Il y a quelques temps, j’ai été sollicitée pour évaluer un projet dans le cadre d’un Idex (initiative d’excellence). Rappelons que ces Idex ont été attribuées sur appel à projets, mais les universitaires ont cru intelligent de distribuer l’argent de leur projet sur appels à projets internes. Rien ne les y obligeait mais voilà, l’excellence ça se mérite ! alors autant pousser la logique jusqu’au bout. Pour évaluer le projet, on m’a proposé 100 euros. Après une petite réflexion, j’ai refusé de faire ce travail pour les raisons suivantes :
- Je trouve que ces appels à projets dans le cadre d’un projet sur appel à projets, c’est un peu pousser un peu trop loin le concept (à moins d’aimer les poupées russes …). Si les Idex ont été retenus, c’est certainement qu’il y avait des projets à l’intérieur du projet initial. Alors pourquoi ne pas passer dans la phase de réalisation, maintenant que l’argent est là ? j’avoue que je ne comprends pas bien. Qu’ils prennent l’argent et fassent le boulot écrit dans leur projet, plutôt que de construire une usine à gaz.
- La proposition financière est alléchante, mais d’un autre coté j’ai toujours considéré que l’évaluation faisait partie du boulot. Et pour ça, l’Etat me paye déjà pour le faire. Par ailleurs, en cette période de pénurie quasi annoncée pour l’ESR (G. Fioraso, il y a deux jours: « nous allons être courageux »), je pense qu’il y a mieux à faire de cet argent que d’organiser un nouveau concours générant des frais (et qui consomme du temps). Mais les « nouveaux riches » ne s’en rendent certainement pas bien compte …
- Enfin, je ne comprends pas pourquoi ils m’ont demandé cette évaluation. Il y a certainement une erreur de casting. Moi j’ai raté mes bidulex et je suis dans la catégorie des « gros nuls ». Ainsi je me sens parfaitement illégitime d’évaluer un projet écrit par les nouveaux seigneurs de la science.
J’espère franchement qu’on va se sortir de cette fièvre post-bidulex. Mais peut-être que les traumatismes du concours ne sont pas encore guéris ?
33 commentaires
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10 mars 2013 à 11:28
marianne
Ben moi dans le meme genre j’ai repondu a un appel a projet dans le meme genre. Comme accuse reception j’ai recu un maul du genre
« Chere Marianne,
Nous accusons reception de votre projet ***** . Nous vous repondrons courant mars mais vu qu’on doit vous repondre tres vite, on vous dira si le projet est accepte ou non. Par contre on pourra pas vous dire pourquoi
Notament, ne vous attendez pas a un compte rendu de l’evaluation de votre projet »
Bon j’imagine le meme truc avec des etudiants.
« Cher X
J’ai bien recu votre copie d’examen. La correction sera prompte et vous aurez votre note tres vite. Ne vous attendez neanmoins pas a savoir ou sont les eventuelles erreurs de votre copie ni a une quelconque correction de l’examen. Ceci est d’ailleurs sans importance et le simple fait d’avoir ou non l’examen devrait vous suffire.
Bien cordialement
Marianne »
10 mars 2013 à 11:31
Dan- visseur anti-gaspi
Tout à fait d’accord avec les points 1 et 2 – nécessité de lutte contre les gaspillages et contre la débauche administrative – qui sert parfois de paravent à l’inaction.
Pas du tout d’accord avec le 3 : l’évaluation ne classe pas les gens en gros nuls et moyens nuls. Elle ne porte pas sur la valeur des personnes, mais sur les critères d’appréciation des travaux proposés. Je sais que vous le savez, mais l’expression « gros nul » est très significative de l’enseignement à la française : les personnes se sentent évaluées, pas les travaux.
Et, de surcroît, Rachel est la lumineuse planète qui éclaire l’Université Française ( que tout le monde…etc…) et ceux qui vous sollicitèrent en étaient conscients. Du fond de leur tunnel, ils criaient vers vous…écoute, Ô Rachel, nos prières.
