
Je viens d’écouter une émission sur France Culture qui s’intitule « La liberté académique est-elle en danger ? ». Elle avait été diffusée le 22 décembre et on peut l’écouter ici. L’invité était Olivier Beaud, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre dont le titre est « Le savoir en danger » (PUF, 2021). L’émission était intéressante mais j’avoue avoir eu du mal à comprendre Olivier Beaud mais peut-être que je devrais lire son livre (ce que je n’ai pas fait, ou pas encore). Voici un peu en vrac quelques réflexions qui me sont venues à l’écoute de l’entretien, en particulier sur la définition de cette liberté académique et des personnes à qui elle peut s’appliquer.
Au début de l’entretien, Olivier Beaud nous explique qu’en France on ne connait pas ou mal le concept de la liberté académique. J’ai cherché un peu pour voir si je pouvais trouver des définitions un peu officielles de cette liberté académique mais je n’ai pas trouvé. Donc effectivement, la liberté académique est bien un concept, c’est-à-dire une chose un peu abstraite et dont la définition ou le champ d’application est certainement très variable selon les individus qui s’hasarderaient à la définir.
Quand on fait une recherche sur wikipédia en tapant « liberté académique », la définition qu’on trouve est « La liberté académique ou liberté universitaire est la liberté que le personnel universitaire doit avoir en matière de recherche scientifique, d’enseignement et d’expression dans le cadre de leur fonction, sans subir de pressions économiques, politiques ou autres » (source ici). Je trouve cette définition pas si mal. Mais est-ce la bonne, celle reconnue par les institutions ou par les universitaires ? Olivier Beaud nous explique que cette liberté académique se compose de trois volets : la liberté de recherche, la liberté d’enseignement et enfin la liberté d’expression. Cela me parait assez proche de la définition donnée par wikipédia.
La même page wikipédia cite trois articles du code de l’éducation dans lesquelles la « liberté académique » n’est pas explicitement mentionnée mais on doit être assez proche du concept. Olivier Beaud n’en a pas parlé du tout durant l’entretien (peut-être qu’il le fait dans son livre). Ces trois articles sont les suivants :
- « À l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle. » Article L123-9 du Code de l’éducation
- « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » Article L141-6 du Code de l’éducation
- « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. » Article L952-2 du Code de l’éducation
Venons en maintenant au champ d’application de cette liberté académique. D’après Olivier Beaud, elle est réservée aux professeurs et aux étudiants. Par « professeurs », je pense qu’Olivier Beaud veut parler des enseignants chercheurs car il y a deux corps différents : les maîtres de conférences et les professeurs. Elle ne s’appliquerait donc pas aux chercheurs des organismes de recherche ni aux enseignants qui œuvrent dans les Universités (par exemple les PRAG – professeur agrégé). Durant l’entretien, deux faits d’actualité ont été discutés et semblent illustrer une vision un peu exclusive des personnes à qui s’applique la liberté académique.
Le premier est le fameux « bilan » demandée par Madame Vidal au CNRS pour y voir clair entre « ce qui relève de la recherche et du militantisme ». On ne va pas commenter ici le bien fondé de cette demande mais examiner plutôt ce qu’en a dit Olivier Beaud. Selon lui, la ministre « invente cette solution du CNRS qui n’a pas de sens puisque le CNRS ce ne sont pas des universitaires donc tout ça n’est pas sérieux ». Pourtant, les chercheurs des organismes de recherche font de la recherche et doivent être en capacité de donner un avis sur « ce qui relève de la recherche ». Par ailleurs, pour la grande majorité, ils effectuent leur recherche à l’Université (la différence c’est que l’employeur n’est pas l’Université). Ils sont aussi des acteurs de la vie académique : ils ont le droit de vote (et éligibles) aux différents conseils de l’Université. Ils sont aussi sollicités pour être membre des commissions de recrutement ou autres commissions. Par ailleurs, ils font souvent impliqués dans l’enseignement. Je ne comprends donc pas bien pourquoi Olivier Beaud considère que la liberté académique ne s’applique pas pour cette catégorie.
