Je n’arrive pas à m’enthousiasmer pour la LPPR. Le projet de loi donne une impression de « fourre-tout » avec de nombreux articles qui paraissent être surtout des ajustements parfois très à la marge. Le texte donne un ensemble un peu terne, sans beaucoup de cohérence et sans vision claire. Il semble que de nombreux articles, sinon tous, pourraient se passer du cadre d’une loi dédiée. Je trouve également que cette loi créée des tensions qui pourraient être évitées. On n’a vraiment pas besoin de ça en ce moment. Ainsi je me demande si cette loi est vraiment indispensable. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il faille renoncer à investir et à améliorer notre ESR. Je propose ci-dessous les grandes lignes des ajustements qui pourraient être faits, alliant un soutien au coeur du projet (investir et revaloriser les carrières) et des recommandations pour faire baisser les tensions.
Investir massivement et atteindre les 3% du PIB dès 2021
La LPPR propose un investissement conséquent dans la recherche et une revalorisation des carrières scientifiques. Cette ambition est reçue positivement par la collectivité de l’ESR. Toutefois, on a l’impression que cet engagement se fera avec un démarrage trop timide car l’essentiel de l’effort est reporté sur les gouvernements ultérieurs (au-delà de 2022). Telle qu’elle est affichée actuellement, la programmation ne permettra pas de tenir les promesses de campagne du candidat E. Macron (février 2017). Rappelons que cet objectif est d’atteindre un investissement de 3% dans la R&D. En février 2018, la Ministre de l’ESRI déclarait : « C’est un objectif essentiel à mon sens, qui ne doit pas être un horizon ». Mais dans le projet actuel, c’est bien un horizon plutôt lointain que la Ministre nous propose. Il ne reste que deux ans pour réaliser cet objectif et c’est pourquoi il faut investir massivement maintenant (pour 2021) et s’engager pour 2022. La collectivité de l’ESR serait dans une grande incompréhension si cet engagement n’était pas tenu, d’autant qu’elle voit pleuvoir de partout les milliards pour soutenir de nombreux secteurs d’activité. Ne pas investir dans l’ESR reviendrait à dire que la recherche et la jeunesse n’est pas une priorité de notre pays.
Ne pas renoncer à la revalorisation des carrières scientifiques
Une préoccupation très majeure, affichée dans la LPPR, est la question des rémunérations, tout particulièrement celle des entrants. Il faut bien évidemment revaloriser ces carrières et les rendre plus attractives. Pour cela, il faut confirmer un rehaussement significatif du salaire à l’embauche des personnels. Par ailleurs, pour les enseignants-chercheurs, il conviendrait d’aménager le début de carrière. La prise en main de l’enseignement devrait se faire progressivement, avec une rampe étalée sur 4 ans. Pour le volet recherche, il faudrait également prévoir des crédits d’installation (durée 4 ans) afin que le nouvel EC puisse se consacrer pleinement au démarrage de son activité de recherche sans qu’il ait à répondre à des appels à projets.
Renoncer aux « Tenure tracks » et CDI de mission scientifique
Le projet LPPR propose de développer des « tenure tracks » et des CDI de mission scientifique. Il est évident que ces deux mesures sont un point de focalisation de la fronde anti-LPPR. Or il s’agit de mesures plutôt mineures et on peut très bien s’en passer. Il me semblait que la loi actuelle permettait déjà des recrutements en CDI après une période en CDD. Pour attirer les « talents internationaux », les Universités ont a priori déjà des outils qu’elles peuvent mettre en place (primes, crédits d’accompagnement, allocation de thèse, …) et par ailleurs il semble possible de mettre en place des « chaires ». On ne comprend donc pas bien en quoi c’est important de mettre en avant ces deux dispositifs. Pendant les deux ans qui restent du quinquennat, il serait plus constructif de faire une programmation de recrutement d’enseignants-chercheurs (bien environnées si on les veut attractives) car les Universités ont vu ces dernières années les effectifs étudiants fortement grimper et ont souvent été obligées à renoncer à des recrutements malgré des départs en retraite du fait d’un budget insuffisant.