10 mars 2013 à 12:00
PR27
@Dan : Pas du tout d’accord avec le pas du tout d’accord sur le point 3. Que, justement, on repasse par des appels à projets au lieu de faire le boulot écrit dans le projet, laisse penser que les propositions scientifiques ou pédagogiques que ce projet contenait étaient de moindre importance (et c’est aussi mon expérience sur ce genre de dossier) – sinon quelques poncifs bling bling de l’air du temps. D’ailleurs, quand on rédige en un week-end des projets à 10M€, ne pas s’attendre à grand chose sur le fond scientifique. Donc l’accent est mis sur « qui rédige ». Le projet, ce sont les CV. Le commentaire de Marianne le confirme bien : la mode depuis quelques années est d’être très léger sur les retours d’évaluation de projet (dans la cadre de la gouvernance forte, certainement). On retrouve là le confort d’organisation que prend la grande muette, sans les justifications de cette dernière.
10 mars 2013 à 13:29
Rachel
Pour le point 3, mon propos est surtout de dire qu’étant donné qu’on a créé une échelle de valeur entre les labos (et différentiel marqué de financement), et bien qu’on en tire maintenant les conséquences : moi j’ai pas envie d’aider les bilulex à y voir clair dans leur flot d’argent. Qu’ils organisent leurs concours entre eux, qu’ils s’entre déchirent si ça les amuse. Moi je préfère travailler ma daube plutôt que d’évaluer leurs excellents projets.
Remettre à plat les bidulex, qu’ils disaient …
10 mars 2013 à 13:41
FBLR
@tous
Ce que je ne comprends pas est pourquoi on continue à financer des labos étiquetés « gros nuls ». Ca n’a vraiment ni queue ni tête cette organisation.
Si vraiment le labo semble incompétent après une évaluation *très* sérieuse, alors faut il le disséminer et rattacher ses composantes à d’autres structures plus prometteuse.
J’ai l’impression que cette pratique n’apporte même pas le mérite de la rationalisation (vu qu’en pratique le fait d’avoir un « eX » à la fin de son projet ne rapporte objectivement que des clopinettes)
10 mars 2013 à 14:51
PR27
@FBLR : il y a très peu de labo étiquetés « gros nuls ». Et par ailleurs, les évaluations ne sont pas *très sérieuses* (ou du moins, ne donnent pas les éléments pour montrer qu’elles le sont). Sinon, tout serait plus simple.
10 mars 2013 à 15:10
FBLR
@PR27
C’est bien ce que j’avais en tête. C’est pour ça que je trouve que la situation actuelle est encore pire que la précédente.
Mieux vaut quelques passagers clandestins et que cela tourne que la situation actuelle…
10 mars 2013 à 16:13
Rachel
Ceux qu’on appelle les « gros nuls » sont ceux qui ont raté leur projet bidulex. Je partage le questionnement de FBLR, je ne comprends pas bien pourquoi on maintient des labos qui manifestement ne font pas de recherche d’excellence. Une idée serait de les assujettir aux labos d’excellence, en tant que prestataires pour la sous-traitance de science peu flashy ou technologique.
10 mars 2013 à 17:26
DM
@Rachel: Il fut un temps où l’on faisait régulièrement appel à moi pour évaluer les projets d’un bidule (un RTRA, je crois) de la région parisienne. J’ai cru comprendre qu’un de mes principaux attraits était que, justement, je n’étais pas chercheur en région parisienne (apparemment les règles imposaient des rapporteurs externes). Peut-être avez-vous des caractéristiques similaires ?
10 mars 2013 à 17:58
Gueux
Rachel, Il est vrai que le coté flashy bling-bling est de plus en plus en vogue en physique. Pourquoi la technologie ne pourrait pas être flashy ? Y’a que des « gros nuls » au MIT ?
10 mars 2013 à 18:40
Rachel
@Gueux, en France il y a une forme hiérarchie entre des activités de recherche, entre la noble recherche « fondamentale » et la recherche appliquée (ou technologique). D’ailleurs on ne mélange pas trop les deux.
@DM, peut-être mais dans ce cas, je risque de ne pas comprendre grand chose aux intrigues parisiennes … et dans le cas des bidulex, ça semble être un paramètre important.
