
Hier la journée a été compliquée mais c’est notre faute car on a voulu faire de l’innovation, disons qu’on aimerait adapter un peu une machine incluse dans un système expérimental, ce qui lui donnerait une configuration originale, moyennant un peu de main d’œuvre d’un ingénieur d’étude et l’achat d’une pièce de quelques dizaines d’euros. Mais avoir des idées c’est bien, mais les concrétiser est compliqué à l’université.
L’ingénieur d’étude connait une boite qui a la pièce en question dans son catalogue (disons un truc qui peut faire l’affaire, moyennant une adaptation maison). Il fait donc une demande d’achat à la gestionnaire du labo en joignant un devis. Elle lui répond qu’il faut non pas un seul devis mais trois devis, tu sais c’est à cause des marchés et des remises en compétition de fournisseur pour faire jouer la concurrence. « Même pour un achat de quelques dizaines d’euros » ? « Oui et ça serait pareil pour un centime d’euro ! » Donc l’IE recherche d’autres fournisseurs, ce qui n’est pas une chose simple car la pièce en question n’est vraiment à grande diffusion. Comme il ne trouve pas, on tente de l’aider un peu, sans grand succès. La gestionnaire suggère alors qu’on demande au fournisseur un certificat d’exclusivité. Le fournisseur ne répond pas, certainement qu’il n’a pas envie de perdre du temps avec une éventuelle commande de quelques dizaines d’euros (ou bien la pièce n’est pas exclusive du tout ?). On finit par trouver un second fournisseur et la gestionnaire nous dit « bon ça devrait aller » (donc 3 devis, on peut s’en passer ?). La dernière étape est celle du code nacre, ça prend du temps de chercher son code dans les 36159 lignes du fichier Excel. Ensuite ça s’enclenche avec le service gestionnaire du contrat au niveau de l’établissement, sans compter qu’à un moment il faudra aussi l’aval du responsable financier de l’Université.
Faisons un petit bilan comptable de type « coûts complets » de l’opération :
- L’achat est de 30 €,
- Ensuite il faut compter le temps passé pour l’opération du coté des demandeurs (les chercheurs) : j’estime que ça a mobilisé un IE pendant une demi-journée + des collègues plus ponctuellement. Je compte donc une journée entière (sans exagérer) = 120 €,
- Enfin il y a le temps passé par des gestionnaires. Là c’est plus difficile à estimer car ce n’est pas mon métier mais je vais me baser sur un calcul fait il y a quelques années qui disait que le coût d’un acte administratif lié à un achat est de 70 € (quelque soit le montant de l’achat).
On veut donc commander une petite pièce de 30 € mais au final, celle-ci coute en réalité 220 €, soit ici proche de 10 fois le prix de l’achat.
Je peux comprendre qu’il y ait diverses étapes de contrôles (ici trois niveaux : deux gestionnaires et le responsable financier), l’argent public se doit d’être dépensé dans les règles (mise en concurrence, recherche du meilleur prix, …). Le contribuable peut être rassuré. Mais le contribuable doit aussi comprendre que l’essentiel de son argent est consommé pour financer une bureaucratie qui est devenue asphyxiante depuis de nombreuses années. Je doute fort que tout ça soit très efficace et constructif car il est évident que la grande partie de l’argent est en réalité consommé pour nourrir notre délire bureaucratique.
De notre côté, nous les universitaires, on aimerait faire de la recherche mais on en a de moins en moins le temps.
16 commentaires
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29 juin 2021 à 20:00
Martin Andler
😢
29 juin 2021 à 21:19
Gueux
@Rachel: « Je compte donc une journée entière (sans exagérer) = 120 €, »
Si, vous exagérer, mais dans le mauvais sens. Le coût journalier est plutôt de 500 à 1000 euros, suivant le personnel.
Pour le coût d’un acte administratif « simple, chez nous on nous dit plutôt de l’ordre de 200 euros.