Remettre l’enseignement supérieur au cœur de l’effort du gouvernement
Le projet de loi est centré sur la recherche et ne donne aucune attention à l’enseignement supérieur. Les deux sont pourtant étroitement entrelacés. Il suffit de se rendre dans les laboratoires de recherche pour comprendre le rôle capital des doctorants dans les travaux scientifiques. En France on veut se donner l’illusion qu’il existe encore une « recherche nationale » mais on sait pourtant qu’elle est largement internationalisée. Imaginer qu’il puisse y avoir un pilotage national fait un peu sourire (bien entendu à l’exception de quelques points particulier, comme par exemple les très grandes infrastructures de recherches qui mobilisent des moyens considérables). Notons que la grande majorité des chercheurs des organismes de recherche travaillent dans des laboratoires de l’Université. C’est donc à ce niveau que doit se faire l’investissement, cela sera bénéfique aussi aux chercheurs des EPST. L’Université est le point de rencontre entre la recherche, la formation et la société (associations, entreprises, …). C’est donc sur ce nœud qu’il faut investir.
Mesures « anecdotiques » : les traiter par des décrets ?
Un grand nombre d’articles de la loi paraissent être des petites mesures ou du toilettage. Cela donne une impression d’un fourre-tout très disparate et sans logique. On pourrait ici recommander de traiter tous ces points par des décrets (discrètement, pendant le mois d’août …).
Attention à la poudrière
La loi LPPR a soulevé des critiques alors même que son contenu était inconnu. Ça montre bien le degré d’irrationalité dans lequel certains acteurs de l’ESR sont tombés (ou alors les intentions sont ailleurs). Pour ma part je pense qu’il sera impossible d’avoir un débat serein autour de cette loi. Ce débat n’existe pas dans les Universités et il est souvent trop technique pour qu’il soit un débat de société. Il apparait que les procès d’intention ou les scénarios anxiogènes trouvent un large écho. Cela dit, je peux le comprendre : les EC sont fatigués par les promesses non tenues, les pénuries budgétaires, les conditions dégradées de leur environnement de travail ou le bien trop faible accompagnement qu’ils reçoivent pour faire leur double mission. Ils sont également saturés de courriels, de règles administratives de plus en plus complexes ou absurdes, inquiets en permanence pour le financement de leurs travaux à court terme ou atterrés par la faiblesse de niveau d’un nombre croissant d’étudiants. La période de confinement n’a pas amélioré la situation, avec son lot de travail supplémentaire pour adapter les cours, les réunions visio de mauvaise qualité desquelles on sort avec le crane vrillé. La perspective d’une rentrée « hybride » ne va certainement pas leur permettre de passer des vacances bien réparatrices. Ainsi, dans ces conditions, je crois que tous les ingrédients sont réunis pour que la rentrée universitaire soit une vraie poudrière, soufflée à blanc par des activistes très virulents sur les réseaux sociaux et très rodés au confusionnisme. S’ils parviennent à enrôler les étudiants, alors ça partira vraiment en vrille.
Pour conclure
La LPPR est essentiellement une loi d’engagement budgétaire (il me semble). Je pensais naïvement que le budget de l’Etat était annuel et donc je ne comprends pas bien la nécessité d’une loi sur ces questions budgétaires. Mais peut-être qu’un commentateur pourra m’éclairer sur ce point. Coté de la communauté de l’ESR, le débat actuel est d’une grande pauvreté. Il serait plus constructif de focaliser sur les vrais enjeux et problèmes (1) soutenir les intentions d’investissement et de revalorisation des carrières (2) réorienter une bonne partie des investissements vers l’Université (3) faire des propositions pour l’amélioration des conditions de travail des EC (4) arrêter l’hypocrisie générale sur le thème de la précarité et lutter de façon pragmatique pour stopper son développement.
5 commentaires
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20 juin 2020 à 19:42
HenryIV
Rachel ministre ! Que dis-je? Présidente ! Si Vidal acceptait de laisser tomber les tenures machin et si l’effort budgétaire était plus resserré pour être crédible. Personne ne pourrait être contre. Avec des si… Conservatisme de droite contre conservatisme de gauche. Rien n’avance.
