
Le sénat est décidément un lieu de souffrance pour le CNU. On se souvient qu’en 2013, à l’occasion de l’examen du projet de loi « Fioraso », il s’était déjà passé un peu près la même chose (lire ici, ici et ici). Les elfes verts avaient profité d’une pause pipi-clop en soirée pour faire passer un amendement surprise visant à supprimer la qualification du CNU. On avait bien rigolé à l’époque et mon blog avait atteint des sommets d’audience, hélas jamais égalés à ce jour … Rebelote cette année, le sénat remet ça à l’occasion du projet de la LPR.
Même si je ne suis pas favorable au maintien de cette qualification, je trouve que ce n’est pas très correct de faire passer en catimini un amendement « surprise », sans débat préalable avec la communauté, du moins sans qu’elle puisse exprimer son positionnement, même si on est très conscient que les politiques peuvent s’assoir dessus.
Je trouve étonnante l’importance que prend ce thème de la qualification dans le débat autour de la LPR. On a l’impression que la sauvegarde de la qualification c’est plus important que tout le reste, en particulier le financement de la recherche (car n’oublions pas que la LPR est avant tout une loi de type « budgétaire »). Mais il est vrai aussi que la qualification, c’est un peu une sorte d’amulette qui confère aux personnes qui la décrochent un avenir enchanteur, qui protège contre le néolibéralisme, le localisme, la tyrannie des Présidents d’Université et bien entendu la covid-19.
Il faut dire que aussi que la qualification, c’est un trésor national que le monde entier nous envie. Il faut l’obtenir avant même que le profil d’un poste soit publié. Cette configuration implique que c’est une barrière pour les candidatures de collègues étrangers, il ne faudrait quand même pas qu’ils viennent voler notre travail ! des postes il n’y en a pas beaucoup … Le label qualité « made in France » doit assurément être encouragé.
En cette période difficile, où beaucoup de soutenances de thèse sont décalées du fait des retards pris à cause de la crise sanitaire, il aurait été opportun que la campagne de qualification 2021 ait été annulée. Ça aurait permis de faire diminuer le stress pour les doctorants, de ne pas surcharger les membres du CNU, d’autant que des postes l’année prochaine, il n’y en aura pas beaucoup (comme les années précédents). A quoi sert de « qualifier pour un concours » si les postes dudit concours se comptent sur les doigts d’une main ? J’invite donc tous les membres du CNU à boycotter cette campagne et de concentrer leur énergie sur la gestion de cette année universitaire qui s’annonce difficile.
Pour égayer un peu ce billet, j’ai mis ci-dessous quelques commentaires picorés sur Twitter à propos de cette nouvelle « crise de la qualification ». En vrac, sans classement quelconque.
Je pense que le rôle de la qualification par le CNU (pour MCF et PR) est d’imposer une norme de qualité scientifique. Supprimer la qualification par le CNU sans réfléchir aux moyens de maintenir ses exigences de qualités scientifiques me semble une mauvaise décision
J’avoue trouver l’argument anti localisme insuffisant. Si c’était là le seul rôle de la qualification par le CNU, il suffirait d’interdire aux universités de recruter en MCF leurs anciens doctorants.
Préserver la procédure de qualification permet de casser la logique libérale du marché des postes académiques où l’enjeu pour les universités devient uniquement de recruter les profils les plus prestigieux.
Moi je trouve que la qualification c’est bien parce que c’est important de dire qu’on recrute à l’IUT de Vesoul et à la rue d’Ulm des personnes qui ont le même CV, les mêmes compétences, et pour faire la même chose: de l’enseignement et de la recherche.
La qualification c’est bien pour écarter les candidats vivant à l’étranger et qui n’ont ni la connaissance intime de notre système parfait, ni les contacts internes pour leur expliquer comment faire (conditions primordiales pour réussir sa carrière)
Les profs sont contre la suppression de la qualification par le CNU. Faut se réveiller deux minutes, aucun pays n’a un système de qualification centralisée et les universités ont une bien meilleure latitude pour choisir leurs candidats.
Libertés académiques gravement menacées, un an de prison pour « intention d’entraver des débats universitaires », suppression du CNU, de la qualification pour devenir maître de conférence.. La #LPPR et Blanquer mettent gravement en danger l’Université. Dans un silence assourdissant
Pour défendre l’égalité et les principes d’indépendance. Enseignants-chercheurs: Non à la suppression de la qualification par le CNU
Le CNU est souvent le rempart du conservatisme universitaire disciplinaire le plus étriqué le plus ringuard voire parfois carrément maffieux pour les recrutements et promotions des EC. A jeter
Supprimer la qualification aboutirait à laisser l’ensemble du processus aux seules universités, sans le filtre du CNU qui garantit non seulement la qualité scientifique des qualifié·es mais encore l’égalité nationale devant le concours. »
Pour préserver l’égalité des chances d’accéder au professorat, le statut des enseignants-chercheurs, et lutter contre le clientélisme local : la qualification nationale par le CNU est indispensable !
C’est précisément parce la qualification est un garde-fou (certes imparfait) contre le « clientélisme, l’endogamie, et les baronnies locales » que les chefaillons de la @cpu s’en prennent au CNU.
L’idée ce serait d’arrêter le copinage dans jury de recrutements (tous) pour supprimer le moustachisme et le clientélisme, avec ou sans CNU…
Dans une perspective de poursuite du localisme (recrutement par les présidents) le CNU apparait comme une protection contre le clientélisme.