Donc le coût total en hypothèse basse est plutôt 30+500+200=730 et en hypothèse haute 30+1000+200=1230, soit 41 fois le prix de la pièce.
29 juin 2021 à 21:20
Albert Deboivin
Oui, c’est ridicule et c’est partout pareil. J’avais besoin de commander un switch pendant la crise sanitaire. Tout le procéssus dans mon labo a pris deux mois jusqu’à la livraison. Le machin coûtait dans les 30 – 50€ mais vu le temps qu’on a passé tous pour l’avoir… Absurdistan!
29 juin 2021 à 21:58
Rachel
@Gueux, votre montant du coût journalier me parait excessif. Mais il est vrai que je n’ai pas compté les frais d’environnement (entretien locaux, chauffage, électricité, …). Je n’ai pris que le salaire (et certainement pas le montant version employeur …).
@Albert, je connais un paquet d’EC qui mettent la main à la poche pour ce genre de « petits » achats, ça devient trop compliqué et ubuesque parfois. Peut-être que c’est le but ?
29 juin 2021 à 22:16
Gueux
@Rachel: « Je n’ai pris que le salaire… »
C’est bien là l’erreur majeur. Le coût total c’est 2.5 à 3 fois le salaire. Le seul coût qui compte, c’est le total que paie le contribuable.
29 juin 2021 à 22:41
Rachel
@Gueux, d’accord, mais imaginons un autre système : par exemple celui où les universitaires pourraient faire des achats en ligne avec une carte bleue sans contrôle. Alors dans ce cas, comme ils ne sont pas très regardants à la dépense, ils pourraient acheter une pièce à 40 € chez un fournisseur alors qu’on peut la trouver à 30 € chez un autre fournisseur. On voit bien que notre système permet d’éviter ce genre de gâchis ! heureusement qu’il y a ces solutions pour optimiser la dépense publique et contrôler les achats des universitaires …
L’autre truc amusant, ce sont les « marchés ». Quand on veut acheter une fourniture scientifique, il y peut y a voir des marchés (j’imagine négociés en amont par les administrations de l’Etat). Il arrive fréquemment qu’on connaisse d’autres fournisseurs qui ont les mêmes produits moins chers (et parfois beaucoup moins chers !). Mais on est obligés d’acheter celui qui est « dans le marché » … allez comprendre …
30 juin 2021 à 06:38
Gueux
@Rachel: Dans un autre système, je doute que votre ligne de crédit soit illimité. Donc, si vous achetez votre pièce 40 € au lieu de 30 €, et bien vous achèterez moins de pièces. Et le contrôle peut se faire a posteriori, de façon aléatoire, avec certitude d’être controlé au moins une fois sur une période donnée. Beaucoup plus efficace, responsabilisant et économique pour le contribuable que de payer une armée contrôleur psycho-rigides, incompétents et qui vous présument coupable du pire.
Les marchés publics, très bien en théorie, son un pur scandale et une gabegie insondable en pratique. Aveuglement idéologique, volonté assumée de « rendre » une partie des taxes aux entreprises, compromission, corruption, pure médiocrité des « élites », etc., je ne sais pas. En tout cas, ceux qui en profitent se gavent bien.
30 juin 2021 à 09:37
Laurent Carraro (@l__carraro)
Je partage, évidemment, malheureusement, votre constat. Là où les choses sont un peu complexes est que les règles de 3 devis, etc. sont des « bonnes pratiques » qu’il n’est pas obligatoire de suivre.
Mais comme le système bureaucratique mène chaque acteur à se protéger au maximum, tout le monde utilise les règles en maximisant les précautions… et le gaspillage d’argent public.
Mais ce sont des coûts cachés qu’un contrôle n’ira pas exhiber.
