Tout le monde s’accorde pour dire que notre structuration de l’ESR est complexe, sinon devenu absurde au fil du temps. Paradoxalement, dès que l’on discute de réforme ou d’éventuelles simplifications, beaucoup s’insurgent et crient au complot de tentative de destruction de services publics. Examinons aujourd’hui deux points de vue.
Le premier est celui de notre ministre, G. Fioraso, qui déclare dans une récente interview dans Les Echos : « Nous devons simplifier l’organisation de la recherche pour améliorer sa visibilité en stabilisant les rôles des universités, des organismes de recherche, des écoles, des agences et des alliances » (source ici). J’avoue ne pas comprendre son analyse. Si je suis d’accord avec elle pour dire qu’il faut simplifier l’organisation de la recherche, je ne vois pas du tout comment on le fera en stabilisant les rôles respectifs de chaque entité. Cela ne me parait pas cohérent.
Le deuxième est une tribune écrite cet été par des chercheurs et enseignants-chercheurs, publiée dans Le Monde (lire ici). Cette tribune s’intitule « Politique de recherche : éloge de la simplicité ». Dans un premier temps, les auteurs expliquent en quoi notre politique de recherche et différente, complexe et absurde, si on la compare à la plupart des autres pays. Ensuite les auteurs expliquent en quoi ce système complexe est source de difficultés pour les chercheurs : « Le résultat est un émiettement dramatique, qui démoralise les chercheurs et oblige les équipes à multiplier les tutelles, jongler avec des modes de gouvernance différents, souffrir des conflits entre opérateurs et agences (ou devenir expertes en exploitation de ces conflits…), saucissonner leurs projets (qui doivent pouvoir être présentés à tous les guichets, pour des montants, avec des logiques et des formats complètement différents), palabrer pour rédiger des contrats mobilisant simultanément plusieurs entités jalouses de leurs prérogatives (particulièrement en termes d’exploitation des résultats et de propriété intellectuelle). Quelle agence d’évaluation comptabilisera l’énergie ainsi gaspillée ? ».
Nos auteurs en profitent au passage pour égratigner un peu les conservateurs que l’on trouve à foison dans l’ESR : « « Il faudrait être très naïf pour ne pas voir qu’il est trop tard pour reconstruire un système comparable en simplicité et en efficacité à celui qui existe souvent à l’étranger. » C’est ainsi que se justifie la politique de l’autruche qui défend le statu quo au nom de la nécessaire complexité d’un système de recherche qui serait condamné à porter jusqu’à la fin des temps le poids de l’histoire qui l’a conduit à la situation actuelle. Quel ministre aura le courage de s’attaquer à cette complexité, devenue absurde, de notre système de recherche, en affirmant les principes qui guideront sa refondation et en imposant une méthode et un calendrier pour celle-ci ? ».
Enfin ils donnent leurs solutions, et c’est assez simple. Voici pour résumer (1) Principe de subsidiarité. Un seul opérateur de recherche dans le périmètre d’une grande ville universitaire, bref une université pluridisciplinaire. Réduction significative des opérateurs nationaux, limité aux actions d’envergure et qui limitent les risques de concurrence stérile. (2) Principe d’autonomie, source de créativité, avec deux corolaires : des moyens récurrents suffisants et le financement sur appel à projets de type ANR qui est préservé come outils de politique scientifique du gouvernement. (3) Principe d’égalité démocratique, avec le corolaire d’harmoniser le statut des personnels de la recherche. (4) Principe de confiance, avec le corollaire que les chercheurs acceptent le principe d’évaluation.
Du grain à moudre pour les assises !