10 mars 2013 à 18:45
Marianne
C’est possible que ce soit ça…J’ai un de mes collègues qui a été aussi solicité pour évaluer un bidulex…Le gars est en province et est sur une discipline peu représentée en province
10 mars 2013 à 19:27
PR27
Bande petits joueurs et joueuses. Une véritable évaluation de bidulex doit faire appel à des chercheurs internationaux. Je n’ai pas dit « étrangers », mais ‘internationaux ».
10 mars 2013 à 20:13
mixlamalice
Pour répondre à FBLR: Les vrais « gros nuls » sont ceux (labos ou équipes) qui ont été évalués C par l’AERES. Ils représentent environ 5% des évaluations, et là j’ai cru comprendre que les conséquences étaient assez fâcheuses (généralement dissolution de l’équipe ou gel total des recrutements etc). Pour avoir lu quelques résumés d’évaluation, les notes C, rares, sont une vraie sanction souvent assez méritée… (les « bons » ou « moyens » labos pas ultra-productifs et/ou où l’évaluation s’est mal passée auront A au lieu de A+, voire B, mais pas C)
10 mars 2013 à 21:08
FBLR
@mixlamalice
C’est un effet bénéfique de l’évaluation.
Même si cela peut être très mal vécu par les équipes en place.
Le problème, c’est qu’il faut que l’évaluation soit vraiment bien acceptée et sérieuse. Par ailleurs, ne dégommer que le bottom 5%, ce n’est pas compatible avec la concentration des ressources engendrée par les BiduleX. A budget constant, du moins.
10 mars 2013 à 21:33
mixlamalice
Enfin bon, on peut (encore) « vivre » scientifiquement (décrocher des contrats, projets…) sans faire partie de BiduleX.
10 mars 2013 à 21:57
PR27
@FBLR : côté recherche, l’évaluation se fait sur la production scientifique, mais aussi sur le projet, la visiblité, la stratégie/gouvernance… Là dedans, la production scientifique est encore le plus objectif : les revues et confs ont des taux de sélection, on peut voir dans gscholar, microsoft academic search etc. L’aeres peut dézinguer sur la base d’une critique de projet ou stratégie. Là dessus, rien n’est prouvable, réfutable….
10 mars 2013 à 22:10
Gueux
@PR27: L’évaluation c’est aussi beaucoup jouer à « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Si je dézingue votre labo, je prend le risque d’un retour de manivelle.
10 mars 2013 à 22:17
Rachel
D’où l’utilité d’une évaluation doit être anonyme. On imagine alors un comité de visite AERES, ça ressemblerait à un bal vénitien. Ça serait cool !
10 mars 2013 à 22:17
DM
De part chez nous, je n’ai pas l’impression que le Bidulex manipule des sommes si importantes que cela, comparé au nombre de chercheurs concernés.
10 mars 2013 à 22:24
FBLR
@DM
Donc ça ne sert qu’à crisper les gens.
L’idéologie avant tout.
10 mars 2013 à 22:45
Rachel
@DM, c’est ce que me disent les gens impliqués dans les bidulex. Alors moi je réponds « ben taka me le donner ton argent de misère ». Alors il répond « ben non, je peux pas. Tu sais un bidulex c’est d’abord un label ».
Un label ? Le principe des bidulex, c’est le « pull effect » – c’était écrit dans l’appel à projet : fallait montrer comment le projet permettrait de pull effecter : attirer les meilleurs chercheurs, les meilleurs étudiants, mettre en place des cellules de montage de projets pour répondre aux appels et rafler tout, etc … tout aussi important que le papier dans « Science » : le chiffre d’affaire.
Est-ce que quelqu’un d’un bidulex veut bien m’adopter ?
11 mars 2013 à 07:41
marianne
Ben je vous adopterai bien mais nous dans notre labex on a bien 500E par personne et par an…C’est moins rentable que de reviewer des projets bidulex….