Et par ailleurs, étant passé de l’autre côté du miroir, je peux vous dire que l’utilisation de portails comme Chorus Pro pour le dépôt de factures par les fournisseurs constitue là encore un immense gaspillage de temps et d’énergie, tant côté acheteur public que fournisseur. En tout cas cela diminue d’autant la présence de « petits » fournisseurs, sans parler des multiples « portails uniques » de marchés publics !!!
30 juin 2021 à 09:52
Dan- visseur analytique
En entreprise (! j’ose), j’achetais toutes les bricoles sur note de frais, je joignais la facture, et mon boss + la compta validaient a posteriori. Si pas ok, c’était pour ma pomme. je prenais le risque, jusqu’à 150 €, après avoir passé – ou non – un coup de fil au boss. mais c’est vrai qu’on nous faisait confiance.
Pour le coût horaire,chez un garagiste à Paris, c’est environ 70 €/h . Pour un ingénieur, salaire net horaire + charges salariales + charges patronales + environnement = environ salaire horaire net x1,8 à 1,9…On est très très loin des 120€ pour la journée , même si, comme chacun sait, les universitaires sont très très peu payés…
Ce qui est révélateur , c’est justement cette sous-estimation des coûts réels. La microéconomie devrait être ré-enseignée en primaire : comment calculer un coût de revient ? C’est un mystère absolu pour les français, en majorité. Quand ils verront le vrai coût de revient du bio dans leur assiette, ils vont faire des découvertes !
C’est aussi révélateur de l’absence de vraie compta analytique, de difficulté à prendre ses responsabilités chez les chefs, de l’absence de vision économique…
Cela explique aussi pourquoi les braves gens parlent de « rentabilité » pour les services publics, alors qu’ils veulent dire utilisation rationnelle des ressources et minimisation des gaspillages. A ma connaissance, seule l’ONF peut parler de « rentabilité » (recettes réelles supérieures aux dépenses réelles +impôts+ amortissements)…et je doute fort que l’ONF soit « rentable ».
Mais aussi, en l’absence de possibilité de sanction en cas d’abus, l’administration met en place des monstres bureaucratiques, parce qu’on ne fait pas confiance, ni aux opérateurs, ni aux chefs. L’expérience montre aussi que certains passent à travers ( certains congrès avant la COVID)
30 juin 2021 à 19:39
Rachel
@Laurent, oui j’avais bien compris que ce n’était pas obligatoire, mais on fait comment quand la gestionnaire ne veut pas lancer la commande car elle n’a pas ses trois devis ?
J’ai compté 3 niveaux d’intervention : le service gestion au niveau du labo, le service gestion des contrats au niveau de l’établissement et enfin le responsable financier de l’établissement.
Je pense qu’un de ces jours ils vont créer un service d’ingénierie financière tellement tout ça devient compliqué !
@Dan, oui je suis d’accord, on ne parle pas assez du coût réel. Mais quand même, on vit dans un monde de fou et on se demande pourquoi nous les honnêtes universitaires on doit dépenser autant d’énergie pour acheter une petite bricole de 30 € et qui va coûter à la collectivité plus de 10 fois plus chère ! Après on se plaint qu’on n’a pas d’argent dans l’ESR. Si on arrêtait notre délire bureaucratique et de contrôle financier à étage multiple, on pourrait facilement doubler le budget de l’ANR (ou celui des crédits récurrents).
1 juillet 2021 à 10:08
béatrice
il faut prouver une mise en concurrence (donc 2 ou 3 devis, voire des captures d’écran). Donc, insinuer que la règle des 3 devis s’adaptent en fonction du gestionnaire n’est pas juste.
les règles de l’achat public… une formation à cela devrait être faite à tout agent intégrant la FP. C’est contraignant mais ça a une raison, qui a déjà été expliquée dans d’autres commentaires.
Je comprends que ce soit pénible certaines fois.
