Poursuivons aujourd’hui notre discussion sur l’organisation de notre ESR. C’est d’ailleurs un thème majeur des assises de l’ESR « Rétablir le dialogue et la confiance, c’est aussi clarifier et stabiliser le rôle des différents acteurs du système, tant en matière de programmation, de pilotage que d’évaluation : la réflexion portera à cet égard sur les rôles respectifs des Universités et des Organismes de recherche nationaux, pour ce qui concerne les fonctions d’opérateur, de conception stratégique, de programmation et d’évaluation ; elle portera également et plus globalement sur les relations entre les Universités et les Écoles, les Organismes, les Alliances nationales de recherche, et les Agences nationales de financement sur projets et d’évaluation. » (source: texte reçu dans ma boite mail).
Beaucoup sont d’accord pour dire que notre organisation est devenu trop complexe (redondances et empilements de structures, concurrence stérile, complexité asphyxiante pour monter les dossiers multi-opérateurs, guichets multiples compliquant l’administration, etc …). Il est assez clair que plutôt que de stabiliser le rôle de chacun des acteurs actuels (comme le voudrait la ministre G. Fioraso), il serait préférable de simplifier le paysage. A ce sujet, deux visions s’opposent : il y a ceux qui voudraient que l’université continue sa montée en puissance et devienne à terme pleinement un opérateur de recherche. Et il y a ceux qui restent partisans d’un pilotage centralisé de la science par les organismes nationaux. Présentons les deux points de vue (si les commentateurs pouvaient signaler d’autres textes sur la question, ça viendrait étoffer la discussion).
Voici un extrait d’une tribune publiée récemment dans Le Monde, écrite par chercheurs et enseignants-chercheurs (lire ici): il faudrait « qu’au niveau d’une grande ville universitaire, un seul opérateur de recherche, logiquement une université pluridisciplinaire de dimension internationale associant l’ensemble des acteurs locaux, doit suffire pour mettre en oeuvre toutes les opérations de recherche susceptibles d’être réalisées efficacement au niveau local. En coordination étroite avec les opérateurs de recherche locaux, les opérateurs de recherche nationaux doivent se limiter aux actions dont l’envergure est incompatible avec les moyens d’action d’un seul opérateur local. Corollaire : il faut significativement réduire le nombre d’opérateurs de recherche nationaux, en leur affectant des périmètres qui limitent clairement les risques de concurrence stérile ». En résumé il me semble ça reviendrait à mettre en œuvre une nouvelle vague de décentralisation concernant l’ESR. Citons au passage que certains politiques sont du même avis, comme par exemple Daniel Percheron (président de la région Nord-Pas-de-Calais) : « l’État devrait confier la gestion des universités aux Régions. […] il n’y a pas de grande université sans mariage avec son territoire » » (source ici).
D’autres pensent au contraire que l’avenir de la recherche est intimement associé aux organismes nationaux (CNRS, INSERM, et une myriade d’autres). C’est par exemple le cas d’Henri Audier (retraité du CNRS). On peut lire sur son blog de nombreux billets à ce sujet. Un extrait d’un billet très récent (lire ici): « « Technocrates et « régionalistes » convergent souvent dans la volonté de minimiser le rôle des grands organismes de recherche. Grosso modo, des membres influents de ces courants seraient favorables à de grosses universités régionales utilisant les organismes comme agences de moyens, mettant emplois et crédits à leur disposition. Dans cette optique, l’ANR et l’AERES devraient simplement s’adapter à cette nouvelle donne. Soyons très clair, ne pas redonner leur place aux organismes, c’est s’inscrire dans le processus, enclenché par la droite, d’effacement de la recherche française (et par là même de son enseignement supérieur) dans tous les grands secteurs où le front de la science se situe au niveau international ». Apparemment, selon lui, l’université est synonyme de déclin… Un autre exemple est donné par Claude Mawas, ancien directeur de recherche de l’Inserm (source ici). Ça tape très dur sur les universités. Extraits: « Le système actuel est devenu une jungle sans lisibilité ni cohérence, et surtout sans efficacité. Mais le paradigme de la simplicité du système de recherche des pays comparables à la France ne peut être applicable à notre pays comme le proposent nos collègues, tout simplement parce que nos universités n’ont jamais été organisées pour la recherche. […] Redonner le pouvoir central aux seules universités, c’est garantir un retour en arrière. En effet, il n’existe en France pas plus de dix universités pluridisciplinaires de dimension internationale. Se priver de conseils scientifiques nationaux évaluant comparativement les projets, c’est la garantie de la disparition du réseau national des laboratoires de recherche, décentralisés mais compétitifs, et c’est aussi la garantie d’un exode massif des chercheurs vers des pays moins bureaucratiques. Sans redorer le blason des grands EPST, on ne pourra assurer ni la recherche, ni la formation à la recherche, ni son évaluation, ni les nécessaires aventures pluridisciplinaires que requièrent les grands projets du moment. On ne pourra pas non plus remettre la recherche fondamentale au premier plan sans pour autant défavoriser la recherche finalisée. »
Le gouvernement risque de se retrouver coincé entre deux feux lors des assises. Ça sera une bonne occasion pour ne rien changer … Statu quo assuré !