Mais le CNU ne prend aucune part au recrutement local qui se passe après la qualification. Quant au clientélisme j’ai sans doute rien compris mais je ne vois pas ce qui pourrait nous faire courir le risque d’un truc qui est déjà largement répandu
10 commentaires
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4 novembre 2020 à 19:07
Chantal Vieuille
Pour information, le système CNU est ouvert aux docteurs ayant passé leur doctorat en France mais également à l’étranger. De même pour les doctorants n’ayant pas encore soutenu leur thèse avant fin décembre ils peuvent déjà participer à la sélection CNU
4 novembre 2020 à 20:51
Rachel
@Chantal Vieuille, merci pour cette précision. Mais pour les doctorants hors France, il faut quand même être sacrément intégré dans le cercle des initiés, donc d’avoir des contacts en France. L’argument de « l’égalité des chances » est ici bien mis un peu en défaut.
Oui c’est vrai, si ce n’est pas fait avant fin décembre, alors on leur laisse jusqu’au 16 janvier …
Ne pourrait-on pas faire une petite pause dans cet engrenage délirant de contrôles et d’évaluations permanents ? En cette période de crise profonde, ne pourrait-on pas focaliser le peu d’énergie qui nous reste sur des choses plus importantes ?
4 novembre 2020 à 21:40
Chantal Vieuille
Je précise que les chercheurs étrangers ayant soutenu leur doctorat en France et en poste à l’étranger peuvent aussi participer au système CNU. Finalement, si nous gardions un regard positif sur le monde universitaire ? Nous avançons avec les crises (dit-on) mais il faut aussi prendre le temps de réfléchir au monde de demain. Réfléchir ensemble… c’est mieux.
5 novembre 2020 à 08:18
Rachel
@Chantal Vieuille, vous avez raison, évidemment, mais garder un regard positif sur le monde universitaire n’est pas un exercice facile en en moment.
5 novembre 2020 à 08:45
Emmanuelle
@Rachel,
je n’ai rien contre cette relance. C’est un peu mon fond de commerce aussi.
Et tant qu’à poursuivre dans l’auto-promo, un texte plus court et plus accessible que l’autre:
https://laviedesidees.fr/Profession-universitaire.html
Par ailleurs, toute la rhétorique pro CNU se trouve clairement expliquée ici: https://academia.hypotheses.org/25450
5 novembre 2020 à 10:46
Chantal Vieuille
Merci à Emmanuelle de nous donner à lire ces précisions car elle remet le sujet de la CNU dans une perspective historique mais également elle rappelle un point que personnellement je n’arrête pas de défendre, à savoir le fait que le système de la CNU accorde « la reconnaissance nationale de l’aptitude à l’exercice des missions d’enseignant-chercheur. ». Ce n’est donc pas une agence de recrutement des chercheurs-es. Merci encore pour ces précisions.
5 novembre 2020 à 21:59
Rachel
@Emmanuelle, oui profitez des deux publicités gratuites mais pour la prochaine, n’oubliez pas que je prends 20 % sur vos droits d’auteur !
@Chantal, ce certificat d’aptitude (qualification) ne semble pas couvrir toutes les missions d’un enseignant-chercheur. Je ne pense pas que le volet enseignement soit examiné par le CNU, si ?
6 novembre 2020 à 15:27
Chantal Vieuille
@Rachel, sur ce point vous avez sans doute raison. Le dossier tel qu’il est élaboré met davantage l’accent sur les travaux du chercheur-e que sur ses aptitudes à enseigner. Mais là encore, ce dernier point sera en revanche déterminant lors d’un éventuel recrutement du chercheur par une université. Le ou la chercheur-re est-il d’ailleurs un « bon » enseignant ? c’est une vraie question mais elle ne concerne pas le système CNU !
6 novembre 2020 à 18:58
Matricule5129
Je n’ai pas le temps de lire ce blog aussi assidument qu’il le faudrait. Mais ce post twitter (« Moi je trouve que la qualification c’est bien parce que c’est important de dire qu’on recrute à l’IUT de Vesoul et à la rue d’Ulm des personnes qui ont le même CV, les mêmes compétences, et pour faire la même chose: de l’enseignement et de la recherche. ») me ravit et l’ironie mordante de l’auteur me laisse à penser que tout n’est pas tout à fait foutu. Il y a encore de la lucidité… Cela dit, le problème fondamental de l’université (la sélection) n’est toujours pas le sujet… et là, l’IUT de Vesoul (et ailleurs) et Ulm ne sont pas exactement sur le même pied d’égalité…
6 novembre 2020 à 20:14
Rachel
@Chantal, tels que sont organisés les concours des EC, je trouve que ce n’est pas évident d’évaluer les motivations et les aptitudes à faire de l’enseignement. Parfois ça saute aux yeux (dans le bon sens ou le mauvais), mais pour beaucoup d’autres c’est difficile.
@Matricule, moi aussi je trouve que le post-twitter que vous citez est une perle, c’est mon préféré. Pour le sujet de la qualification (et l’anti-localisme ou thème province/Paris), certains disent que c’est un système qui avantage largement les parisiens, tellement mieux que le doctorant qui aura fait sa thèse dans une université de province (et tout particulièrement celles à vol de TGV).