6 commentaires
Comments feed for this article
9 septembre 2012 à 17:14
Dan- visseur subsidiaire et apôtre de la complexité
Une fois de plus…si Edgar morin fait l’analyse dela complexité, ce n’est pas par coquetterie intellectuelle. Et puis, ce genre de génralisations me déprime : il ya des univesités qui fonctionnent bien, qui font de la recherche sans pleurnicher, qui se prennet en main, et d’autres qui attendent tout de réformes que le corps social universitaire rejettera car elles changeront des trucs. Déjà, penser qu’il faut gérer de la même manière la rcherche en SHS, en médecine, en Sciences, cela me laisse pantois : les horizons de temps, les urgences, les rssources, les moyens, les applications sont complètement différents. Pourquoi diable vouloir ce monstre jacobin ( malgré l’appel rituel à la subsidiarité) ? Subsidiarité, oui, mais par discipline et par région, avec de grandes régions comme en Allemagne.
Je suis sûr que François, apôtre des faits, va nous montrer que la simplicité est une illusion, ou plut^t une croyance, comme beaucoup de discours à propos de l’ESR.
Nota : il n’ ya pas plus complexe que le corps humain , et pourtant, globalement, ça marche à peu près.
9 septembre 2012 à 17:51
stephane
Juste une remarque à Dan en passant, si le corps humain est le sommet de l’évolution en terme de complexité de fonctionnement (ce qui reste à démontrer), il a fallu 3 milliards d’années pour y arriver, avec quelques échecs, impasses de la vie avant d’arriver à notre joli cerveau qui ne serait pas grand chose sans mon organe préféré (cf the fish and the philosopher). Il me parait très difficile de faire de l’anthropomorphisme avec le système de recherche français et avec toute construction sociale, au risque du darwinisme sociale.
9 septembre 2012 à 17:57
Rachel
@Dan, votre analogie avec le corps humain est discutable. Chaque organe a une fonction bien précise et ne chevauche pas sa mission avec celle de son voisin. Par exemple il n’y a qu’une seule voie d’alimentation, etc … je compare souvent l’ESR en France à un monstre à plusieurs têtes ou à un système qui marche sur la tête. Peu de ressemblance avec le corps humain …
En France, plutôt que de tenter de simplifier, on va créer des choses supplémentaires pour tenter de gérer cette complexité. Le bon exemple est les alliances, une structure supplémentaire qui à mon sens ne fait que rajouter au chaos … Bientot, à tout ça on rajoutera des réseaux territoriaux de la connaissance, une couche supplémentaire sans rien supprimer à coté.
9 septembre 2012 à 19:38
DM
Je serais plutôt d’accord. Comme d’habitude, je me méfie de l’éventuelle mise en œuvre…
Par exemple, on peut vouloir avoir un statut unique chercheur + enseignants-chercheurs, avec modulation de service d’enseignement. Après, viennent une foule de problèmes:
1. Comment reclasser les chercheurs, dont les carrières sont plus lentes?
2. Comment organiser la modulation des services d’enseignement? Comment faire pour que l’enseignement ne soit pas perçu comme une sanction?
3. Comment accomoder les différences de mode de travail entre les différentes disciplines? Comment, par exemple, évaluer le temps de recherche d’un philosophe?
Certains systèmes où il y a peu de postes de chercheurs permanents (p.ex. les USA) résolvent le point 3. en admettant des différences de payes importantes entre disciplines.
En France, où l’égalitarisme et la méfiance envers un éventuel favoritisme règnent, le point 2. pose assurément problème.
Enfin, si on veut comparer le statut des enseignants-chercheurs français avec des statuts étrangers (comme le font certains de ceux qui pointent l’absence d’EPST dans d’autres pays), il faut également comparer la quantité et la qualité du support administratif dont les gens disposent. Un professeur autrichien enseigne certes beaucoup, mais il a une secrétaire qui s’occupe de toute l’intendance. Par comparaison, un enseignant-chercheur français passe une bonne partie de sa vie à se battre contre l’administration, simplement pour obtenir que les choses soient faites, sans parler de la règlementation tatillonne.
11 septembre 2012 à 00:29
François
Un mode d’organisation n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre les principaux buts que l’on se fixe. Ce sont ces derniers qui sont importants, et qui doivent être bien définis avant de se préoccuper de chercher l’organisation idéale.
