Les universitaires sont des enseignants-chercheurs (E/C), c’est-à-dire qu’ils ont une mission double: celle d’enseigner, transmettre le savoir et former les futurs cadres de demain, mais aussi d’avoir une activité de recherche. Dans la définition première de l’université, celle-ci est le lieu privilégié où formation et recherche doivent être intimement liés: l’étudiant bénéficiant de la recherche pointue des ses enseignants pour recevoir un enseignement de qualité avec des savoirs mis à jour, et l’enseignant faisant avancer certains aspects de sa recherche en encadrant des étudiants en fin d’étude (anciennement 3e cycle, master aujourd’hui). Cela doit être une relation gagnant-gagnant. Les Unités de Formation et de Recherche (UFR) montrent d’ailleurs que théoriquement cette volonté de lier ces 2 aspects de l’activité d’un E/C existe, et a existé, bel et bien.

Dans l’université d’aujourd’hui force est de constater que les activités de formation et de recherche sont très éloignées l’une de l’autre. Les raisons de cet éloignement, voire séparation, sont nombreuses mais la principale est sans doute la professionnalisation des formations qui aboli tout enseignement orienté recherche sous prétexte qu’il n’est pas adapté au monde du travail et aux besoins de la majorité des entreprises et des industries. La concurrence et la pression exercée par les écoles d’ingénieurs dans le milieu scientifique favorisent grandement cette mutation. Que devient alors cette relation formation-recherche? Dans le premier cycle (Licence aujourd’hui), les enseignements sont, par nature, assez éloignés de la recherche. On y donne à l’étudiant les bases. Ensuite, étant donné la forte professionnalisation des formations du cycle suivant (Master Professionnel), qui est la dernière étape avant le monde du travail pour la plupart des étudiants, cet enseignement devient de facto aussi très éloigné des activités de recherche. Seuls quelques rares étudiants qui poursuivent leurs études dans le dernier cycle (Doctorat) ou qui auront choisi un Master Recherche en 2e année de master pourront alors s’initier à une activité de recherche et travailler en collaboration avec les enseignants-chercheurs. En ce qui concerne les Master Recherche, ils sont actuellement en sursis mais risquent à terme de disparaître, soit pour des raisons financières, soit tout simplement par manque d’étudiants!

Cette fracture formation-recherche vient aussi des enseignants-chercheurs eux-mêmes! Une de mes collègues me disait que la société actuelle impose aussi d’une part que la recherche doit être rentable, au même titre que n’importe quelle autre activité, et, d’autre part, quelle doit être « évaluable ». Cela pousse donc les enseignants-chercheurs à produire des articles scientifiques pour les publier dans les revues les plus prestigieuses et ainsi consacrer la majeure partie de leur temps à leurs activités de recherche pour proposer des IDEX et des LABEX, plutôt qu’à la formation. Surtout lorsque celle-ci est si éloignée de leur recherche qu’ils n’en retirent aucun intérêt autre que pédagogique! Ce comportement est de plus très compréhensible lorsque l’on sait que la promotion des E/C se base quasi-intégralement sur la « qualité » de leur dossier recherche. On reproche donc souvent aux universitaires d’être plus chercheurs qu’enseignants et cela est sans doute très vrai actuellement.

Depuis 2003, la visibilité et l’excellence des universités dans le monde sont répertoriées par des classements et l’un d’entre eux revient régulièrement: c’est le fameux classement de Shanghai qui liste les 500 meilleures universités mondiales. Même si la méthodologie de classement est souvent décriée et sans doute imparfaite, c’est en partie ce classement, très peu élogieux pour la France dans les premières éditions, qui a motivé, sans doute, et en partie, une restructuration et un regroupement des universités en PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) ou en universités plus imposantes (par fusion d’universités existantes). Je ne parlerai pas ici de l’efficacité ou non de telles mesures mais on discerne le paradoxe que je souhaite amener ici: pourquoi les universités françaises sont-elles si peu visibles alors même que leurs enseignants-chercheurs passent plus de temps à leurs recherches qu’à la formation?

Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse, il faut savoir que la force vive de la recherche dans la majorité des pays, et donc la France, est essentiellement constituée des étudiants en thèse (communément appelés thésards, ces fameux étudiants qui poursuivent leurs études dans le dernier cycle) sous la direction de leurs enseignants-chercheurs. L’équation est donc rapidement posée: si l’essentiel de l’effort de recherche repose sur les thésards, plus les thésards sont nombreux et plus on peut étudier de problèmes et donc potentiellement publier des résultats innovants. Malheureusement, il y a plusieurs freins à ce raisonnement simple en France (le problème touche bien d’autres pays dans le monde, souvent les pays développés d’ailleurs). Premièrement, un thésard doit être financé et le nombre de financements disponibles est très limité. D’ailleurs, une grande partie du temps de « recherche » d’un chercheur consiste à monter des projets ANR et à trouver des financements de thèse supplémentaires à ceux accordés par le ministère. Deuxièmement, il faut trouver la perle rare qui saura être autonome, sérieuse, innovante, parlant et écrivant l’anglais parfaitement,… C’est encore là que le bât blesse car il devient très difficile de trouver des étudiants motivés pour passer 3 ou 4 ans à faire de la recherche de haut niveau pour un salaire tout juste supérieur au SMIC, avec des débouchés assez aléatoires (d’où le risque des Master Recherche). A de très rares exceptions près, force est de constater que les meilleurs étudiants ne choisissent pas la recherche mais s’orientent vers l’entreprise. Il faut donc aller chercher ces bons étudiants encore motivés par des études scientifiques longues ailleurs qu’en France. Si on constate une hégémonie des universités nord-américaines dans les classements internationaux (l’édition 2011 du classement de Shanghai liste encore 17 universités américaines dans le top 20!), c’est aussi parce qu’elles ont su et pu attirer toute la crème des étudiants étrangers (indiens, sud-coréen, chinois, vietnamiens,…), et cela depuis plus de 50 ans! Les raisons de l’attractivité de ces universités nord-américaines sont nombreuses et il serait impossible de les résumer ici en quelques phrases tant les facteurs sont imbriqués. On peut néanmoins dire que les universités américaines, par exemple, bénéficient d’une part, d’une attractivité du pays lui-même (l’eldorado américain) mais aussi, d’autre part, d’un système d’enseignement supérieur très sélectif et donc très attractif pour les meilleurs! La France dans ces domaines n’a pas l’attractivité suffisante pour attirer les meilleurs étudiants étrangers. Est-ce en soi un problème? Pas tant que cela mais à la condition d’arriver à convaincre nos bons étudiants à poursuivre en thèse. Sur terrain, devant le faible nombre d’étudiants formés dans une université française et intéressés par une poursuite en thèse, on ne recrute pas toujours les meilleurs éléments…

Le système français utilise exclusivement la thèse comme outils de la recherche. Conjuguée à un manque de financement et à une pénurie d’étudiants motivés cette configuration n’est pas (plus?) optimale. Lorsque l’on regarde d’autres systèmes d’enseignement supérieur, on constate que dans certains pays (dont les pays nord-américains) tous les étudiants sont associés beaucoup plus tôt aux activités des laboratoires. Par exemple, en master (graduate level), ces étudiants travaillent dès leur première année sur un projet de recherche qui se poursuit sur les 2 années du master. Ils doivent être présent au laboratoire pour faire avancer leur projet et participent au même titre que les étudiants en thèse aux réunions d’équipes. Ils sont encadrés par les enseignants-chercheurs et les thésards et doivent présenter régulièrement leur état d’avancement avec pour objectif premier de finaliser une étude avec écriture d’articles. Dans la discipline informatique que je connais mieux, beaucoup d’articles présentés dans les conférences ou revues internationaux sont basés sur les travaux et/ou développements desdits étudiants de master et qu’ils sont nombreux à être co-auteurs de ces articles. Ces étudiants, lorsqu’ils souhaitent ensuite poursuivre en thèse ont déjà une bonne longueur d’avance sur la maîtrise du sujet de recherche et commencent ainsi leur thèse avec déjà des publications, ce qui est rarement le cas en France. L’intérêt d’un tel système formation-recherche est qu’il permet aux laboratoires de recherche de bénéficier de l’apport des bons étudiants avant qu’ils ne partent définitivement dans l’entreprise pour le reste de leur carrière. Comme ce rapprochement étudiant-laboratoire se fait sur la durée et est obligatoire dans le cursus, c’est le seul moment où la ressource étudiante est financièrement accessible, en masse et sans risque pour l’étudiant, leur stage long de fin de master pouvant s’effectuer en entreprise!

Vous aurez compris que dans ces systèmes que je viens de décrire la relation formation-recherche est beaucoup plus forte qu’elle ne l’est dans le système français. Dans le système français, les laboratoires ne « voient » les étudiants que pour une durée très courte, 2 ou 3 mois pendant un TER (Travaux d’Etude et de Recherche) ou un PFE (Projet de Fin d’Etude). Sur une durée si courte, il est très difficile de construire quelque chose d’exploitable et de publiable. L’université française a très certainement beaucoup de bons étudiants, tout comme d’autres pays, il s’agit de les accompagner, de les rapprocher de la recherche et finalement de les motiver par un projet à long terme. C’est un système où tout le monde peut ressortir gagnant car une formation, même à vocation professionnelle, avec une part plus forte de recherche est souvent synonyme d’autonomie et d’esprit d’innovation, qui seront plus tard des plus dans l’entreprise. Certains collègues m’ont rapporté d’excellentes expériences de TER/master avec des étudiants qu’ils prennent le temps de former car « il est plus rentable de passer son temps à enseigner ses compétences que de chercher » la « perle rare ». Un collègue de Brest me disait « Ce qui marche c’est former les gens et leur donner du plaisir à apprendre et travailler » et me rapporter son expérience avec un étudiant de L2 informatique: « Il reste que cela s’est très bien passé, il a appris plein de choses sur les outils de développements, Cuda, et Smalltalk. Je crois qu’il est très content et parlait de revenir bosser sur les capteurs, il parlait aussi de thèse. Je suis sûr que ce sera un bon ambassadeur pour les étudiants: oui, c’est possible de bosser avec les profs. ». Je rajouterai, « Oui, c’est possible de travailler avec des étudiants avant la thèse » mais encore faut-il que le système favorise et rende possibles de tels échanges. Trouvons des solutions pour renouer formation et recherche et nous pourrons sans doute du même coup changer la manière dont étudiants et enseignants se perçoivent l’un l’autre pour faire de l’université un véritable lieu d’échange de savoir et de compétences.

C. Pham
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