
Il y a quelques jours, sur France culture (ici), la ministre F. Vidal a confirmé ses déclarations sur l’islamo-gauchisme et autres dérives : « Je ne renie aucun des mots que j’ai pu écrire ou prononcer. Je crois que ce qui est important, c’est que l’on soit capable, dans notre société et dans l’université, de garder un pluralisme de pensée et de préserver la liberté académique. […] Ensuite, les polémiques, les procès d’intention, les attaques… Alors ça fait partie de ce que j’ai accepté en devenant une femme politique publique ».
Je comprends assez bien la ministre, pour avoir observé d’assez près la lutte contre la LPR. Les « polémiques, les procès d’intention, les attaques » oui elle en a soupé au quotidien pendant environ 2 ans, une vraie guérilla d’un niveau assez bas et violente. Cela dit, là n’est pas la question aujourd’hui mais j’imagine qu’elle en est un peu fatiguée et qu’elle a décidé d’adopter une stratégie plus offensive (peut-être avec une commande venue de très haut ? ou du ministre J. M. Blanquer ?).
A vrai dire je trouve que le débat actuel est opportun car il est possiblement salutaire pour l’université et utile à l’ensemble de la société à un an des élections présidentielles (disons que je pense que c’est mieux de le démarrer en amont). Je l’avais initialement trouvé mal positionné, mis sur la table par surprise au détour d’une petite phrase lors d’une interview et centré sur l’islamo-gauchisme. Heureusement, cela a été étendu aux problématiques identitaires, de racialisme, de révisionnisme culturel et de militantisme dévoyé (j’en oublie sûrement).
En ce qui me concerne, le thème de « l’islamo-gauchiste » m’est assez étranger. Je ne le connais pas dans mon entourage proche et si ça existe vraiment à l’Université, je ne l’ai jamais rencontré (ce qui ne prouve rien). Comme je suis en « sciences dures », les autres thèmes (théorie du genre, décolonialisme, racialisme, etc …) me sont également très éloignés d’un point de vue professionnel mais bien entendu on se sent concerné en tant que membre de la société.
En revanche, je connais assez bien les dérives militantes ou idéologiques. Ce n’est pas toujours évident de pouvoir s’exprimer ouvertement à l’Université, la liberté d’expression y est hélas parfois challengée, tout particulièrement quand on discute des évolutions possibles de l’Université. Au risque de lasser mes fidèles lecteurs, je vais raconter une nouvelle fois une aventure malheureuse que j’ai vécue il y a plus d’une dizaine d’années (car le problème n’est pas nouveau). C’était donc en 2009, en plein « mouvement » anti-LRU. Lors d’une de première AG sur la question, j’ai commis une maladresse : j’ai pris la parole pour dire quelque chose à contre-courant de la pensée dominante. Quelle cruche ! *Huées soutenues* « alors Rachel si tu n’es pas avec nous ça veut dire que tu es avec eux donc contre nous … […] … conduira à la destruction du service public, hein c’est ça que tu veux Rachel, la destruction du service public ? » *clap clap* alors la foule en délire m’a agrippé et m’a traîné sur le devant de la scène, m’a enchaîné au pilori et m’a fusillé sous les hourras. Finalement, par miracle, j’ai survécu mais plus jamais je ne remettrai les pieds dans une AG universitaire. Pour pouvoir dire ce que je voulais, j’ai ouvert ce blog de façon anonyme (OK ce n’est pas très courageux, je suis bien d’accord, mais j’ai besoin de me protéger).
J’étais jeune et naïve à l’époque, je pensais que l’Université était un lieu de dialogue, de tolérance, d’objectivité et de respect du pluralisme des opinions. Mais l’Université n’est rien de tout ça. Peut-être l’a-t-elle été un jour, je ne sais pas, il faudra que je pense à demander aux plus anciens.