L’expérience d’étudiants français à Harvard et au MIT résumée dans http://www.educpros.fr/detail-article/h/524e7b4449/a/harvard-et-mit-la-pedagogie-americaine-sous-le-regard-detudiants-francais.html permet d’établir une liste de ce qui devrait être modifié pour que l’enseignement supérieur français (dont le niveau théorique est généralement reconnu) soit au meilleur niveau mondial; il lui faudrait :
– des cursus étudiants obligatoirement multidisciplinaires pendant plusieurs années
– des cours par petits groupes
– des professeurs disponibles en dehors des cours pour rencontrer les étudiants
– la nécessité pour les étudiants d’effectuer des travaux entre les cours qui leur demandent des recherches personnelles
– une attitude d’ouverture à la discussion et d’encouragement venant des professeurs
– un enseignement tourné vers les applications pratiques.
Il me semble que les réussites de l’enseignement supérieur français :
– des dernières décennies (IUT, DESS, écoles d’ingénieurs universitaires, meilleures écoles de commerce / management),
– de la décennie qui vient (à mon avis les meilleures écoles d’ingénieurs, qui sont en train de réorganiser leurs cursus pour répondre aux critiques qu’elles ont subies ces dernières années)
correspondent assez bien aux objectifs indiqués plus haut.
On doit ensuite avoir des structures de niveau supérieur pour chapeauter :
– des entités disciplinaires où s’effectue la recherche et où les étudiants ne sont affectés qu’au bout de quelques années,
– des entités de gestion des cursus où sont affectés tous les autres étudiants; bien entendu, ces entités puisent dans les ressources des entités disciplinaires (professeurs, possibilités de stages de recherche pour leurs étudiants).
Enfin, les problèmes de type position dans les classements, image internationale, etc. imposent des regroupements apparents en méga-structures munies d’entités de communication solides.
Voilà, ayant le privilège de ne pas connaître de l’intérieur la complexité actuelle du système universitaire, j’ai essayé de suivre la méthode historique : » Vers l’Orient compliqué je volai(s) avec des idées simples «
11 septembre 2012 à 12:31
Astronaute en transit
Comme François j’ai lu avec intérêt le petit reportage d’Educpros… quoiqu’il ne m’ait rien appris de bien nouveau par rapport à ce que j’avais pu constater lors de mon séjour de l’année dernière à T1852. ce qui est intéressant, c’est de relever à quel point ces universités parviennent à être heureusement pluridisciplinaires… un écueil évident pour les institutions françaises, qui semble être à l’origine de la réaction de Dan aux opinions formulées par les auteurs de la tribune du Monde: ne serait-ce pas par peur qu’on ne réduise pas assez les SHS par rapport aux « vraies sciences » dans ces pôles obéissant à la « subsidiarité » que vous exprimez vos craintes? Si cela pouvait vous rassurer, je dirai que de toute façon, si réforme se faisait (mais elle ne se fera pas sous ce gouvernement trop effrayé par sa clientèle) une telle réduction serait inévitable… Il resterait tout de même intéressant que l’on puisse, après avoir dégraissé ces structures, aboutir à des pôles régionaux tout de même capables d’exceller non seulement sur un domaine de spécialité, mais bien dans la multiplicité des disciplines.
Ici comme auparavant je vois comme principal obstacle la culture du système français qui n’est aucunement en voie d’évolution. Une refonte du sens (et de la taille) des études de SHS impliquerait qu’on admette enfin que leur finalité n’est pas « la vocation à devenir fonctionnaire » comme l’affirme bêtement le ministre-philosophe strausskahniste de l’Éducation Nationale. Le problème est que toutes les évolutions ou réformes de structures auraient dû se faire avec une évolution de la culture, pour les rendre compréhensibles et acceptables par les acteurs concernés… évolution de culture sciemment bloquée depuis plusieurs décennies par les mouvements de grève politisés déclenchés sur chaque réforme. je risque de bien rire quand l’actuel gouvernement de Normalitude Progressiste va se trouver confronté aux nouveaux blocages et vandalismes qui ne vont pas manquer d’éclater avec l’épuisement des crédits. À ce moment là nous serons bien loin de même envisager ces questions de subsidiarité!