1 juillet 2021 à 19:44
Rachel
@Béatrice, je ne conteste pas la bonne intention initiale. Mais le bilan, de type retour d’expérience, me parait négatif. Les achats s’avèrent être beaucoup plus onéreux avec ces procédures de mise en concurrence, le système se complexifie, les règles semblent flottantes et dépendent des personnes qui s’occupent de la gestion ou des organismes gestionnaires (université ou CNRS), sans compter qu’on y passe du temps et donc c’est autre chose qu’on ne fait pas ou moins bien (par exemple de la recherche ou s’occuper des étudiants).
3 juillet 2021 à 18:42
Dan- visseur analytique
La difficulté, c’est sans doute qu’on est incapable de sanctionner la triche ou les erreurs, donc on se protège au max, car, chose curieuse, tous les universitaires ne sont pas des saints.Même en entreprise, tous les collaborateurs ne sont pas des saints (mais oui, il y a aussi des tricheurs) mais on peut les sanctionner. la première mesure, la plus simple, est de leur faire payer de leur poche la dépense inconsidérée.
Et comme nous disposons d’une comptabilité analytique, connue de tous, chacun sait qu’une heure perdue coûte beaucoup plus qu’une heure de salaire net.D’ailleurs, sur les budgets, nous appliquons un coeff pour le coût du service achats.
Quant aux trois devis, chacun sait que, dans nombre de cas, c’est ridicule. mais cela demande un climat de confiance et de responsabilité. Pas facile.
4 juillet 2021 à 09:00
RomainT
C’est surréaliste…. Dans le droit des marchés publics il y a des seuils et rien n’oblige à devoir produire 3 devis pour un achat à 30€. Dans mon labo, les éventuels achats hors marché doivent être visés par la direction du labo et c’est tout.
Peut-être faudrait-il demander à la direction de votre labo ?
6 juillet 2021 à 10:32
Gueux
@Dan: Le gros problème c’est bien l’absence de comptabilité analytique. Une anecdote récente. Un collègue se targue d’avoir vendu 20 kilo euros un composé de sa fabrication à une entreprise asiatique. Tout fier, il prétend que cela lui a pris peu de temps (de fait, ce sont les IE qui ont fait le boulot) et qu’il allait mettre ce « succès » bien en valeur dans son CV, ayant déjà été encouragé par l’université.
Il croit avoir fait un bénéfice important, calculant les coûts à la Rachel (genre 120 euros/jour/personne). Une compta analytique aurait montré qu’il fallait vendre sa came au moins le triple pour que cela soit rentable. Plus, si le salaire des techniciens n’était pas misérable et les locaux maintenus dans un état de délabrement avancé. Quand je lui fait remarquer, à lui et à ses collègues aussi, et que par conséquent c’est le contribuable français qui subventionne l’industrie asiatique, il pense que j’exagère et ne croit/comprend pas un mot de ce que je raconte.
Ah, le jour où les fonctionnaires sauront compter, contrôleurs/bureaucrates en tête ! En attendant, on squeeze les opérationnels au profil de ronds de cuir qui veillent à la « bonne gestion ».
15 juillet 2021 à 18:25
Dan- visseur analytique
@ Gueux : vous avez tout à fait raison, et les conséquences sont dramatiques pour les vendeurs qui ont une culture administrative, et pour les clients qui ne comprennent pas le mécanisme de fabrication des prix de revient. Exemple : les travaux publics devraient coûter beaucoup plus cher lorsque la détaxe gazole sera supprimée, pour de bonnes raisons que je partage. Mais j’imagine la grogne des clients . Idem bien sûr pour les produits bio, pour les transports. Nous sommes tellement biberonnés aux subventions que la réalité sera cruelle, surtout si on renonce à faire baisser les prix grâce aux importations de produits asiatiques, et s’il faut payer le vrai coût de la production française.
Je me suis toujours demandé quels étaient les coûts réels d’un étudiant en sciences et d’un étudiant en histoire, et comment on faisait le calcul, s’il existe. Quelles dépenses ? où sont les cotisations retraites ? Comment sont calculés les amortissements ? Comment est prise en compte la fiscalité ?…