Le second fait d’actualité concerne l’affaire de l’IEP de Grenoble et de la suspension temporaire de Klaus Kinzler (PRAG dans l’établissement). Sur ce sujet, Olivier Beaud a dit : « D’abord Monsieur Kinzler n’est pas un professeur, c’est un PRAG, lui ne jouit pas de la liberté académique ». Je trouve que ce jugement est un peu dérangeant.
Tout cela donne l’impression qu’Olivier Beaud considère que toutes ces personnes, qui travaillent au quotidien dans un même établissement, ne sont pas égales devant cette liberté académique. Y aurait-il une forme d’échelle de valeur, un peu comme une caste dans laquelle certains personnels qui œuvrent au sein de l’Université, selon leur statut, auraient des privilèges ou protections alors que d’autres en sont dépourvues ?
Pour résumer, les enseignants chercheurs jouissent de la liberté académique car ils font de la recherche et de l’enseignement. En revanche les chercheurs n’en jouissent pas et donc n’auraient pas de garantie de liberté de conduire leur recherche sans entrave. De leur côté, les enseignants n’en jouissent pas non plus, bien qu’ils fassent de l’enseignement mais sans garantie de pouvoir le faire avec la même liberté accordée aux EC. Enfin, les étudiants bénéficient des libertés académiques alors qu’ils ne font ni recherche ni enseignement. J’avoue avoir un peu de mal à m’y retrouver …
5 commentaires
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31 décembre 2021 à 10:39
Marcel P
Les articles que vous citez sont parfaitement clairs, puisqu’ils évoquent explicitement la distinction entre enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs pour bien affirmer que la liberté académique s’appliquent à tous.
Disons le franchement, Olivier Béaud s’égare lorsqu’il prétend que Klaus Kinzler ne bénéficierait pas de cette liberté académique.
4 janvier 2022 à 23:13
Rachel
@Marcel P, j’ai l’impression qu’O. Beaud considère que la liberté académique est indivisible, c’est-à-dire que pour en bénéficier, il faut être à la fois enseignant ET chercheur.
6 janvier 2022 à 12:06
Rachel
Olivier Beaud a écrit une tribune dans Le Monde au sujet de l’affaire KK, titrée « La liberté académique n’est nullement en cause dans l’affaire de l’IEP de Grenoble », le 4 janvier
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/04/la-liberte-academique-n-est-nullement-en-cause-dans-l-affaire-de-l-iep-de-grenoble_6108102_3232.html
(réservée aux abonnés)
10 janvier 2022 à 14:43
Marcel P
Je ne peux malheureusement pas lire l’article au delà du titre « Un cas mal choisi », n’étant pas abonné au Monde.
Le passage suivant éclaire le fait qu’Olivier Béaud semble se focaliser sur une conception très juridique de lettre plutôt que d’esprit. Il affirme que « M. Kinzler n’a pas cessé de clamer qu’il entendait agir seulement en tant que « citoyen » pour dénoncer la situation à l’IEP de Grenoble, qui serait caractérisée par l’emprise préoccupante des esprits « islamogauchistes ». Il a donc usé d’une liberté d’expression relevant de la liberté « extra-académique » en ce qu’elle concerne une opinion individuelle aucunement fondée sur un savoir académique. »
Il utilise contre Kinzler sa défense, d’avoir agi en tant que citoyen. Pour autant, son propos était-il détachable de sa fonction ?
Dès lors que leur objet sujet, la situation à l’IEP telle que dénoncée est clairement à propos des « moyens d’exercer [l’]activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle », la parole d’un enseignant ou d’un chercheur me semble difficilement réductible à celle d’un citoyen.
J’ai vaguement l’impression que des non-dits et des aspects peut-être très personnels viennent polluer le sujet.
10 janvier 2022 à 17:08
Rachel
@Marcel P, dans ses multiples interventions récentes, Olivier Beaud insiste beaucoup sur le fait que la liberté académique n’a pas de définition juridique. A partir de là, on est certainement sur les interprétations pour lesquels l’appréciation personnelle prend plus de poids.
Pour être plus large que le cas KK, en fait je ne comprends pas bien pourquoi Olivier Beaud ne parle pas plus (ne parle pas du tout ?) de la loi Savary et de sa codification dans le code de l’éducation. Est-ce que la phrase suivante ne pourrait pas définir la liberté académique juridiquement ? « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »
Peut-être que je ne comprends pas ce qu’est une définition juridique ?