Plus de 10 ans plus tard, en 2021, les crispations idéologiques sont toujours très présentes, je dirais même que c’est beaucoup plus virulent, peut-être à cause de la montée en puissance des réseaux sociaux, peut-être à cause des gilets jaunes qui ont démocratisé l’invective permanente et le recourt à la violence ? Alors même que je ne fais pas circuler de points de vue particulièrement clivants (certes je provoque un peu, parfois), sur Twitter je me prends dans la figure des campagnes d’intimidations, d’insultes et de calomnies, d’appels à m’ostraciser et même des menaces de mort quasi explicites. Il n’est pas bon de ne pas être en phase avec la mouvance dominante actuelle.
Ces derniers temps, on m’a dit « Tu sais Rachel, on cherche à diviser les universitaires, il faut rester solidaires ». Ah oui, rester solidaires avec qui ? avec les universitaires radicalisés dont on n’approuve ni leurs méthodes ni leurs dogmes ? On m’a dit aussi « tu sais Rachel, les dérapages ça ne représente qu’une toute petite partie de ces universitaires, il ne faut pas généraliser ». Je ne généralise pas et reste pleine d’espoir que l’Université va se reprendre. Mais je constate quand même que la confusion est grande et que quand il y a une pétition à signer, ces universitaires radicalisés font des cartons (plus de 22 000 signatures à ce jour pour demander la démission de F. Vidal, après ses déclarations sur l’Islamo-gauchisme et autres dérives, c’est énorme). Alors vu ce nombre, on ne peut pas dire que c’est anecdotique, je dirais même que c’est massif.
Immédiatement après la déclaration de la ministre sur l’islamo-gauchisme et autres dérives, vers la mi-février, on a eu droit à une multitudes de tribunes d’universitaires qui nous expliquaient que tout ça n’existe pas. Les établissements ont eux-aussi réagi également très vite (CNRS, CPU, EHESS, autres ?). Universitaires et établissement de l’ESR unis dans le déni. L’islamo-gauchisme et autres dérives à l’Université, ça n’existe pas, circulez y’a rien à voir.
Les jours qui ont suivi ont été un peu moins consensuels, avec une claire remise en question du déni initial des universitaires et de leurs établissements. On a vu fleurir un grand nombre d’articles et de tribunes dans la presse et sur la toile qui ne vont pas du tout dans le sens du « ça n’existe pas ». Des cinéastes, musiciens, écrivains ou simples citoyens ont pris la plume pour donner leur avis sur la question et leur vision de l’Université. Je pense que les universitaires devront aller un peu plus loin dans leurs explications que le simple « ça n’existe pas » car l’histoire ne va pas s’arrêter là.
Je comprends bien pourquoi certains universitaires sont pris de panique devant ce débat. Ils sentent bien qu’on remet en cause la domination idéologique et la pensée unique qu’ils cherchent à imposer dans les universités. La première réaction de ces universitaires a été de tenter de nous faire croire à une croisade pour imposer un nouveau maccarthysme, à une opération pour disqualifier l’Université et que F. Vidal était un agent double de l’extrême droite. Mais je doute que ce soit suffisant après tout le déballage de cette dernière semaine. Il va falloir certainement se hausser au-delà des procès d’intention, de l’invective binaire ou du slogan.
F. Vidal a déclaré récemment, à la suite des polémiques naissantes : « Il faut que le monde académique se réveille ». Sur ce blog, j’ai parfois appelé l’Université « la belle endormie », alors je comprends ce qu’elle veut dire. Au-delà du monde académique, il faudrait aussi que les forces humanistes, progressistes et europhiles prennent clairement position sur ces questions. Actuellement, LREM a pris une longueur d’avance.
3 commentaires
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7 mars 2021 à 13:28
Dan-visseur triste
Merci de ce billet qui va à l’encontre du politiquement correct trop souvent rencontré dans l’université et les médias. Quelques remarques :
1 -mes amis algériens et marocains, qui se battent pour la liberté de conscience dans leur pays, où ils vivent, physiquement, pas par procuration, sont effarés de ce que devient la société « bien pensante » française.Ils vivent l’oppression religieuse tous les instants, et l’obscurantisme omniprésent, plus encore en Algérie qu’au Maroc semble-t-il. Et ils désespérèrent de nous voir embourbés dans la racialisation, l’intersectionnalité, le refus des valeurs universelles, et de ce pourquoi ils ont combattu et fait de la prison.
