
Cette semaine, le gouvernement a rendu public le rapport faisant suite à la consultation sur le recrutement des enseignants chercheurs (lire ici). On en avait discuté précédemment ici et ici, à propos de deux des thèmes proposés. A vrai dire, ce rapport va un peu plus loin que le recrutement puisqu’il aborde également les thèmes du doctorat, de l’HDR (et pas seulement sous l’angle du prérequis au recrutement) et de l’accompagnement de la carrière des enseignants-chercheurs. On ne va pas ici faire une analyse de ce rapport mais faire ressortir quelques éléments de son introduction, sur le thème de la confiance. Sur le sujet du recrutement, il est évidemment central : par exemple, il est évident que la qualification est la conséquence d’un manque de confiance dans la qualité des diplômes et envers les comités de recrutement actuels.
Extrait de l’introduction du rapport : « La concertation a mis en évidence des procédures de recrutement françaises profondément différentes, dans leur présupposé, des pratiques constatées dans le reste de l’Europe, voire au-delà. C’est une culture de la défiance qui caractérise les procédures françaises : défiance envers des candidats et leurs diplômes, qui ont besoin d’une validation supplémentaire, par une instance nationale, pour être autorisés à entrer dans les concours de sélection ; défiance envers les universitaires de l’établissement, dont il est dit qu’ils privilégieraient les candidats locaux quand ils doivent apprécier par eux-mêmes les dossiers ; défiance envers les instances universitaires, soupçonnées quelquefois de vouloir orienter le choix des comités de sélection. » […] « Les rapporteurs s’interrogent sur cette défiance, au demeurant contradictoire avec la volonté affirmée de conforter l’indépendance des enseignants-chercheurs et leur pleine capacité à agir comme pairs et experts à toutes les étapes du recrutement de leurs collègues. »
Ce thème de la confiance n’est pas nouveau. Valérie Pécresse, alors qu’elle était ministre de l’ESR, l’avait beaucoup évoqué. Extrait d’une déclaration datant de 2009 : « A travers ces six derniers mois, j‘ai été frappée de voir la force de méfiance qui anime la communauté universitaire. Les universitaires n’ont pas confiance en eux-même ni en leurs collègues. Ils doivent retrouver une légitimité sociale et une place symbolique que 25 ans d’abandon des universités, par des gouvernements de droite comme de gauche, ont sapée ». Source ici.
Donc depuis 2009, alors que le constat était clair, rien n’a changé. La confiance n’est toujours pas là et l’abandon des Universités s’est poursuivi (disons qu’on a fait en sorte de la maintenir tout juste au-dessus de l’extrême limite du niveau de flottaison).
Le thème de la défiance n’est pas réservé à l’Université. D’après certains, il est fortement développé en France, plus qu’ailleurs. Un exemple : « La France souffre d’un pessimisme social qui se traduit par un niveau élevé de défiance entre les citoyens, d’un déficit de coopération, et d’une dégradation du « vivre ensemble » » (Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg dans La fabrique de la défiance, lire ici). Du coté des universitaires, la défiance est grande tout particulièrement au sujet de l’autonomie des Universités, ce qui montre combien il n’y a pas d’appétence pour la construction collective. Dans ce débat du local/national, le CNU devient alors une sorte de « paravent national » et une opportunité de repli communautaire. Ces dernières années ont vu également l’émergence de discours agressifs et radicalisés, sans compter celle d’une forme de populisme.
Si le constat d’une culture de la défiance est intéressant et important, j’ai du mal à voir comment les préconisations pour chacun des thèmes abordés pourront apporter plus de confiance. Il est vrai que le rapport insiste beaucoup sur la transparence des procédures, mais cela sera-t-il suffisant ? Et le peu de temps qu’il reste au gouvernement pour les mettre en place sera-t-il suffisant ?