11 mars 2013 à 07:45
marianne
Dans le labo ou ils ont recrute un PR non pu liant ils ont une eval AERES…me demande bien ce qui va en sortir. Je suis sure que cela ne sera meme pas sous entendu dans le rapport d’evaluation
11 mars 2013 à 09:40
PR27
S’il n’y a que 500€/personne, c’est parce que c’est pas comme ça qu’on fait. Chez nous, il y a N personnes dans le labex (le « label ») et N/10 qui auront in fine de l’argent, grâce à un processus d’excellence compétitive internationale. Les autres iront acheter eux-même leurs crayons chez leclerc, mais peu importe. Et l’idée de la labellisation a ses limites : les pôles, les bidulex sont des labels pour l’ANR. La ministre nous explique que l’ANR doit surtout servir à préparer des projet EU et si ça continue se transformera en l’ANR en agence de labellisation. Le CNRS : un bon label pour aller demander de l’argent ailleurs. C’est bon, on a compris l’enchaînement…
11 mars 2013 à 10:37
Jojo
Chez moi, on cause français et on ne dit pas « pull effect » mais « effet de levier ». Un bidulex, ce sont des clopinettes, mais vous pouvez les faire valoir auprès de la région par exemple pour obtenir d’autres clopinettes. Et ainsi de suite. Le problème, c’est qu’il faut beaucoup de clopinettes pour un projet, et le temps de les réunir, quelqu’un a déjà publié votre truc qui a du coup perdu toute valeur.
11 mars 2013 à 11:13
mixlamalice
Et puis quand on voit ensuite la souplesse administrative quand on veut faire fonctionner un projet à partir de plusieurs sources distinctes…
Ah, vous avez besoin d’un abondement pour utiliser cette partie du pognon, mais la convention n’a pas encore été signée. Ah sur cette ligne budgétaire vous pouvez payer du personnel mais pas de fonctionnement. Ah non, on ne peut pas payer un équipement en utilisant deux lignes distinctes.
11 mars 2013 à 14:30
MCF-61-HDR-Publiant-à-vie
« Il y a N personnes dans le labex (le « label ») et N/10 qui auront in fine de l’argent, grâce à un processus d’excellence compétitive internationale. »
J’y crois pas PR27 on est dans le même labo !!!
Ah ben non tient. Pourtant vu d’ici…
11 mars 2013 à 21:08
Rachel
On dirait que mon blog est beaucoup fréquenté par des chercheurs d’excellence! Et si vous nous racontiez comment ça se passe dans votre bidulex ? Est-ce qu’il y a aussi des appels à projets ? Est-ce que le club est ouvert ou bien confiné sur un périmètre ? Est-ce que vous écrivez plein de super papiers dans Science ou Nature ?
11 mars 2013 à 21:17
DM
Dans notre LABEX il y a des appels à financements de thèse ou de petits projets mettant en jeu plusieurs labos, et aussi je crois des bourses de DEA (je n’ai candidaté à aucun de ces trucs). Le périmètre thématique est large. Nous sommes en maths & informatique, donc Science et Nature, bof.
11 mars 2013 à 21:22
Rachel
@DM, pour les bourses de DEA, je pense que vous vouliez parler les bourses de master. C’était écrit dans pas mal de projets : offrir de bonnes bourses pour attirer les étudiants (et les meilleurs !). Et à combien s’élèvent ces bourses ? (histoire de voir si je peux assumer une concurrence …).
12 mars 2013 à 10:15
chercheur CNRS
Dans mon labex, le périmètre est fixe mais très large. Il y a des appels d’offre deux fois pas an. On doit soumettre un projet en anglais (10 pages max) et il y a audition des porteurs quand la somme dépasse qq 10 k€. Les demandes peuvent concerner de l’équipement, du fonctionnement et des post docs. Les demandes doivent obligatoirement concerner deux labos du labex. C’est moins lourd et bcp plus rapide à écrire qu’une ANR et ça peut rapporter autant voire plus.
13 mars 2013 à 19:24
Reviewer (ou pas) un projet dans le cadre des bidulex | Enseignement Supérieur et Recherche en France | Scoop.it
[…] Il y a quelques temps, j’ai été sollicitée pour évaluer un projet dans le cadre d’un Idex (initiative d’excellence). Rappelons que ces Idex ont été attribuées sur appel à projets, mais les universitaires ont cru intelligent de distribuer l’argent de leur projet sur appels à projets internes. Rien ne les y obligeait mais voilà, l’excellence ça se mérite ! alors autant pousser la logique jusqu’au bout.(…) – Blog Gaïa universitas, 10/03/2013 […]