En cette période de préparation aux élections régionales, il peut être intéressant de se pencher sur les politiques d’investissement en matière de recherche dans les différentes régions. Pour cela un indicateur intéressant est la DIRD (dépense intérieure de recherche et de développement), dont nous ne commenterons ici que la partie civile. Ces chiffres nous apprennent que l’essentiel de l’investissement est fait dans quelques grands bassins du territoire national. Bien entendu l’Île de France domine largement le paysage français, laissant loin derrière les régions Rhône-Alpes, Midi-pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pour le reste, n’en parlons pas …

Les investissement actuels des régions apportent un éclairage intéressant dans un contexte de réflexion sur le devenir de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, compte tenu des orientations récentes des plans campus et du « grand emprunt ». Rappelons que ces orientations sont élitistes et doivent concerner une dizaine de grands pôles de recherche et d’enseignement supérieur dans lesquels on va concentrer les moyens – voir également le billet « Universités d’excellence et régions » dans lequel vous pourrez trouver une jolie carte de France des régions qui comptent pour la recherche et l’enseignement supérieur.

J’ai tracé ci-dessous quelques histogrammes sur ces dépenses de R&D afin de comparer les pratiques des différentes régions. Pour tous les diagrammes qui suivent, la place des régions sur les histogrammes reste fixe, cela permet de faire des comparaisons entre diagrammes. Les données présentées proviennent du rapport biennal de l’Observatoire des Sciences et des Techniques (OST) « Indicateurs de sciences et de technologies », 2008.

Commençons par la dépense intérieure de recherche et de développement (DIRD) civile. L’histogramme ci-dessous (Fig. 1) montre sa répartition dans les régions, en M€. Pour donner du sens à cette courbe, une normalisation par rapport à la population des régions est utile (Fig. 2). On constate que les moyens de R&D sont inégalement répartis sur le territoire national. L’Île-de-France est très dominante, suivie par Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées. Le Languedoc-Roussillon n’est pas mal placé. Ainsi on peut déduire que le plan campus et les probables orientations du grand emprunt renforce et renforcera les régions qui sont déjà dominantes dans le paysage (on ne prête qu’aux riches, c’est bien connu). On note la place catastrophique de la région Nord-Pas-de-Calais qui est pourtant une région très peuplée avec de nombreuses universités et écoles, mais qui ne semble pas considérer la R&D comme une priorité.

Figure 1: volume de la DIRD selon les régions. Les régions sont indiquées par leur numéros et seront toujours à la même place dans les histogrammes qui suivent.

Figure 2: volume de la DIRD selon les régions, normalisé au nombre d’habitants dans chaque région.

Pourquoi une telle disparité de budget dans les régions ? On pourrait se dire qu’il y a des régions plus ou moins riches et que cette répartition ne fait que traduire un niveau de financement régional, donc des richesses inégalement réparties sur le territoire. Pour tenter d’y voir plus clair, on peut examiner le PIB de chaque région. Pour cela on va rapporter cette valeur par unité d’habitant. La figure 3 montre cette répartition en fonction des régions. On peut constater quelques petits écarts mais ces derniers restent modestes, sauf pour la région Île-de-France qui domine toutes les autres, ce qui est bien naturel compte tenu que c’est la capitale et que la décentralisation du pays n’est pas totale. Ainsi donc, on peut conclure que les grands différentiels de budgets pour la recherche et de développement ne proviennent pas d’une différence de richesse entre les régions mais bien des spécificités régionales en termes d’investissement. Pour s’en convaincre, on peut regarder la figure 4, qui montre le rapport entre la DIRD et le PIB. Sur l’histogramme n°4 on constate que seules deux régions ont un investissement dans la R&D supérieur à 3 % (Île-de-France et Midi-Pyrénées). On note la bonne place de 4 autres régions (Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Auvergne et Franche-Comté). La grande majorité des régions sont à un niveau inférieur à 2 %. Certaines sont catastrophiques, comme Poitou-Charentes (0,75%), Champagne-Ardennes (0,67%), le Limousin (0,73%) et la dernière est encore le Nord-Pas-de-Calais (0,65 %).

Figure 3: PIB des régions, normalisé au nombre d’habitants. On constate une répartition à peu près homogène de ce PIB, sauf pour la région Île-de-France ce qui est logique compte tenu que c’est la capitale d’un pays aux structures assez centralisées.

Figure 4: Rapport entre la DIRD civile et le PIB des régions. Cela correspond donc au pourcentage que consacre chaque régions à la R&D.

Il faut savoir que la DIRD mesure l’effort de la R&D globale (publique et privé). On va s’intéresser maintenant plus particulièrement à la DIRD civile du secteur public. La figure 5 montre le rapport entre la DIRD secteur public et la DIRD totale. Donc sur cet histogramme, plus le chiffre est grand, plus la région investie dans le secteur public (proportionnellement de son investissement initial, qui peut être très faible comme le montre la figure 4). Cette figure mesure le poids relatif que la région met dans son secteur public et son secteur privé en matière de R&D. Encore une fois, on peut constater des pratiques extrêmement variable puisqu les chiffres oscillent entre 68 % (Languedoc-Roussillon) et 14 % (Franche-Comté et Haute Normandie).

La figure 6 montre cette DIRD du secteur public normalisée au nombre d’habitants dans chaque région. Cela permet de comparer l’importance relative que confèrent les régions à leur R&D publique. Les écarts entre les régions sont considérables, avec par exemple la régions Île-de-France qui investit environ 10 fois plus que la Champagne-Ardenne dans sa R&D publique (données normalisées à l’unité d’habitant).

Fig 5 : rapport entre la DIRD du secteur public et la DIRD totale. Cette figure mesure le poids relatif que la région met dans son secteur public et son secteur privé en matière de R&D civile.

Fig 5 : DIRD du secteur public normalisée au nombre d’habitants dans chaque région. Cela permet de comparer l’importance relative que confèrent les régions à leur R&D publique.

En conclusion, il y a une forte inégalité d’investissement dans la R&D selon les régions. La région Île-de-France domine fortement le paysage français. Les régions du sud de la France sont attentives à cet effort de recherche (Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon). A l’inverse les régions du nord de la France n’investissent que très peu dans la recherche (Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne-Ardennes, Lorraine). Cet investissement porte ses fruits car ces pôles de recherche et d’enseignement supérieur sont ceux qui ont été sélectionnés dans le cadre du plan campus et reçoivent donc de l’Etat des financements supplémentaires. Rappelons enfin que le « grand emprunt » prévoit un investissement très conséquent sur une dizaine de pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Il ne fait guère de doute que les régions fortes profiteront pleinement de cet investissement, ce qui accentuera encore les inégalités territoriales qui sont déjà considérables.

Régionales en quatre volets : Volet 1 « les régions qui investissent dans la recherche et le développement ». Volet 2 : « l’investissement dans l’enseignement supérieur et contribution du CNRS ». Volet 3 : « les régions et leurs chercheurs ». Volet 4 : « les régions qui publient ». Toutes les données présentées proviennent du rapport biennal de l’Observatoire des Sciences et des Techniques (OST) « Indicateurs de sciences et de technologies », 2008 (ici).