entre eux est différent puisqu’il faut diviser la somme des coûts complets de chaque année par le nombre réel d’étudiants de l’année en question puis additionner ces coûts.
Raisonnablement, on peut supposer que le coût complet d’un diplômé est très supérieur à cinq fois le coût complet d’un élève de première année. Évidemment, cela dépend aussi fortement de la discipline : les coûts de fonctionnement, de consommables, et d’amortissement du matériel de travaux pratiques sont sans doute plus élevés en sciences physiques, chimiques, sciences de la vie qu’en littérature du Botswana ou sociologie des Parthes.
Je ne sais pas si ces calculs ont été faits pour un établissement universitaire. Cela serait sûrement intéressant pour les débats sur la dépense que représente l’investissement collectif dans la formation d’un étudiant. Quelqu’un a-t-il fait ses calculs pour une université donnée , pour une discipline donnée.
En tous les cas, diviser le montant du budget de l’enseignement supérieur par le nombre d’étudiants ne me semble pas une approche rationnelle, car cela ne prend pas en compte tous les coûts (en particulier les coûts immobiliers) ni l’élément essentiel que représente le taux de réussite dans chaque université et dans chaque discipline.
22 janvier 2022 à 19:16
Rachel
@Dan, vous devriez regarder ce document que je mets en lien, il y a pas mal d’informations et il me semble que la méthodologie est expliquée.
Cliquer pour accéder à cae-focus074.pdf
24 janvier 2022 à 01:21
Dan-visseur gaussien
Effectivement, cette étude est très intéressante et commence à aborder la réalité du coût complet, sans toutefois aller jusqu’au bout.
Une première limite est que « nous ne disposons que des coûts des établissements et n’incluons pas les dépenses d’organisation du système éducatif ». . Il ne m’a pas semblé que l’amortissement des locaux ou leur location étaient pris en compte. Les critères de comparaison internationale prennent-ils en compte les mêmes critères ?
Je suis tout à fait d’accord sur le constat : »la spécialité entre en ligne de compte dans l’analyse des différences de coût. On observe un coût moindre des sciences humaines et sociales (normes et institutions, sciences des sociétés – géographie, anthropologie, comportements sociaux‐ économie, lettres, arts, langues et cultures…) relativement aux sciences dites dures. Les filières de droit et sciences politiques (normes et institutions) coûtent plus de deux fois moins que les filières scientifiques (sciences du vivant et physiques). Enfin, on est dans un rapport du simple au triple si l’on considère les filières maths et ingénierie. »
Cela me semble confirmer la nécessité de distinguer dans les universités ce qui est sciences dures et ce qui est sciences molles, et d’avoir des statuts différents.
« In fine, c’est majoritairement le type de diplôme et la spécialité qui expliquent les différences de coût, davantage que l’établissement dans lequel la formation est délivrée » . Deux variables viennent cependant compléter utilement l’analyse du point de vue de la formation : le nombre d’heures par étudiant et le taux d’encadrement de la formation (nombre d’enseignants par étudiant) »
C’est effectivement une variable clé, et il est dommage qu’elle ne soit pas plus explicite dans l’analyse du coût des CPGE, où le nombre d’heures de cours en groupe de 40 ou moins est de l’ordre de 40 heures par semaine auxquelles il faut rajouter de 20 à 30 heures de travail individuel. Une analyse du coût horaire du travail de l’étudiant compléterait utilement l’analyse globale.
Le deuxième point clé est le suivant :« Nous faisons l’hypothèse de l’absence de redoublement, d’un cursus linéaire de trois ans de licence et deux ans de master pour les formations universitaires, et d’un cursus de deux ans de CPGE avant trois ans en école d’ingénieur pour le diplôme d’ingénieur. » Cette hypothèse n’a évidemment pas grand sens, puisqu’elle n’a rien à voir avec la réalité. D’où ma proposition de calculer le coût complet d’un diplômé au lieu de calculer le coût complet d’un étudiant, en intégrant donc dans le calcul le coût des étudiants qui ont quitté et qui ont quand même reçu une formation pendant 1,2ou 3 ans, et le coût des redoublements.
C’est d’ailleurs ce que confirme l’étude, mais malheureusement elle ne prend pas en compte le nombre d’heures de travail réelles annuelles de l’étudiant. : « On note également une relation positive entre le coût d’une année de formation et le taux de réussite (graphique 15), suggérant que les formations qui ont les investissements les plus élevés, et en particulier des taux d’encadrement élevés, sont efficaces pour amener une part importante des étudiants jusqu’au diplôme » . Cette interprétation me paraît partielle, dans la mesure où elle ne tient pas compte du travail de l’étudiant et de la sélection à l’entrée.
Le succès des CPGE et des écoles d’ingénieurs, comme des DUT, me semble tenir à trois facteurs : la sélection à l’entrée, qui garantit pratiquement le diplôme à la sortie, ensuite le nombre d’heures de travail personnel et en groupe des étudiants (travail en petits groupes de 2 ou 3 très important dans les bonnes prépas avec partage des acquis et de la motivation), et enfin le taux d’encadrement – et souvent la motivation et la pédagogie des enseignants – qui permettent ce travail personnel.Il me semble qu’un prof de CPGE, délivré de la fiction ou du fardeau, ou de l’obsession de la recherche, peut s’investir davantage dans les formations des « juste bacheliers ». Cela se mesure au nombre de « colles », de DST, d’exercices en cours, (cf. billet de Rachel sur les corrections )…Mais il y a sans doute la même courbe de gauss pour les motivations et le sérieux des profs de CPGE que pour les universitaires – sauf sélection pertinente ?