12 commentaires
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24 avril 2021 à 15:54
HenryIV
Le gouvernement ne fera rien du tout. Il ne sait pas que les universités existent, à par Vidal qui se ridiculise en parlant d’islamomachin pour tenter de cacher (?!) sa totale inaction. Cette étude montre que des instances nationales sont plus que jamais nécessaires pour contrecarrer le copinage et le corporatisme généralisé par les baronnets locaux. Ce que l’on sait depuis très longtemps ! Je suis ébahi en tant que président de CAC restreint de l’absence totale de déontologie d’une part non négligeable de collègues, ayant des responsabilités. Par exemple le CNU doit intervenir pour les qualifs mcf ET pr, avant et APRES les recrutements. Le CNU doit seul pratiquer les avancements de grades. Il faut enlever ça aux universités, elles n’en sont plus dignes. (je précise, je n’ai pas été recalé à une quelconque procédure, ne vous en déplaise).
24 avril 2021 à 16:31
Rachel
Ainsi donc, HenryIV, vous êtes assez d’accord avec V. Pécresse : les universitaires ne se font pas confiance. Et si j’en crois votre point de vue, c’est que trop d’entre eux ne respectent pas les principes de déontologie. Pensez-vous qu’une charte de déontologie pourrait améliorer la situation ? (Peut-être que c’est juste un rappel qu’il faut faire ?). Et que pensez-vous de ma proposition sur ce sujet qui serait d’avoir des extérieurs dans les commissions locales, pas forcément nombreux, pour participer aux divers travaux de promotions ou autres quand ça relève d’une sélection individuelle ? Faire le travail sous l’œil d’un extérieur, ça calme souvent bien les choses, surtout quand le rôle de l’extérieur serait de faire remonter à l’échelle nationale toute suspicion de disfonctionnement.
24 avril 2021 à 19:59
HenryIV
@Rachel, Pécresse est oubliée maintenant, tout comme Vidal le sera dès quelle aura été virée. Mais vous avez raison, il faut des extérieurs à tous les niveaux, et pas choisis pas les locaux, nommés et/ou élus. ça s’appelle le CNU. Si vous aimez des versions locales, suis open aussi. La charte, c’est pour les gogos. il faudrait un peu de poigne, c’est tout. Des recteurs qui viennent répéter la consigne par exemple (j’aime cette provoc). Lors de l’avant dernier CAC restreint, quand j’ai édicté qqs consignes et répété aux collègues d’être déontologiques et de se référer à quelques principes moraux de base, je me suis fait atomiser par une élue (bon, battue par nous aux élections), mais ça en dit long. Ceci dit, elle n’est pas repartie à vide.
24 avril 2021 à 22:18
Rachel
@HenryIV, moi je n’ai pas oublié V. Pécresse ! Le CNU fait son truc dans son coin et les établissements font le leur de leur côté. On est là avec deux mondes qui ne se croisent pas. Le local sans extérieurs est exposé à des dérives localistes et autres « magouilles de copains » et le national est sans éclairage des situations locales. Après on s’étonne que ça ne marche pas bien et que tout le monde se méfie de tout le monde. Ce que je dis c’est qu’il faudrait une intégration d’extérieurs dans les commissions des établissements (rien n’empêche que ce soient des membres du CNU et bien entendu ils ne seraient pas choisis par l’établissement) et supprimer les doublons d’évaluation.
29 avril 2021 à 17:51
mikeizbak
Quel lien entre culture de la défiance et des modalité d’organisation de l’ESR qui favorisent la compétition (qui a toujours existé) à tous les niveaux (individus, équipe, labo, département, établissement, région, pays…) et engendre un fort repli individualiste (volontaire ou non…) ?
(NB : comme ce blog le fait annuellement pendant quelques semaines, je m’absente puis reviens commenter tous les deux ans ^^) Merci de continuer à tenir la plume :) )
29 avril 2021 à 22:59
Rachel
@mikeizbak, pas évident que notre organisation de l’ESR favorise cette culture de la défiance, je pense que c’est plutôt le contraire. C’est plutôt la culture de la défiance qui est un frein à des évolutions qui iraient vers plus de collectivité (et moins de comportements individualistes).