7 commentaires
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15 septembre 2012 à 11:44
François
Comme nous en avons déjà discuté » la simplicité du système de recherche des pays comparables à la France » évoquée par Claude Mawas est un mythe (cf la discussion que nous avons déjà eue à ce sujet, en particulier pour l’Allemagne).
Le système anglo-saxon universito-centriste fonctionne efficacement dans un nombre limité d’établissements (en particulier ceux qui sont toujours mis en avant : Cambridge, le MIT, Stanford …) mais les chiffres du commerce extérieur britannique et américain montrent bien que ces exemples emblématiques ne génèrent pas suffisamment d’innovations dans l’ensemble de l’économie pour la rendre compétitive. Malgré leurs ressources énergétiques, Royaume-Uni et États-Unis ont les pires balances commerciales du monde développé (actuellement plus mauvaises que celle de la France, qui après la longue récupération d’après-guerre – époque-reine des grands organismes de recherche – n’est repassée dans le rouge que depuis une dizaine d’années).
François Garçon pourrait-il nous donner des informations sur l’existence ou non d’organismes non-universitaires de recherche en Suisse ?
15 septembre 2012 à 12:57
Astronaute en transit
Sur cette question du statu quo assuré comme conclusion finale de la discussion, ce n’est pas impossible… car a-t-on véritablement besoin d’une énième assise pour développer les logiques, déjà connues, des deux camps (décentralisateurs contre centralisateurs)? Par quel miracle ce débat-ci accoucherait-il d’une démonstration sans équivoque permettant à l’un des deux camps de l’emporter? Au fond, les comparaisons internationales se heurtent toujours à un argument imparable: l’expérience étrangère est toujours jugée non-transposable dans le cas français, exceptionnel par essence.
Pour l’heure, non seulement les références culturelles des Français ont bien peu évolué, comme on l’a observé précédemment, mais il est évident que de solides intérêts catégoriels, quand ils ne sont pas individuels, sont en jeu dans ce petit monde. Ce n’est pas un hasard si ce dernier a peu évolué en dépit de la multiplication des comités Théodule pour discuter et rediscuter toujours des mêmes problématiques sur lesquelles personne ne veut s’entendre. plus que la décision, c’est la capacité de blocage qui est une constante de ces discussions.
Peu surprenant que dans ces circonstances, certains préfèrent se retirer sur l’Aventin. Décision très frustrante, il ne faut pas le nier, mais dans la logique du découragement produit par toutes ces tentatives stériles.
15 septembre 2012 à 17:02
Parier sur l’université ou conserver un pilotage national de la recherche par les grands organismes ? | Enseignement Supérieur et Recherche en France | Scoop.it
[…] Poursuivons aujourd’hui notre discussion sur l’organisation de notre ESR. C’est d’ailleurs un thème majeur des assises de l’ESR “Rétablir le dialogue et la confiance, … – Blog Gaïa Universitas […]
15 septembre 2012 à 19:22
Sirius
La concurrence internationale se joue entre établissements d’enseignement et de recherche, qui s’appellent université, institut ou écoles. Vouloir imposer le concept d’organismes de recherche à la française au reste du monde est voué à l’échec.
15 septembre 2012 à 21:36
François
@ Sirius. Personne ne songe à imposer le concept français au reste du monde.
Le problème est de savoir si on doit :
– maintenir le mode d’organisation français actuel,
– le faire évoluer (suivant quelles modalités ? à quelle vitesse ?) vers un système de type anglo-saxon,
– le faire évoluer vers un autre type de système à définir.
Chaque pays doit trouver sa voie. Nous avons déjà parlé de l’Allemagne et de ses Instituts de recherche.