20 juin 2020 à 23:22
Dan- visseur obstiné
Cela commence bien : « Ne pas renoncer à la revalorisation des carrières scientifiques » …mais la suite du paragraphe oublie le mot « scientifique » …donc on arrive à l’impossible équation ;: comment revaloriser les carrières scientifiques sans revaloriser les autres. La paralysie des statuts est le drame de la France – Elle rend impossible l’ajustement à la réalité des évolutions du monde.
« les Universités ont vu ces dernières années les effectifs étudiants fortement grimper » … à nouveau : dans quelles filières ou disciplines ? Si cela permet de rééquilibrer vers le scientifique, c’est une bonne nouvelle, et peut-être faut-il faire quelque chose. Si c’est en socio ou psycho…pas grave (un peu provocateur, mais réaliste : on vit quand même dans un monde fini, y compris en termes de budget).
Malheureusement, le reste du billet continue à globaliser l’université, comme si, pour faire progresser, il fallait arroser de la même façon les 350000 étudiants de SHS et leurs enseignants, et les étudiants en sciences ou en médecine. Et ceci n’est pas audible pour un citoyen responsable de ses votes, ni pour un contribuable qui a la chance et l’honneur de verser deux mois de revenus à l’état pour financer ce qui est d’utilité publique et d’intérêt général.
« Je pensais naïvement que le budget de l’État était annuel et donc je ne comprends pas bien la nécessité d’une loi sur ces questions budgétaires. »
Les lois de programmation sont , heureusement, conçues pour échapper à la contrainte annuelle, qui amène tant d’administrations à passer des commandes de décembre pour « épuiser le budget », parce que le budget de l’année n+1 sera les dépenses de l’année n + un chouia.
La conclusion en revanche semble raisonnable : repousser la loi à des jours meilleurs.
21 juin 2020 à 08:23
Rachel
@HenryIV, attendez ce n’est pas fini. Rien n’avance c’est vrai mais les conditions sont mauvaises pour trouver des compromis. A ma connaissance, personne n’a fait de propositions concrètes et raisonnables à part moi (et aussi le SGEN-CFDT si j’ai bien compris qui a négocié 1 tenure track = 1 promo PR ; je sais c’est très nul …).
@Dan, l’obsession statutaire est un paramètre à prendre en compte dans l’équation. IL est marqué aussi en science dure. Oui, si j’étais au gouvernement je dirais « OK OK, vous n’en voulez pas, et bien on remballe » et plutôt que de mettre l’argent dans la recherche publique, on le mettra ailleurs. Par exemple on pourrait augmenter le CIR afin que la recherche privée prenne un peu d’envol afin d’atteindre les fameux 3%.
22 juin 2020 à 17:36
HenryIV
Cher Dan qui visse tout, surtout les SHS, vous voulez des financements différenciés, pour ne pas donner des sous à ces glandeurs gauchistes (étudiants et EC), de SHS, d’accord. Mais comment expliquez-vous que depuis plusieurs générations, au moins depuis les années 1960 et la massification de l’ESR, des cohortes toujours aussi reserrées piétinent à l’entrée de psycho, socio, histoire de l’art, sciences de l’éduc (25 % des L1 dans mon UFR rien que pour ces dernières), mais aussi droit (tiens?), médecine (re tient?), STAPS (re re…). Même nous les sous-profs de SHS en sommes surpris. Quels que soient les données économiques et sociales et les époques, ces filières explosent. Cela ne leur donne plus de légitimité pour autant. Que diriez vous de faire une petite thèse de socio sur le sujet? non financée bien sur, faut pas exagérer.
23 juin 2020 à 08:23
Rachel
Dan-mon-visseur, les sciences humaines et sociales c’est assez large et ça concerne un grand nombre d’emplois. Le taux d’insertion professionnelle est correct, autour de 90 %, ce qui est très comparable aux autres disciplines.