30 avril 2021 à 11:07
mikeizbak
@rachel : bin… pour avoir tendu la main à de multiples reprises à des collègues, et proposé différentes manières de fonctionner avec plus de solidarité et de collectivité, je peux dire que ça n’a pas mobilisé les foules… Au point qu’aujourd’hui j’ai renoncé à prendre des responsabilités pour promouvoir le collectif, car je pense que ça n’intéresse pas (la plupatmes collègues :(
(désolé si je casse l’ambiance !).
1 mai 2021 à 11:37
Rachel
@ mikeizbak, mais est-ce que c’est l’organisation actuelles et les politiques de l’ESR qui poussent à cette individualisation ou bien est-ce un individualisme intrinsèque de la communauté qui fait échec aux politiques/réformes de l’ESR ?
1 mai 2021 à 12:13
Gueux
@Rachel: Proposition indécidable. Les politiques sont lancées/menées/bloquées par des « politiques » (même quand ils sont présentés comme des technos et pas comme des politiciens professionnels), qui n’ont rien fait d’autre de leur vie professionnelle que de grenouiller dans des conseils et comités. Donc, que ce soit au ras des pâquerettes ou en haute altitude, ce sont généralement les « mêmes » apparatchiks qui mènent ou s’opposent aux changements. Après, vous pouvez chercher qui de la poule ou de l’oeuf…
1 mai 2021 à 15:01
Rachel
@Gueux, j’avais plutôt en tête les deux catégories (1) les politiques qui écrivent les lois et autres circulaires (2) les C et EC qui sont directement concernés par les changements. Bien entendu il y a de l’imbrication et bien entendu le monde actuel n’est pas en noir et blanc.
3 mai 2021 à 09:14
mikeizbak
@Rachel « est-ce que c’est l’organisation actuelles et les politiques de l’ESR qui poussent à cette individualisation ou bien est-ce un individualisme intrinsèque de la communauté qui fait échec aux politiques/réformes de l’ESR ? »
Les deux mon capitaine. Un C/E-C a fait ses études, obtenu (ou pas) sa bourse de thèse, mené ses travaux de thèse et obtenu son doctorat avant de partir faire son post-doc pour obtenir son poste et mener sa recherche (et son enseignement). Même si toutes ses activités se développent inévitablement dans un cadre collectif et avec de multiples contributions externes souvent cruciales, je suis convaincu que cette logique, bien que pas universelle, prévaut.
Elle est encouragée voire exacerbée par une politique favorisant la compétition à tous les étages, dans un logique que je perçois comme étant « de rendement / de production / de retour sur investissement » (mais bon, je peux très largement me tromper).
Dans tout ça on trouve encore, pas si rarement que ça, des individus et groupes d’individus qui s’organisent et privilégient la collégialité, la solidarité, et je n’ai pas d’exemple en tête mais je pense qu’on peut trouver ça jusqu’à l’échelle d’un laboratoire. Mais pour fonctionner ainsi, il faut se battre contre le système administratif découlant du financement sur projet, qui cloisonne les ressources et bloque terriblement les mécanismes de solidarité qui pourraient naturellement se mettre en place (car malgré tout les C/E-C reste majoritairement humains, si si !). Il est donc plus aisé de se laisser aller à la compétition et à l’individualisme, malheureusement, et il faut se battre si l’on veut préserver le collectif et la solidarité (sans parler de la collégialité).
21 mai 2021 à 10:43
jako
Ah la défiance ! Pour ne pas rester dans les discours vagues ou généraux, voilà un exemple concret d’entourloupe du ministère. Bon il est vrai qu’on est habitués, mais quand même….:
https://blogs.mediapart.fr/philippe-blanchet/blog/120720/une-certification-privee-en-anglais-imposee-pour-valider-licences-bts-et-dut?utm_source=ocari&utm_medium=email&utm_campaign=20210413081502_15_nl_nl_lexpress_bout_des_langues_607450ee8a4467e87d7b23c6#EMID=0d532c3e84de2a717011c72b549f4c61712b5c49dfbebdfa2785b9a97b7a0e03