Pour le Japon, une petite recherche Internet donne la liste d’organismes extra-universitaires suivante :
Ministry of Public Management, Home Affairs, Posts and Telecommunications
National Institute of Information and Communications Technology (NICT)
National Research Institute of Fire and Disaster
Ministry of Education, Culture, Sports, Science and Technology
Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA)
National Institute for Materials Science (NIMS)
National Institute of Radiological Sciences (NIRS)
National Research Institute for Earth Science and Disaster Prevention (NIED)
Japan Atomic Energy Agency (JAEA)
RIKEN (The Institute of Physical and Chemical Research)
Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC)
High Energy Accelerator Research Organization (KEK)
National Institutes of Natural Sciences
Research Organization of Information and Systems
Ministry of Economy, Trade and Industry
National Institute of Advanced Industrial Science and Technology (AIST)
Ministry of Health, Labour and Welfare
National Institute of Public Health
National Institute of Health Sciences
National Institute of Infectious Diseases
National Cancer Center Research Institute
Ministry of Agriculture, Forestry and Fisheries
National Agriculture and Food Research Organization, National Agricultural Research
Center
National Institute of Agrobiological Sciences
National Institute for Agro-Environmental Sciences
Forestry and Forest Products Research Institute
Fisheries Research Agency
Ministry of Land, Infrastructure and Transport
National Institute for Land and Infrastructure Management (NILIM)
Geographical Survey Institute (GSI)
Meteorological Research Institute (MRI)
Public Works Research Institute (PWRI)
Building Research Institute (BRI)
Ministry of Environment
National Institute for Environmental Studies (NIES)
17 septembre 2012 à 09:18
Francois Garçon
@François. Sur le plan public, la Suisse possède deux principaux instruments pour financer la recherche. D’une part, la Commission pour la technologie et l’innovation, agence de moyens disposant d’un budget de 437 millions d’euros affectés pour moitié et sur une base compétitive au Hautes écoles spécialisées (filière professionnelle) et environ 1/3 aux deux Ecoles polytechniques (Zurich,Lausanne) et, d’autre part, le Fonds National Scientifique disposant d’un budget de 586 millions d’euros (2011) ayant permis de financer 3400 projets cette même année. Environ le 1/4 de cette somme va aux deux EPF, les 2/3 aux dix universités, toujours sur une base compétitive.Le FNS est une authentique agence de moyens, avec moins de 150 personnes. Cela posé, 70% du financement de la recherche en Suisse est d’origine privée.
17 septembre 2012 à 16:57
amigues
Le retour en grâce des EPST suit logiquement le retour de la gauche au pouvoir, je l’avais déjà évoqué en commentaire d’un billet ancien de Rachel.
Mon expérience personnelle des instances CNRS me laisse penser que la gouvernance y a été conçue de telle sorte que personne (individu ou petite équipe) ne puisse simultanément définir une orientation scientifique, s’assurer des budgets pour la réaliser, créer les postes nécessaires et les affecter dans les labos qui vont la porter. A toutes ces étapes, étapes nécessaires pour passer d’un projet de science à sa réalisation concrète, conseils et sections vont rebattre les cartes et anihiler la tentative. Le résultat est que le CNRS n’a aucune politique scientifique globale digne de ce nom et que l’imaginer en « pilote » d’une politique scientifique est totalement incongru. La même chose se produit pour la promotion de la « visibilité » de ses recherches dans le monde académique ou dans la société , visibilité qui relève en fait des efforts propres des labos.
De multiples tentatives et brouillons de « réforme » ont été imaginé pour sortir de ce statu quo (création « d’Instituts » comme l’INSU ou l’IPG par exemple). Il n’en demeure pas moins que le CNRS serait bien incapable de décider qu’il faut développer une thématique scientifique nouvelle, y mettre de gros moyens humains et financiers quitte à sabrer dans les budgets d’autres activités ou d’y déplacer des chercheurs, toute caractéristiques du « pouvoir » d’un réel « décideur » en matière de politique scientifique. On appelle cela le défaut de « réactivité » en langage managérial, c’est plus simplement un constat d’impuissance.
La réalité du pilotage scientifique se fait dans les labos et ces labos sont des unités mixtes associant universités et CNRS. Personne ne souhaite changer cela à ma connaissance et la question du centre de gravité (qui décide, l’université ou le CNRS ?) me paraît des plus étranges. Le CNRS est trop gros pour décider au cas par cas, il accompagne plus ou moins la proposition scientifique d’un labo. Quant aux universités, elles n’ont pas de politique scientifique explicite pour le moment. Il n’y a donc aucun « pilote », national ou local, dans l’avion mais une infinité, disons plutôt un grand nombre, autant que de responsables d’équipes en réalité.
L’attaque subliminale des partisans du retour au EPST ne vise pas en premier lieu les universités mais porte bien sûr contre les IDEX qui, en fédérant des labos éclatés, constituent de nouveaux centres d’expression d’un « pouvoir » scientifique, instances d’objectifs et agences de moyens tout ensemble. C’est cela que l’on veut démolir.