2 – France inter et France Culture ont pris parti « officiellement » contre la ministre.l’attitude du journaliste avec E Roudineco ce dimanche 7 mars était édifiante.
3 -supposons qu’il n’y ait pas d’islamo gauchisme (terme qui désigne très clairement une réalité magnifiquement incarnée par Edwy Plenel), pourquoi refuser une enquête objective ? Elle démontrerait qu’il n’y a rien, s’il n’y a rien.
4 Mais il y a quelque chose…et les signataires initiaux le savent bien. Et ils refusent que cela soit démontré.
5 Je reconnais que c’est mon « dada », mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est en lien avec l’inflation démesurée des « sciences » humaines à l’université . je me souviens d’un étudiante brillante qui avait été orientée vers un DEA sans aucun débouché pour permettre à son maitre de DEA de justifier son poste.Combien sont dans ce cas en sociologie ?
6 Comment se fait la sélection pour s’inscrire en sociologie ? Quelles notes en maths (statistiques, outil de base), en Français ? en Philo ? en Histoire ?
7 L’analogie avec d’autres mouvements est souvent fallacieuse, et prouve surtout une méconnaissance de l’histoire (le pire exemple étant celui de G Noiriel assimilant l’islamophobie à l’antisémitisme du début du XXème siècle).
C’est triste et inquiétant.
7 mars 2021 à 19:26
Antonio Lai
Merci beaucoup pour cette analyse très juste.
7 mars 2021 à 20:53
Jean-Michel
« Je pensais que l’Université était un lieu de dialogue, de tolérance, d’objectivité et de respect du pluralisme des opinions. Mais l’Université n’est rien de tout ça. Peut-être l’a-t-elle été un jour, je ne sais pas, il faudra que je pense à demander aux plus anciens ».
Si vous avez le temps, un jour, lisez les Mémoires de Raymond Aron. Aron n’y parle pas que de l’université, mais il en parle un peu aussi, au chapitre sur Mai 1968 et ses suites notamment. Vous verrez que le dialogue, la tolérance, l’objectivité et le respect du pluralisme étaient déjà à géométrie variable, en tous cas dans les SHS. L’attaque personnelle de Sartre contre Aron, dans le Nouvel Observateur du 19 juin 1968, fut particulièrement peu respectueuse (alors qu’ils avaient été condisciples à l’ENS). Sartre dans ce texte ne reculait devant aucune outrance, probablement par démagogie envers la jeunesse étudiante, alors que son existentialisme était largement passé de mode, remplacé depuis un bon moment déjà par la nouvelle mode intellectuelle: le structuralisme. Aron, en revanche, l’un des rares intellectuels à l’esprit vraiment indépendant de cette époque, est toujours resté dans le cadre d’un débat intellectuel respectueux des personnes, y compris dans ses livres qui critiquaient la pensée marxiste dominante, comme L’Opium des intellectuels en 1955 ou D’une sainte famille à l’autre, contre le marxisme imaginaire de Sartre et d’Althusser, en 1969.
Bref, l’histoire montre que ce que vous regrettez (intimidation, ostracisme, etc.) ne sont malheureusement pas des réalités nouvelles. Je ne saurais pas dire si les formes que cela prend aujourd’hui sont plus violentes ou non qu’après 68 par exemple (années 1970). Mais sur le court terme (10 dernières années) je pense en revanche que ça s’aggrave, et que ça va encore le faire.
Enfin, plus largement, si on ne regarde les choses que sur les 100 dernières années, c’est probablement lié comme le dit Dan à la montée en puissance des «sciences» humaines. Mais sur une période plus longue, il me semble que la naissance des sciences dites «dures» n’a pas toujours été de tout repos non plus.